Les Femmes au balcon de Noémie Merlant : un bijou comique, horrifique et gore qui fait catharsis – Contre critique
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Avec Mi iubita mon amour, Noémie Merlant avait surpris la Croisette en sortant du cadre. Cette fois-ci, la réalisatrice et actrice le casse avec Les Femmes au balcon. Découverte dans les films de Marie-Castille Mention-Schaar, c’est à l’occasion du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et son personnage de la peintre Marianne que s’opère la rencontre avec le public. 2024 semble constituer une autre étape marquante de sa carrière entre le défi Emmanuelleréadaptée par Audrey Diwan à la rentrée et désormais, les Femmes au Balcon présentée en Hors-Compétition lors de la Séance de Minuit en mai dernier.
Les points divergent au sein de la rédaction de Baz’art à son propos. Notre rédacteur en chef Philippe ne semble pas avoir été convaincu, comme il l’explique ici. Reposons le cadre pour comprendre la suite.
Le soleil tape sur la Canebière. Le bitume dépasse les 50°. La fable s’ouvre sur un panel de fenêtres ouvertes avec un monde se penchant vers l’extérieur, désireux de trouver rien qu’une brise d’air. Les vêtements tombent, plutôt suspendus aux balcons, comme ceux des héroïnes. Nicole (Sandra Codreanu) cherche l’inspiration de sa terrasse, une inspiration qu’elle discerne chez ce voisin mystérieux d’en face brun torse-nu pour une prochaine romance. Remplie de doutes (distillés par son professeur d’écriture qui lui demande de respecter les codes de narration), elle est rejointe par son amie et colloc Ruby, qui l’encourage entre deux moments de travail. Son travail, Ruby le tire de la puissance de son corps : elle est cam-girl et aime beaucoup son métier. Élise, comédienne au bout du rouleau, débarque en panique chez ses copines, étouffée par son harceleur de mari. Ici, le female gaze inverse les rôles : les trois femmes matent le voisin d’en face (Lucas Bravo, aussi connu comme Gabriel le cuistot beau gosse d’Emily in Paris), l’objet caché du prochain livre de Nicole. Celui-ci les invite à prendre un verre, à danser jusqu’à un flash… Une lumière blafarde qui introduit le choc, celui de Ruby. Celle-ci est violé et se défend, tuant son agresseur sur le coup. Trois réactions différentes s’opèrent face à la violence : la sidération (depuis longtemps documentée comme un symptôme du stress post-traumatique), le cri d’effroi chez Elise et l’action pour Nicole. Que faire de ce cadavre dans le placard ? Son poids (au sens propre comme figuré) s’ajoute aux fantômes du passé, provoquant en chacune d’entre elles une explosion libératrice.
La réalisatrice s’inspire de sa bande pour écrire leur histoire, celle qui l’accompagne depuis au moins deux films et même plus. On peut citer Céline Sciamma, sa réalisatrice de Portrait de la jeune fille en feu, qui l’accompagne à l’écriture ou encore Sandra Codreanu, déjà aperçue dans son premier film, qui est aussi sa meilleure amie. Elles sont collocs à l’écran comme elles l’ont été dans la vie, une période salvatrice comme la réalisatrice l’a confié lors de plusieurs interviews. Autre référence personnelle : Magnani est photographe, évoquant la figure d’un agresseur passé dont l’actrice-réalisatrice a déjà parlé dans la presse. Les Femmes au balcon consacre les amitiés féminines, comme on l’attendait depuis longtemps.
Des amitiés qui créent un espace où les corps et les esprits se délient, où comme Elise l’affirme « on peut être vraiment nous-mêmes qu’entre (elles) ». Les langues aussi se délient dans l’unique but de se libérer des traumatismes. Cette vision rejoint celle développé par la journaliste Johanna Cincinatis dans son livre Elles vécurent heureuses (Ed. Stock).
Les amitiés féminines ne seraient plus une « salle d’attente » entre célibat et couple hétéronormé mais un véritable idéal de vie : "Tout comme pour le couple, certaines femmes ont donné un aspect sacré à leur amitié féminine, en se pacsant, en se mariant, en vivant ensemble, en invitant les copines à la maison pour Noël ou pour la Saint-Valentin. Elles officialisent cette amitié, comme on peut le faire pour un couple" expose la journaliste.
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Noémie Merlant fait de ce moment un objet unique de cinéma, réinventant le film de genre. Dès le plan séquence d’ouverture, les références sont nombreuses : la lunette hitchtcockienne qui s’appose sur les fenêtres du quartier marseillais où chacun des voisins s’observent et se matent (fait plus rare, les femmes matent les hommes et l’affirment haut et fort), l’univers hyper coloré des trois protagonistes qui n’est pas sans rappeler les clins d’œil à Pedro Almodóvar ou encore la comédie burlesque avec Denise (Nadège Beausson-Diagne), voisine du haut de ces femmes au balcon, qui s’assoit pour tuer son mari après qu’il l’ait frappé ou Élise qui démystifie Marilyn Monroe (un peu de suspens).
Tout ceci emballé dans un beau paquet cadeau assez jouissif de gore et d’horrifique, aux influences coréennes (pourtant pas mon genre de prédilection mais que je commence à aimer peu à peu). Un choix qui lui alloue plus de liberté comme elle l’explique à France Culture : « Le gore et l’humour permettent pour moi de traiter de beaucoup de choses que j’aurai eu beaucoup de mal à montrer frontalement. Osciller entre le gore, le burlesque et le fantastique permet aussi de se moquer des agresseurs, d’évacuer des chose ». Sans oublier les quelques gouttes de fable mi utopique.
De ce mélange de genre, il en ressort un parti pris clair : oui les hommes vivants comme morts, sont à balayer parce qu’ils n’apportent qu’une chape de plomb, de chaleur à l’oppression vécue par ces femmes. Ils les dérangent dans leurs esprits, ne veulent pas perdre l’ascendant ni leur permis d’occuper tout l’espace public. Le « female gaze » est un outil de décorticage des violences de genre, celles invisibles, normalisées et perpétuées. Il balaye toute sexualisation du corps féminin, laisse Nicole qui ne veut pas se montrer car elle n’arrive pas à se regarder dans un miroir, dans lequel son passé refait surface ou Ruby (grâce à la fougue de Souheila Yacoub) qui, topless, veut prendre tout l’espace comme les hommes.
Quant à Élise, elle étouffe, cherche à se libérer des diktats de son corps jusqu’à ce qu’il soit violenté par son mari. Rare représentation du viol conjugal, la séquence est forte, celle d’un homme qui ne se rend compte que son chantage abusif aura des conséquences irréversibles. A force de tout garder, rage, peurs et rire nerveux rejaillissent. La catharsis s’amorce auprès des fantômes du passé.
Cette impression de manque de fil conducteur, comme regretté par mon confrère, n’est point un manque de bases du scénario comme cela a été déploré par d’autres critiques mais un brouillard certes déroutant qui correspond exactement à cette volonté de casser les codes sur tous les plans, de sortir des regards masculins (ça progresse peu à peu) à repenser de nouvelles fins, d’une utopie loin du happy ending traditionnel, autant pour cette histoire que pour celle de Nicole (je n’en dirai pas plus).
La nouveauté a toujours tendance à choquer avant qu’elle soit répétée plusieurs fois jusqu’à en devenir institutionnalisée. Ce brouillard n’est-il pas le ressenti qu’ont ces héroïnes et les femmes, un symptôme de traumatismes subis et des violences que ces messieurs ne voient absolument pas ?
Ne se sentent-ils pas offensés à l’idée qu’on fasse comprendre que leur attitude est oppressante (c’est ça quand on est trop habitués à vivre dans un monde socialisé pour eux) ? On pourrait citer rien que Paul, le mari d’Élise, cette espèce d’enfant qui serait soi-disant respectable par son statut social d’avocat.
Noémie Merlant reconfigure le film de genre selon moi pour offrir un moment de sororité jouissif et salvateur.
La violence exposée est certes crue mais nécessaire dans le propos.
Le trio éclectique et électrique transmet beaucoup d’émotions à la fois belles, déchirantes et rageantes, avec un grand coup de cœur pour le jeu de Sandra Codreanu. Les dernières paroles font monter les larmes jusqu’à explosion de notre côté. Qu’il est bon de voir ce genre de film !
Crédits photos : Nord-Ouest Films
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Les Femmes au balcon
Réalisé par Noémie Merlant
Avec Souheila Yacoub, Sandra Codreanu, Noémie Merlant, Nadège Beausson-Diagne, Lucas Bravo et Christophe Montenez
En salles depuis le 11 décembre 2024
Jade SAUVANET
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