Baz'art  : Des films, des livres...
31 décembre 2024

Entretien avec Noémie Merlant pour son film "Les Femmes au balcon"

Les Femmes au balcon de Noémie Merlant,  sorti en salle mercredi 11 décembre n’a pas fait l’unanimité parmi nos rédacteurs, entre ceux qui avaient des réserves sur le coté jusqu'au boutiste du film  et celles qui ont adhéré à 100% à son propos féministe et son traitement burlesque et jubilatoire.

Par contre, ce qui a mis tout le monde d'accord, c'est la personnalité de la réalisatrice elle même, une Noémie Merlant qu'on a pu rencontrer fin novembre sur Lyon lors de la présentation de son film.

Ce qui a été l'occasion d'un échange à battons rompus sur la violence de notre époque et la génèse du projet :

 

Quelle était l'envie narrative qui a guidé ce film et comment expliquez-vous la rupture de ton avec votre premier long métrage Mi iubita mon amour?

Noémie Merlant :   Après le mouvement MeToo et avec l'effet du confinement, tout m'oppressait.  Mes traumatismes, les agressions que j'ai vécues, tout remontait à la surface.

J'ai quitté du jour au lendemain mon compagnon pour aller me réfugier chez ma copine Sanda Codreanu ( qui joue Nicole, dans le film - NDLR).

Nous avons vécu ensemble, avec ses soeurs, pendant quatre mois. L'idée de départ, de cet appartement, de cette amitié entre femmes contre le patriarcat, est née sur son balcon. Beaucoup de choses du film font écho à ce qu'on a vécu là-bas.

Quand on a commencé à écrire, les personnages portaient nos prénoms. C'était nous, quoi !

Très rapidement il nous est apparu que la meilleure forme pour cela était un mélange de cinéma de genre.

Le film revendique la liberté et le droit au trop, au mauvais goût. 

La violence contenue chez les femmes s'accumule depuis si longtemps qu'elle explose dans l'optique d'un apaisement, et d'être entendues aussi.

C'est d'ailleurs ce que  constate l'une des trois héroïnes : 'Elles ont atteint leur quota de tolérance.'

Ce qui fait écho à l'une des phrases les plus marquantes du film : « Nous ne pouvons être nous-mêmes qu'entre nous. » Au fait, ça veut dire quoi?

Noémie Merlant :   Vaste question.... Élise, mon personnage, le ressent très fortement en le disant, mais elle a aussi une pointe de tristesse. Parce qu'elle aimerait être elle-même tout le temps, avec tout le monde.

C'est mon cas aussi. Mais, au moins, c'est déjà ça : elle peut être elle-même avec ses copines.

Être soi-même, qu'est-ce que ça veut dire? C'est ne plus avoir à penser au regard de l'autre, ne pas être sur ses gardes en permanence.

Dans le film, mon personnage change de corps à mesure qu'elle est avec ses copines. Elle ose prendre plus d'espace, elle ose dire ce qu'elle pense.

Dans votre  film, les héroïnes expriment sans ambiguïté, ni pudeur pour l'une d'entre elles, leur attirance pour le voisin d'en face. C'est quelque chose de  politique de montrer le désir féminin de cette façon là?

Noémie Merlant :   Je tenais  vraiment à  montrer comment les femmes peuvent elles aussi être excitées par la vision d'un homme torse nu ou les fesses à l'air

Le problème n'est pas l'excitation mais le contrôle, savoir retenir un regard libidineux, ses envies, ses pulsions.

C'est normal de ressentir des choses, mais contrairement à lui, ces femmes n'imposent rien à cet homme. C'est très récent le fait d'aborder le sujet du plaisir féminin. 

On a été élevées pour faire plaisir à l'homme, on n'y peut rien c'est presque du domaine du sociologique.

Qu'une femme soit mystérieuse et qu'elle n'ait pas accès à ses désirs mais soit dans la réponse de ceux de l'homme fait qu'elle ne connaît pas son corps.

Ce mystère nous a été imposé. Il y a un côté fantasmatique qui permet à l'homme de se projeter.

La femme n'est jamais représentée autrement que pour aider, supporter ou manipuler, et elle ne peut s'affirmer puisqu'elle ne sait pas qui elle est.

Comme le font aussi des réalisatrices comme  Julia Ducournau ou Coralie Fargeat, vous vous appropriez le cinéma de genre pour parler féminisme et patriarcat. Est-ce plus facile de traiter ses sujets à travers ce prisme quitte à y aller parfois un peu très fort ?

Noémie Merlant :   Plus que facile, c'est quelque chose de vital pour moi. Pour parler des agressions, de la lutte contre l'oppression, j'avais besoin d'aller vers l'humour, et vers le gore, comme une catharsis, un exutoire.

En passer par le drame et par le sérieux, cela aurait été la double peine : tu es une victime, et en plus on ne t'autorise pas à rire de la violence, à l'évacuer.

 Après,  que tous les spectateurs n'adhèrent pas forcément avec cette radicalité que je leur propose, je le conçois aisément, c'était la loi du genre et de ce parti pris qui refusait à tout prix le consensuel...

 

Comment avez-vous écrit le triptyque d'héroïnes volontairement archétypales ?

Le film a un côté un peu BD ou conte assumé, avec des personnages très marqués.

Nicole est une amoureuse secrète, pudique.

Au contraire, Ruby est complètement libérée, polyamoureuse, bisexuelle, camgirl - une mauvaise victime, aux yeux de la société, car elle aime le sexe.

Enfin, Élise est maladroite, n'a jamais d'espace à elle. Elle étouffe dans le rôle de femme mystérieuse de papier glacé qu'on lui assigne.

C'est pour ça qu'elle débarque déguisée en Marilyn Monroe, une image mythique qu'on va ensuite casser.

 

Comment se pose la question de la représentation du corps féminin et de votre propre corps, que vous mettez en scène chez le gynécologue ?

Noémie Merlant :   Je voulais faire quelque chose de très frontal et des corps qui ne s'excusent pas d'être là. Cela passe par de la vulgarité : une arme pour se libérer en tant que femme.

Il fallait filmer des corps autrement, comme Nicole qui ne veut pas se montrer, ou Ruby qui se balade torse nu comme un homme quand il fait chaud. Un vrai corps de femme qui ne cherche pas à plaire, juste à exister dans l'espace.

Pour la scène de gynécologie, elle exprime de la honte et de la solitude. Élise est démunie sur cette table d'examen. En même temps, ça la rend puissante.

Elle est profondément vivante.

Que pensez vous de notre société actuelle avec ces réseaux sociaux qui se muent en tribunal populaire à la place des tribunaux judiciaires institutionnalisés?

Noémie Merlant :   Le tribunal populaire dont vous parlez existe depuis la nuit des temps.

La foule, qui a toujours eu besoin de s'exprimer, dispose en effet désormais  de beaucoup plus de place pour le faire grâce aux réseaux sociaux.

Cette soif de justice prouve qu'il y a un souci dans son fonctionnement, lui-même imprégné par le patriarcat.

Mais ce regard commence à changer, notamment avec la tragédie de Gisèle Pelicot.  On aimerait y croire...

Mais vous savez, malgré la libération de la parole à l'échelle mondiale déclenchée par l' affaire Weinstein , le logiciel masculin peine à être rebooté.

En février dernier, à Reims, un jeune homme de 24 ans, accusé de viols, se défendait ainsi : « Un viol, c'est méchant, on déshabille de force. Elle ne s'est jamais débattue, même si je savais que, parfois, elle n'était pas d'accord. Elle était en mode 'non', mais elle a laissé faire... »

 

Pouvez vous déjà nous dire un mot de votre nouveau projet en tant que cinéaste?

Noémie Merlant :   Je suis en train d'écrire un autre film, l'adaptation d'un livre de Cristina Rodriguez, nous travaillons ensemble, ce sera un péplum, mais ce terme n'est pas très heureux, car il est trop connoté.

Alors, disons juste que ce sera une sorte de  péplum queer et punk ( sourires) . 

"Les Femmes au balcon », de Noémie Merlant, avec Souheila Yacoub, Sanda Codreanu, Noémie Merlant... En salles depuis le 11 décembre.

Encore à l'affiche

Crédit photo Fabrice SCHIFF

Merci à Pathé Lyon et à Tandem films

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