Sous la plage et les strass, les pavés rouges ? : Tapis rouge et Luttes des classes - Tangui Perron (ITW exclusive)
Le saviez-vous ? La CGT est membre du conseil d’administration du festival de Cannes depuis 1946, date de sa création. Alors que la première montée des marches de l’édition 2024 commence à dater, le Festival de Cannes entame sa deuxième semaine avec en ligne de mire, le 25 mai.
Une échéance pour Greta Gerwig et son jury pour délivrer la précieuse Palme d’Or. En préambule du premier festival mondial de cinéma, plusieurs collectifs de travail avaient appelé le 6 mai dernier à une grève « de tout.e.s les salarié.e.s du Festival de Cannes et des sections parallèles » visant à les « perturber ». Le collectif « Sous les écrans la dèche », suivi par des projectionnistes, programmateurs, attachés de presse, chargés des billetteries ou de l’accueil des invités déplorent une précarisation grandissante de leurs métiers, endurcie par les dernières réformes de l’assurance chômage, au point que « la majorité [d’entre eux] devront renoncer » à leur métier. Pour pallier à ça, la revendication principale demeure l’acquisition du statut d’intermittent du spectacle. Un appel appuyé par plus 300 professionnel.le.s du cinéma dans une tribune publiée sur Libération (lien).
Parce que ce festival ne pourrait se dérouler sans eux.elles. Parce que les strass et la belle affiche du Festival ne pourraient pas trôner en haut du Palais des Festivals sans ces travailleurs.ses. Il ne tiendrait peut-être même pas aujourd’hui sans eux, c’est ce que rappelle Tangui Perron.
Rencontre avec l’historien avec qui nous avons parlé des origines ouvrières et antifascistes (peu connues) du festival de Cannes, dont le contexte a conduit à la naissance du CNC et son rôle dans l’économie actuelle du cinéma.
Qu’est ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet ?
« Ce sujet est une commande de l’éditeur les éditions de l’ateliers. Les deux derniers avaient été faits à ma demande avec d’abord, L'écran rouge: syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo en 2018. Ça a bien marché grâce aux commandes syndicales que j’ai eu le plaisir d’accompagner et j’ai eu beaucoup de contributeurs – 17- avec des gens très connus comme Pascal Ory, Michel Pigenet et d’autres chercheurs qui m’ont fourni de très bons papiers. Moi j’ai fait à peu près la moitié du bouquin. Dans ce livre-là, il y avait deux contributions au festival de cannes déjà : l’étude d’Olivier Loubes, plus connue, sur Cannes 1939 et de mon côté, je m’étais concentré sur Cannes 1946-1947. Ensuite, j’ai sorti un livre sur Willy Ronis (photographe français) qui était plus personnel qui croisait l’histoire syndicale. L’éditrice m’a demandé un autre livre sur Cannes : au début, j'étais réticent parce que j'avais fait deux articles ; puis je me suis rendu compte qu'il fallait faire une synthèse. Il y avait encore des choses à dire, et pour moi, ça permettait de poursuivre une réflexion sur le fascisme et les antifascismes. Puis, j'ai un intérêt pour Cannes, pour le sud-est de la France, que j'aime bien, quoique vivant à paris et originaire de la Bretagne. J'ai vu qu'il y avait à Nice, une histoire populaire du sud-est qui est assez mal connue. J'aime bien incarner l'histoire dans des lieux et des personnages.
Enfin, en écrivant, j'ai eu cette petite thèse que Cannes 1947 prépare les obligations de 1948 pour la loi d'aide, donc je pouvais essayer d'expliquer le discours de Justine Triet de l’année précédente. »
Pourquoi l’étude du cinéma a-t-il été longtemps reservée uniquement aux critiques ?
Le cinéma n'était pas considéré comme un art, un objet d'étude égitime et noble. Ceux qui l'ont légitimé, ce sont les cinéphiles. Donc, il faut passer par l'amour du cinéma, l'amour des films, ce qui est très chouette aussi.
Mais le cinéma ne peut pas se réduire à des films, c'est aussi des salles de cinéma, des productions, des spectatrices.teurs. Donc cette histoire est arrivée relativement tardivement en France, dans les années 70 grâce à Marc Ferro, entre autres, et moi je me raccroche à cette histoire et, venant du social, les historiens du social sont encore plus frileux… J’ai voulu intégrer le cinéma dans l'histoire sociale et l'histoire sociale dans le cinéma. Voilà, c'est mon combat depuis tant d'années.
Comment elles s'imbriquent ?
Elles s’imbriquent parce les films sont des productions sociales, c'est le miroir aussi de de fantasme d'émotions, ça débloque des émotions. On peut pas expliquer le vingtième siècle sans le rôle des images non plus, donc, puisque tangue, et ça a forcément un impact dans l'histoire du mouvement ouvrier qui s'est construit par les images et en réaction à celles-ci en réaction. On ne peut faire l’histoire du Front Populaire en faisant abstraction des films produits par le mouvement ouvrier à cette époque-là.
Comment le mouvement ouvrier a émergé avec le cinéma ? Pourtant il s’est développé avec révolution industrielle, première phase de l’avènement du capitalisme…
Beaucoup de critiques marxistes ont noté cette coïncidence. C’est le seul art né à l’époque du capitalisme, il a concouru à son expansion ! Même le syndicalisme est né à cette époque, comme une réaction de défense, de rassemblement des travailleurs pour défendre leurs droits. Le cinéma est un art très populaire qui pouvait rassembler les masses, donc il y a une contradiction entre un art populaire, qui suivait aussi le goût pour le théâtre amateur. C’est intéressant pour le mouvement ouvrier de s’emparer de ces médias. Les cinémas sont aussi des lieux de travail. Donc, qui dit travail dit capital dit organisations.
Cannes est une réponse à la Mostra de Venise organisée par les fascistes mussoliniens. Des tensions sont apparues entre les délégations ?
Les fascistes ont mis la main sur la chose. Au départ, le festival de Venise est né au début des années trente, et le gouvernement Mussolini le laissait tranquille. C’est avec le durcissement du rôle du régime et le rapprochement de l'Italie avec l'Allemagne nazie que là, ils sont intervenus sur le palmarès. Et c'est devenu flagrant, que c'est devenu un instrument de propagande. Et pourtant, c'est un festival où les Français était très présents et raflaient beaucoup de prix. Jean Zay était ministre des beaux-arts et de l’instruction publique s’est rendu compte que c’était scandaleux. L’année précédente, le film de Jean Renoir n’avait pas eu le Grand Prix sur intervention personnelle de Mussolini. Et après voir Leni Rifenstahl gagner un prix et un film à la gloire d’un pilote d’avion fasciste, ça faisait beaucoup…
Bien sur les tensions sont apparues entre les deux délégations. En en 1939, la guerre éclate, le festival de Cannes n’a pas mais en 1946-47, il y a beaucoup de tensions surtout avec l’Italie qui est redevenu démocratique. La nécessité antifasciste de Cannes n’était plus évidente. Seulement, le projet était lancé : la France était victorieuse mais pas l’Italie. En 1946, c’est plus une fête de la victoire. D'ailleurs, de très nombreux films commémorent ensemble la victoire contre les effets du fascisme et célèbrent la résistance, les résistants comme Raymond Picaud, maire de Cannes et médecin, résistant emprisonné en Italie qui a apporté à la création du festival. Il voulait aussi donner le pion à Rome en 1946…
En quoi la figure du docteur Picaud est-elle fondamentale dans la fondation du festival ?
Ce jour-là, elle paraît très importante et j’essaye de réparer l'injustice, parce que même semble oubliée. En 1945-46, quand c'est l'Etat qui relance le festival, Cannes l'accueille à bras ouverts, se bat pour l’accueillir car il y a Monaco, Biarritz en face. Raymond Picaud s’appuie sur le député communiste de Nice, Virgile Barel dont le fils Max était résistant et a été tué pendant la guerre. Il s’appuie sur des alliances pour relancer son aura et contribuer au combat antifasciste.
Quelle est la place des femmes dans sa conception ?
C'est très compliqué, on a une difficulté d’historiographie, les femmes sont totalement occultées. Définir leur rôle à partir du moment où personne n’a parlé d’elles ou que les archives sont machistes, la place des hommes va être agrandie pour occuper l’espace…
En interrogeant des sources, dans la correspondance, plusieurs personnes transmettaient leur amitié à Elo Barel, la femme du député Barel. Le statut d’attaché parlementaire n’existait pas et je me suis rendu que vu le travail que ces hommes abattaient, ils ne le faisaient pas tous seuls. Elo Barel était aussi résistante. Dans l’article de Christophe Gauthier pour Ecran Rouge, il documente la création de la Cinémathèque Française par des femmes alors qu’en général, on ne retient que 3 noms d’hommes pour la qualifier. Or il y avait une cinéphilie féminine et féministe des années 30 qui attirait l'attention sur la conservation des films.
Suzanne Borel a participé à la création de la Cinémathèque et du Festival de Cannes. Elle est plutôt du début de la résistance, démocrate chrétienne.
Surtout vous expliquez qu’il y a des résistantes qui ont participé à la conception, à la confection…
C'est une dimension très importante parce que, justement, il faut avoir pas une vision viriliste de la résistance ; la résistance ce n’est pas que des actions. Transporter des armes, des écrits, faire du renseignement, ça c'est aussi dangereux. Et la part des femmes est importante. Le palais du festival, est paré lui-même tissus de couture. Les femmes participent aussi à l’enjolivement du festival vu que les travaux sont pas tout à fait finis.
Pourriez-vous revenir sur ce qu’il y a derrière la « Bataille du Palais » ?
« C’est une expression tout de suite chantée comme une bataille, parce que c'était avoir un palais en 1947 était une condition sine qua non pour que le festival ait lieu, pour qu'il soit légalisé par l'état. Le maire Raymond Picaud s'est engagé comme membre du conseil d’administration du festival de Cannes avec les députés dont j’ai parlé. En fait, l’Etat était celui de l’après-guerre, les caisses étaient vides et on doit reconstruire la France endettée. La priorité va dans les infrastructures et pas forcément au palais des festivals. Picaud voit tout l'intérêt d'avoir sur sa ville et pour le cinéma, mais il a d'énormes problèmes de main-d'œuvre et aussi des matériaux.
Ce palais n’aurait jamais vu le jour s'il y avait pas eu une implication syndicale, des militants bénévoles, qui travaillent de jour comme de nuit dans le palais. Près de 200 personnes vont participer comme une ruche à sa première structure en moins de 4 mois. Lors de la première édition, Raymond Picaud fait monter les ouvrier.e.s qui ont participé à la construction, et les faire applaudir. Donc voilà, il y a quelque chose de si longtemps resté dans les mémoires, le souvenir des camarades à cette époque-là, de voir des ouvrières, les ouvriers, en leur palais, se faire applaudir, des festivaliers debout chantant la marseillaise.
Vraiment, c'était une page très importante. Même travail sur les promenades, extrêmement importantes à Cannes et l'aéroport a été remis en état, ce qui permettait de faire venir les vedettes ! »
Pourriez-vous revenir sur le vote de la loi d’aides de 1948 ?
Cette loi est extrêmement importante et importante encore aujourd'hui et méconnue. Elle a été votée fin septembre 1948. Cette loi provisoire au début organise une taxe sur tous les tickets de cinéma vendus en france et est réinjecté dans l'industrie du cinéma via le CNC, créé en 1946. En fait, le CNC, le festival de Cannes et la Fémis (école de cinéma) forment un cercle vertueux pour un cinéma français qui fonctionne et bien financé. Cette taxe est améliorée avec l’avance sur recettes, le régime de l’intermittent, une économie globale qui se construit. Elle est obtenue suite à une mobilisation professionnelle, populaire et syndicale (notamment les manifestations de janvier 1948). Elle est votée à l'unanimité du Parlement. J'aime beaucoup le dire, que tous les députés votent cette loi qui est sans doute préparé par un haut-fonctionnaire, Claude Geyer, ancien résistant militaire communiste qui soufflait au député communiste Fernand Grenier.
Avant cette loi, la France cherche légitimement à réduire sa dette auprès des Américains, ce qui aboutit à la signature des accords Blum-Byrnes (28 mai 1946). Les producteurs américains qui font la politique culturelle américaine, obtiennent que leurs diplomates imposent aux diplomates français que leurs films américains (près de 2000 ont filmés pendant la guerre) débarquent en France sans contrepartie possible. Le parti communiste mobilise les acteurs, les actrices et surtout les spectatrices et spectateurs via les ciné-clubs, pour dénoncer l'impérialisme américain. Donc il y a une espèce de conjonction d'intérêts et on se rend compte que la grève n'est pas toujours l'arme absolue du mouvement ouvrier. Et on aboutit à la révision de ces accords pour le vote de la loi d’aides.
Puis le contexte géopolitique et la guerre froide a rattrapé le climat apaisé du festival jusq’à en faire un terrain de guerre ?
Ça vient un peu plus tard, de manière très brutale. Les gens sont très amères parce qu’il y a l'euphorie de la libération, l'euphorie de la victoire, les acquis sociaux qui sont considérables, tout en sachant que les sacrifices de la population sont très grands, puisque l'Etat favorise la reconstruction des infrastructures et non pas les salaires ou le temps de travail ! Les 40 heures sont loin, les gens sont plutôt à 50-55 heures en fait. Ils acceptent ça parce qu'on pense qu'on reconstruit la France, et ils ont raison puisqu'il y a des contreparties pas que symboliques en termes de droits pour ce faire, la sécurité sociale, fantastique avancée. L’installation du système des retraites, le statut des fonctionnaires, la mise en place du statut des mineurs et des dockers, ou encore la création des comités d’entreprise…. C’est une république sociale qui s'installe. La population est prête à tout sacrifier pour garantir cette politique sociale, surtout grâce à la présence des communiques au gouvernement.
Ils sont écartés au moment de la guerre froide naissante, en mai-juin 1947 ; en fond, il y a une guerre à Madagascar et les tensions coloniales en Indochine qui se développent. On bascule vite dans la guerre froide. Le Parti communiste ne s’en rend pas compte tout de suite. Il faut que l’URSS lui tape sur les doigts pour lui dire vous ne serez plus la partie gouvernement.
Il se rend compte de la situation et devient au contraire plus entreprenant même agressif vis-à-vis de la politique américaine. Cannes est un peu dans une bulle, il y a justement le festival de cannes qu'on veut maintenir. Dans la presse locale, en septembre 1947, on mentionne des grèves, des protestations contre une inflation galopante mais une vraie envie que le festival ait lieu, pour une fête de la paix, des fleurs. La patte communiste s’ajoute en dirigeant ça contre le cinéma américain. Le maire communiste Ryamond Picaud est populaire surtout dans les quartiers populaires. Mais Cannes n’est pas que des quartiers populaires. Donc il perd les élections en 1947, on lui reproche d'avoir trop fait pour le festival. Le cinéma tire son épingle du jeu, avec les manifestations pour la loi d’aides et le fait qu’il échappe à la scission CGT-FO, mais grosso modo, on n'est plus du tout dans la même ambiance.
NB (source : France Culture) : L'édition de 1956 porte à son apogée l'influence de la diplomatie mondiale de guerre froide sur le festival : la Chine communiste et l’Allemagne de l’Est ne sont pas reconnues comme puissances et assistent au festival en tant que simples observateurs. Les Allemands de l'Ouest plient bagage pour cause de film refusé. Les Anglais retirent un de leur film pour ne pas déplaire aux Japonais, les Finlandais retirent le leur pour ne pas déplaire aux Russes, et les Polonais pour ne pas déplaire aux Allemands... Le film français de Cousteau, "Le monde du silence" sera finalement vainqueur cette année-là.
Ça se traduit comment après ?
On respecte le protocole, pensé en 1939, ce sont les Etats qui proposent des films. Il y a vraiment un côté diplomatique, il faut fâcher personne. Le bloc de l'est a un pouvoir d’envoyer des films de propagande et des films pompiers tout en censurant leurs plus grands créateurs. En affaire connue, on peut citer Nuit et Brouillard, film d’Alain Resnais sur la déportation. Le gouvernement allemand fera pression pour que le film français ne soit pas montré et sera victime de deux coupes. Il faudra attendre les années 70 pour de nouveaux protocoles où ce seront plus seulement les Etats mais aussi les producteurs qui proposeront les fils et auront un poids. La cinéphilie reprend du poids.
Quel est le poids du festival dans l’économie du cinéma français ?
Il est considérable, c’est le premier festival mondial de cinéma qui s’adresse à tout le monde.
Il y a un marché vraiment important pour la vie des films. C'est une vitrine formidable, donc les Américains voient tout l'intérêt de venir avec des grosses vedettes. Il y a une forme de rapport ambigu maintenant. C'est devenu une telle vitrine avec tellement de bling-bling. On a du mal à se rappeler ses origines, on a tendance à être agacé et à le caricaturer parce qu'il est lui-même caricatural. Et en même temps il est toujours non seulement une formidable vitrine, y compris de la diversité cinématographique et une assez belle vitrine pour l'économie du cinéma français. On retrouve toujours un match Etats-Unis /France mais il ne faut pas le réduire à ça parce que Cannes reste ouvert sur les scénographies du monde.
Le festival ne demeure pas trop occidentalisé ?
C’est sûr qu’il y a une surreprésentation des vieux cinéastes européens blancs par des hommages aux « grands » cinéastes des années 80-90, très talentueux ce n’est pas la question, Peut-être ça va mieux. Ils essaient de compenser ça par la composition du jury est très paritaire cette année. Ou par des sections parallèles qui se multiplient. Il y a encore du chemin à faire…
Le festival de Cannes est un no man’s land politique selon Jean Cocteau. Que pensez-vous de cette citation ?
Au contraire, je pense que c'est un terrain d'affrontement politique, et alors ça ne se voit pas forcément de manière flagrante. En 1946, c’est vrai il y a une unanimité, toutes les sensibilités se retrouvent… Un affrontement pendant la guerre froide, c'est net ! Après un terrain d'expérimentation et de provocation et d'affirmation dans les années 70, avec une espèce de derniers feux de lutte anti-impérialiste et renouveau du cinéma américain. Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier, réalisateur communiste qui a été emprisonné dans les années 50 gagne en 1972 gagne le prix de critique internationale. Donc il y a un basculement !
Je vous cite « le festival est une vitrine d’un capitalisme obscène et narcissique écocidaire et phallocrate » : est ce une loupe des évolutions que traverse le cinéma aujourd’hui ?
J'étais un peu violent… (rires) Plus que le cinéma, c’est une loupe des évolutions de la société toute entière ! C'est un formidable miroir du monde dans ce qu'il a de plus joyeux, de plus intéressant et parfois de plus angoissant !
Cannes est-il encore contre les fascistes ?
Bonne question..., j’espère… Il faut rappeler cette dimension originelle antifasciste. Ça me semble absolument nécessaire, pas à dire que l’Histoire se répète toujours mais il y a un danger réel partout en Europe, en France de la montée de l'intolérance, de la xénophobie, et tout ça, c'est lié à l’idéologie d’extrême droite.
Du coup, non il ne s'affirme pas comme antifasciste ; malgré tout, c'est quand même un lieu de la diversité et ce qui est projeté à l'écran- en tout cas pas forcément dans la vie de Cannes mais en contenus – ce sont des messages de tolérance, de découverte et de diversité. Ce serait pas mal de réfléchir sur comment combattre l'extrême-droite, notamment depuis 2019.
La secrétaire générale de la CGT Sophie Binet rappelle dans la postface, le contexte de la guerre et dit que cela peut être un instrument pour lutter contre les tensions. Elle rappelle la hausse du budget militaire. Mais on observe d’un autre côté des restrictions, des coupes drastiques sur le budget de la culture et en quoi la culture est un mode d'action politique ?
En tout cas, c'est extrêmement inquiétant parce que souvent, les bêtes de guerre ne sont pas, souvent, systématiquement, il y a deux guerres sont précédées par des moments de hausse du budget militaire. Donc, on ne peut pas traiter ça sans alerter la nation. Ça mérite un débat et il y a pas de débat sur le sur l'arme nucléaire en France, sur le budget militaire. C'est extrêmement inquiétant. La compétition entre les peuples via des films évoqués. Même sans retomber dans du côté des choses un peu dirigiste qui assignerait à l’art un rôle de pacificateur, il l’a par des chemins détournés. On ne peut pas lui assigner que des messages, sinon on tombe dans la propagande et on oublie la part artistique. N'empêche que c'est un moment culturel de rencontre. La salle de cinéma est un moment de rencontre, et le fait de voir la diversité sur écran est quelque chose d'extrêmement important. On distingue un rôle social du cinéma, au-delà, de partage d'émotions, de découvertes de notre monde, et tout ça hors dans un enfermement identitaire.
Comment se porte l’économie du cinéma aujourd’hui ?
Pas si mal, la loi d’aide existe toujours, le cinéma français est toujours un art populaire, Le CNC a une trésorerie assez saine. C’est quasiment un Etat dans l’Etat et on pourrait dire tant mieux qu’on ne laisse pas tous les ministres qui passent de manière fugace gérer le cinéma. Il le gèrera mieux que le Ministère de la Culture…
Le CNC, créé en 1946, a un rôle fondamental ?
Oui fondamental, par l’avance sur recettes (favorise « le renouvellement de la création en encourageant la réalisation des premiers films et de soutenir un cinéma indépendant » selon le CNC), par la loi d’aides, par l’aide au patrimoine, la restriction aux copies…Un rôle qui n'existait pas et qui est apparu des années 80, ce sont les collectivités territoriales qui apportent de l'argent puis viennent les chaînes. Il y a des diverses et des multiples sources financières et c'est pas sans tension et sans complexité, mais le rôle extrêmement important.
Quelle place a la CGT aujourd’hui dans le milieu du cinéma ?
Une assez belle place, pas trop connue, mais beaucoup plus présente dans les métiers du spectacle en général, dans le théâtre par exemple. La culture, c'est aussi du travail avec des droits qui y sont liés. S'il y a une qualité française des films, c'est aussi lié aux très bons techniciens qui ont été formés et qui ont des droits et qu'ils ont raison de les défendre.
Ça existe depuis le Front Populaire. Mais la fédération du spectacle est forte et représentative d'ailleurs, grâce aux mobilisations d’après-guerre de la CGT (FO a à peine mordu dans le milieu du spectacle car ce dernier était assez uni). Alors il y a à la fois l'atomisation des collectifs de travail, comme partout, des réalisations, des externalisations avec le son qui est traité à l’étranger, donc moins de studios. Et en même temps, des intermittents du spectacle qui continue de se mobiliser. C’est un pilier de la démocratie culturelle, qui est souvent attaqué, mais ils ont gardé leur statut, contrairement aux dockers, par exemple, même si c'est menacé ici…
Surtout qu’il y a une baisse de la syndicalisation en France…
Oui il y a eu un regain d’adhésion avec la mobilisation contre la réforme des retraites, tous syndicats confondus. Il faudrait garder cette dynamique… Ce sont la fédération du spectacle et les journalistes, qui ont gagné le plus d’adhérents, ces deux fédérations vont peut-être se réunir…
Crédits photo : AFP
« Tapis rouge et lutte des classes », par Tangui Perron, éditions de l’Atelier, 2024, 144 p. 16 euros.