Robin Campillo : « Il fallait que ce soit un film à mi-chemin entre Laurent et moi ! »
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Robin Campillo, réalisateur de Enzo, le film de Laurent Cantet, était de passage à Lyon au cinéma Le Comoedia . Ce très beau film nous fait découvrir l’étonnant Eloi Pohu dans son premier rôle ainsi que des acteurs non professionnels formidables, et nous donne le plaisir de retrouver Elodie Bouchez, et Pierfrancesco Favino. Le film tourné et monté par Robin Campillo a été imaginé par Laurent Cantet et co préparé par les deux cinéastes alors que Laurent Cantet était malade d’un cancer. Il est mort sept semaines avant le tournage. Rencontre avec Robin Campillo.
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Comment s’est passé la passation de relais entre Laurent Cantet et vous ?
Il y a environ deux ans Laurent m’avait parlé de son projet, et j’étais très enthousiaste. C’est peu après qu’il a appris le diagnostic de son cancer.
Je lui ai proposé de l’aider sur le film pendant qu’il allait suivre son traitement. On pensait qu’il allait pouvoir guérir, mais on a su que c’était plus grave. On avait bouclé le scénario, commencé les repérages, le casting des acteurs principaux était fait.
Puis il est tombé très malade, je suis allé le voir dans sa chambre et lui ai dit que j’avais très envie de faire le film, je pense qu’il a été heureux que cela se poursuive. Il est mort quasiment le lendemain.
Nous avons commencé le tournage sept semaines après. Gilles Marchand, le co scénariste et Marie-Ange Luciani, la productrice m’ont accompagné. Le pire aurait été de devoir jeter le scénario.
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Comment avez-vous fait la part des choses entre le travail avec Laurent et votre réalisation ?
J’en avais parlé avec Laurent et je lui avais dit que je n’étais pas sûr de pouvoir faire un film « à sa manière ». C’est le film qui nous impose un peu sa loi quand on réalise. On fait des films un peu comme on peut. J’avais l’autorisation de Laurent de faire ce que je voulais, mais lorsque je trouvais qu’une scène n’était pas bonne, je faisais un grand conciliabule avec Gilles Marchand, Marie-Ange Luciani, et l’équipe.
Par exemple, une scène mettait trop avant le coming out homosexuel, j’ai trouvé que c’était d’un autre âge, on ne l’a pas gardée. En revanche on pense spontanément que le fait qu’Enzo soit attiré par un mec, cela vient de moi. En fait pas du tout c’est Laurent qui voulait ça.
Je pense qu’au final on serait arrivé peu ou prou aux mêmes conclusions avec Laurent. Si je prenais du plaisir à filmer ce que je filmais, Laurent aurait été content. On avait le sentiment d’une forte présence de Laurent, mais on était dans le faire, cela nous a protégé de la tristesse, qui est revenue un peu plus pendant le montage.
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Est-ce que vous aviez la même vision du personnage d’Enzo ou l’avez-vous remodelé ?
En fait, on avait la même idée de ce qu’il devait faire et de ce qu’il devait dire, mais n’on avait pas la même vision de ce que ça signifiait. Au final le film met beaucoup de lumière sur beaucoup d’ambiguité.
Avec Laurent on avait en tête le personnage de Bartleby, on voulait éviter le personnage simpliste de l’ado qui veut échapper à ses parents.
Puis on est tombé sur Eloy Pohu qui est venu au casting. On a trouvé qu’il avait quelque chose d’opaque, d’étrange qui donnait toute l’ambiguïté au personnage.
Il ne voulait pas se mettre en colère face au personnage du père mais on a trouvé ce truc de parler comme à soi-même en face de l’autre, et de balancer tout ça au visage.
On ne sait plus trop s’il est attiré par le fantasme de la guerre en Ukraine, par le personnage de Vlad l’Ukrainien dans le film, ou s’il aime véritablement les chantiers où il travaille, alors qu’il vient d’un milieu bourgeois.
Et le personnage du père est aussi un peu perdu …
L’acteur Pierfrancesco Favino voulait jouer un personnage de père doux et bienveillant, il en avait assez de jouer des personnages de méchant, de mafieux…
Je lui ai dit « Ne t’imagine pas que tu vas passer pour le bon père de famille à l’écran, tu passeras comme manipulateur si tu n’engueules pas frontalement ton fils…
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Dans votre parcours de cinéaste et de créateur, c’est une histoire peu banale…Qu’allez vous faire de cette expérience ?
Je pense que c’est un don de Laurent pour moi de me permettre de faire ce film à sa suite, j’ai appris sur le cadrage, la lumière, sur ma façon de filmer. Ça m’a fait évoluer. Avec Laurent on pensait parfois les mêmes choses en même temps. Il fallait quand on travaillait ensemble, que ce soit en quelque sorte un film à mi-chemin entre lui et moi.