Rencontre avec Viggo Mortensen ; " Faire du cinéma, c’est trouver des solutions à des problèmes".
- Jusqu’au bout du monde est un hommage au western que Viggo Mortensen hisse à un niveau supérieur et inspiré Pour sa deuxième réalisation après Falling, Viggo Mortensen a choisi une narration déstructurée qui rend l’histoire captivante.
Viggo Mortensen dépoussière le genre avec une grande humanité qui fait aimer Jusqu’au bout du monde tout autant que ses deux héros.
On avait eu l'immense privilège d'échanger une demi heure avec lui lors du dernier festival rencontres du sud à Avignon , pour une discussion passionnée et passionnante
Pourquoi avoir choisi de tourner un western?
Viggo Mortensen : Le western est un écrin et un prétexte pour parler d’autres sujets, . Mon film montre que les traumatismes subits pendant la guerre ne frappent pas seulement celui qui a combattu mais aussi celle qui est restée à la maison. Proie convoitée par le fils d’un riche propriétaire terrien, la jeune femme a elle aussi souffert des événements terribles
Ceci étant dit, pour répondre plus directement à votre question, je suis un fan de western depuis mon enfance,
J’allais en voir avec mon père quand j’étais gamin. Comme beaucoup de garçons de ma génération, j’ai grandi en regardant des westerns. J’aime ce genre même si je sais que la plupart ne sont pas très bons. J’ai donc voulu retrouver l’excitation qu’ils m’ont procurée autrefois.
Et en même temps votre vision du western possède un coté tres moderne, tres féministe qu'on voyait pas dans les westerns d'il y a 50 ans..
Oui, car je trouvais intéressant de placer une femme forte, libre, indépendante au 19 e siècle dans un endroit où la société, régie et déterminée par des hommes, était plutôt sauvage.
Le western redevient à la mode Je pense que cela vient du fait qu’il permet de traiter de sentiments exacerbés dans un environnement brutal. Il est à la fois proche et loin de nous.
La femme victime de violences sexuelles n’appartient, hélas, pas qu’au passé. Son combat concerne le spectateur qui la soutient de tout son cœur. Paradoxalement, situer l’action dans l’Ouest américain des années 1860 offrait le moyen de rendre l’intrigue plus actuelle tout en lui donnant un souffle épique.
L’aventure est aussi ce qui m’attirait dans le genre mais je ne peux pas la considérer comme dépourvue de sentiments. Je n’ai pas cherché à réinventer le western. Je n’ai pas cette prétention.
J’ai juste voulu réaliser un western qui satisferait le spectateur que je suis devenu.
On peut penser que Holger vous ressemble un peu, non ?
C’est inévitable : chaque rôle que j’incarne, j’y mets mon corps, ma voix… Même si quelques-uns de mes rôles sont davantage éloignés de moi, comme quand j’ai incarné Freud par exemple.
Holger est un homme maladroit et aussi têtu qu’elle, mais il est ouvert à la discussion et au changement. Et comme Holger, je suis patient et ouvert à une évolution personnelle. Mais je le pense meilleur que moi. »
Quels étaient vos auteurs de western préférés ?
Certains éléments du cinéma de Sergio Leone me plaisent même si c’est très différent de ma notion du western. Sergio Leone, c’est un peu de l’opéra. J’aime les bons westerns classiques comme ceux d’Howard Hawks, certains films de John Ford même si je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que La Prisonnière du désert est le meilleur western de tous les temps. Je préfère L’Homme qui tua Liberty Valance, La Poursuite infernale ou La Chevauchée fantastique. J’adore aussi Budd Boetticher qui a fait des westerns à petit budget ou William Wellman, Anthony Mann ou même Jacques Tourneur.
Pourquoi avoir choisi une forme qui n’est pas chronologique ?
Je l’avais déjà fait dans mon premier film. C’est un procédé courant dans la littérature. Dans Falling, où il était question de démence, d’oubli, je l’utilisais à la manière de Kurosawa : un même moment ou événement pouvait ne pas être ressenti de la même manière par les différents protagonistes.
Dans ce film, la première image qui m’est venue est celle d’une petite fille jouant et rêvant dans une forêt du nord-est des États-Unis. Ça m’a été inspiré par ce que je sais de l’enfance de ma mère. Après, je me suis demandé ce qu’elle pouvait devenir et j’ai trouvé intéressant de montrer les effets de ses décisions avant d’en expliquer les causes.
Vous avez choisi une comédienne luxembourgeoise pour incarner une Québécoise. Comment a-t-elle mis au point les accents ?
Vicky a dû beaucoup travailler avec un coach québécois, Jean-François Dupré, qui lui a fait travailler aussi bien son français que son anglais parce que lorsqu’elle parlait en anglais, elle avait un accent un peu germanique. Je ne pensais pas à elle en écrivant mais ça m’est venu après parce qu’en regardant son travail, j’ai trouvé qu’elle avait une vraie présence devant la caméra et qu’elle avait une qualité commune avec Meryl Streep : celle d’exprimer énormément dans le silence. »
Qu’est-ce que vous préférez faire au fond de vous : jouer ou réaliser ?
Si le choix m’est donné, j’aimerais réaliser mon troisième film immédiatement. Je suis d’ailleurs en train d’essayer et si je trouve le budget, c’est ce que je ferai.
J’ai commencé tard, pourtant je voulais déjà réaliser un film il y a trente-cinq ans, mais je n’ai pas pu trouver l’argent. Ensuite, ma carrière d’acteur s’est imposée.
Mais finalement, c’est peut-être aussi bien parce que pendant toutes ces années, j’ai énormément appris en regardant travailler Jane Campion, Peter Jackson, David Cronenberg et les autres. »
Vous avez travaillé avec plusieurs acteurs qui réalisaient leurs premiers films : Sean Penn (The Indian Runner), Ed Harris (Appaloosa), Kevin Spacey (Albino Alligator)… Est-ce qu’un bon acteur est forcément bon directeur d’acteur ?
Non, il y a des acteurs très bons qui arrivent avec leur rôle préparé au maximum mais qui, bien qu’ils puissent être cordiaux, n’en ont rien à faire de ce que dit le réalisateur ou de ce que font les autres acteurs. Celui qui joue face à un acteur comme ça ne s’amuse pas, même si ça peut être impressionnant de voir ce qu’il fait.
Mais peu importe à quel point ils sont bons, ils ne vous surprendront jamais en faisant quelque chose d’extraordinaire, parce qu’ils ne savent pas sortir de leur tunnel. Ce genre d’acteurs n’a pas tendance à faire de bons réalisateurs, parce que ça ne les intéresse pas d’être surpris. En tant qu’acteur, j’ai toujours été très curieux, j’ai toujours été intéressé par tous les éléments de la réalisation d’un film, le scénario, la photographie…
J’ai passé des années à observer tout ça. Sur un plateau, je ne reste pas dans ma roulotte ou dans ma loge. Et je savais que j’aimais les histoires de cinéma. Ma mère m’a transmis ça très jeune. Elle me parlait de la narration, de la structure, plutôt que des sentiments que provoquait un film
. Pour moi, les meilleurs films se font à partir du travail collectif. Un scénario médiocre peut donner lieu à un très bon film, si le travail est fructueux. Bref, j’ai beaucoup aimé réaliser. Je veux en faire un autre dès que possible, même si ça coûte beaucoup d’argent.
Acteur curieux, réalisateur curieux, donc.
Oui, je savais qu’en tant que réalisateur j’allais me mêler de tout, même si je n’imaginais pas à quel point (rires).
Faire du cinéma, c’est comme dans la vie, il s’agit de trouver continuellement des solutions à des problèmes.
Si tu te prépares beaucoup avant un tournage, tu vas éviter beaucoup de problèmes.