Orgueil, poursuite et décapitation : Retournement du stigmate pour un ovni théâtral - Théâtre de Belleville (Paris)
Un phare dans les ténèbres ? Non, la libération de nos ténèbres. C’est d’une cabine en verre que Marion Aubert (Juliette Bargain), clouée à sa chaise, convoque un langage féroce, sensible et brutal autour de ses personnages. Co-directrice du département de l’écritude l’ENSATT à Lyon, ses textes remarqués ont tellement conquis Nina Campan et son collectif Un soir Un chien, qu’iels ont décidé de se l’approprier dans le cadre des travaux de fin d’études au Cour Florent.
Ne cherchez pas un fil à cette histoire, il n’y en a pas ! Le destructuré est de mise, est une forme de pied de nez aux écritures et mises en scènes « classiques » respectant les traditions du milieu et les commandes des directeurs de théâtre majoritairement masculins. Orgueil, poursuite et décapitation dépèce la domination sous toutes ses formes. Comme énoncé dans la sous-titre comédie hystérique, la folie et l’hystérie ont toujours été associées aux femmes de manière à les décrédibiliser et asseoir une supériorité patriarcale. Un soir un chien retourne le stigmate et se sert de cette folie pour tirer des récits de vie, de violences, de pensées intrusives jusqu’aux fantasmes les plus inavouables. Tout cela symbolisé par les chonchons, dont la signification n’est point évidente de prime abord. Ils apparaissent chacun.e leur tour : enfant ingérable à la salopette bleue aux airs de poupée Chucky, belle-mère marâtre dégoutée par sa belle-fille et soucieuse de son impact sur la beauté de son fils chéri, secrétaire soumise avec quelques injections de misogynie intégrée, directeur de théâtre libidineux ou femme au foyer qui tente de sortir de la violence…
Tous ces personnages défilent devant leur créatrice, avec le surmoi HS et la permission à toute la bassesse et aux dingueries possibles, rendant le spectateur à la lois hilare, perturbé et irrité. Cette liberté d’écriture qu’étale Juliette Bargain, en étonnante Marion Aubert, sur les parois de la cabine commence à lui monter à la tête si bien que ses personnages se révoltent contre elles. Coup de tonnerre dans la mise en abyme, sur les difficultés d’être dramaturge et actrice, qui rajoute l’idée à nous spectateurs.rices qu’il est aussi bénéfique de sortir d’un schéma narratif traditionnel pour souligner nos folies, peurs et joies.
Cet ovni théâtral ne serait ce qu’il est sans la fougue du collectif Un soir un chien : Juliette Bargain, Margaux Hajjar, Charlotte Moinat et Morgane Patton forment un quatuor complémentaire où chacune se sert de l’humour à l’échelle de leur personnage avec brio. Mention spéciale à Charlotte Moinat qui prouve une aise totale avec le plateau, entre espièglerie enfantine et folie réjouissante. Rémi Giordan, unique homme de cette distribution, est très convainquant en mâle puant (ce genre d’homme qui fait péter les scores de la misandrie).
« Ne faites pas semblant d’avoir tout compris ». Sur ces mots s’achèvent la pièce intense de Marion Aubert ; parce que oui le sens est à laisser en bas des escaliers du théâtre sans obligation de tout comprendre. Orgueil, poursuite et décapitation appuie sur nos tabous, sur la dénonciation de la domination patriarcale comme créative et sur les restants de nos idées, coincées dans le dédale de notre imagination.
Crédits photos : DR
Orgueil,poursuite et décapitation
Écrite par Marion Aubert
Mise en scène et musique par Nina Campan
Interprétée par Juliette Bargain, Rémi Giordan, Margaux Hajjar, Charlotte Moinat, Morgane Patton
1h20
Les mercredis, jeudi et vendredi à 21h15/ le samedi à 19h15
Théâtre de Belleville, Paris
Jusqu’au 28 septembre 2024
Jade SAUVANET