L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt : Une célébration exquise de « La Divine » – Théâtre du Palais Royal (Paris)
Entrez Sarah Bernhardt, avec votre terrible cortège ! Si on se permet cet emprunt à André Malraux (lors de la panthéonisation du résistant Jean Moulin en 1964), c’est parce que la comédienne est tout aussi devenue sacrée dans le monde du théâtre français, et même du théâtre tout court ! Un siècle après sa mort, elle revient sur le devant de la scène.En 2023, une exposition a été consacrée à ce modèle d’émancipation au Petit Palais, à Paris. Et le 18 décembre, Bernhardt sera incarnée au cinéma par Sandrine Kiberlain dans Sarah Bernhardt, la Divine (de Guillaume Nicloux). C’est au tour de la metteuse en scène de la Comédie Française, Géraldine Martineau de se plonger dans la vie d’un mythe.
Habituée à peindre le destin de femmes, aussi fantastique avec la Petite Sirène que d’époque avec La Dame de la Mer d’Henrik Ibsen, le défi est de taille au vu de l’héritage qu’a laissé « la Divine ».
Un projet aussi faramineux d’une pièce biopic peut toujours laisser des doutes quant à l’adaptation. Comme au cinéma, le biopic comporte des écueils si le scénario/l’écriture tombe dans le menu déroulant d’une vie ou un tiroir à performances. Que nenni ! S’ouvre une fresque historique pleine de vitalité où les tableaux marquent les instants fondateurs de la vie de Sarah : sa scolarité au couvent de Grandchamp à Versailles à sa tournée américaine, sa démission ou plutôt ses démissions fracassantes de la Comédie-Française, sa prise de poste en tant que directrice du désormais Théâtre de la Ville (ex-Théâtre des Nations), son audition au Conservatoire ou encore sa rencontre avec Victor Hugo…
Sarah Bernhardt fut plus qu’une actrice des planches, une actrice de la modernisation culturelle et sociétale dans cette ère de révolution industrielle et de guerres mondiales. Attachée à une famille dont la mère ne lui accorde peu d’attention, elle s’efforce de trouver le modèle de vie qui lui va comme un gant, quitte à scandaliser. Son étiquette de mère célibataire, inconvenable au début du XXème siècle, fait écho aux on-dits attribués à ce statut de nos jours. La chronologie des évènements illustre comment Sarah est devenue Bernhardt, libre et ambitieuse, rejetant les diktats.
Son histoire est racontée comme une épopée aventurière, comme si les pages d’un livre défilaient à tout vitesse. Le rythme est soutenu pour tenir toute une vie en une heure cinquante mais ne gomme jamais les émotions, tout cela accompagné du violoncelle de Florence Hennequin et du piano et de la clarinette de Bastien Dollinger. Les magnifiques costumes de Cindy Lombardi et la scénographie de Salma Bordes s’adaptent à la vitesse de la vie de la star de théâtre. Les robes bouffantes s’enfilent les unes sur les autres, au milieu d’une Salle Richelieu qui se mue en Ouest Américain.
Au milieu des dorures de l’historique Théâtre du Palais-Royal, Estelle Meyer déploie son aura, sa fougue propre à elle (déjà repérée dans Niquer la fatalité) pour incarner l’interprète de l’Aiglon. Une Sarah Bernhardt pleine de grâce au timbre de voix lent et parfait pour la tragédie sans poussière ou exagération. Elle fait corps avec « la Divine ». A ses côtés, 8 comédien.ne.s virevoltant.e.s nous content l’épopée de la vie culturelle parisienne de la Belle Epoque à travers diverses rencontres de la comédienne. Mention spéciale à Sylvain Dieuaide qui interprète son fils Maurice avec espièglerie.
Géraldine Martineau réussit son pari de faire de L’Extraordinaire Destinée de Sarah Bernhardt la pièce de la rentrée théâtrale à ne pas rater, redonnant vie à l’Impératrice le temps d’une soirée, grâce à une Estelle Meyer qui brûle les planches, et sublimant les textes classiques, joués à quelques mètres du théâtre à la Comédie Française. Au milieu d’un public conquis, se trouvait le directeur du théâtre du Palais Royal, Sébastien Azzopardi, qui est aussi l’arrière-arrière-arrière-petit-fils de la comédienne. L’héritage n’est pas près de s’éteindre !
Crédits photos : Fabienne Rappeneau
L’Extraordinaire Destinée de Sarah Bernhardt
Écrite et mise en scène par Géraldine Martineau
Interprétée par Estelle Meyer, Marie-Christine Letort, Isabelle Gardien, Blanche Leleu, Priscilla Bescond, Adrien Melin, Sylvain Dieuaide, Antoine Cholet, Florence Hennequin, Bastien Dollinger
1h45
Du mardi au dimanche à 20h30 / Relâche les lundis
Jusqu’au 31 décembre 2024
Théâtre du Palais-Royal (Paris 1er)
Jade SAUVANET