Haneke, le perfectionnisme à l'état brut
Allez, après quelques hommages à des cinéastes français décédés (Corneau, Miller, Chabrol), pourquoi ne pas changer de cap et rendre hommage à des cinéastes étrangers, et si possibles vivants? Cela serait un peu plus léger, comme perspective, vous ne trouvez pas?
Bon léger, c'est vite dit, car c'est pour parler de Michael Haneke, qui n'est pas non plus le plus fun et le plus divertissant de nos cinéastes en activité, mais alors que le festival bat son plein ( je reviens trés vite dessus pour faire un premier bilan), quoi de plus adéquat que de parler du cinéaste qui a été consacré l'année dernière, non seulement par le Festival du Président Moretti, mais également par les Césars et les Oscars?
J'ai en effet lu passé la soirée avec Michael Haneke pour essayer de percer les secrets de son cinéma, qui a, pour la première fois, fait la quasi unanimité l'année dernière avec son Amour dont j'avais vanté toutes les qualités dans un billet quand même un peu mitigé.
Ce livre, fruit de cinquante heures d'entretiens échelonnées sur deux ans entre Paris et Vienne, permet à cet homme secret et cinéaste exigeant "d'exprimer sa conception du 7e Art et sa perception du monde".
Haneke revient sur sa jeunesse et ses mises en scène au théâtre avant d'évoquer, film par film, son travail à la télévision et au cinéma, de ses débuts, en 1974, jusqu'à "Amour", son deuxième film à recevoir la Palme d'or (en 2012), après "Le Ruban blanc" en 2009.
Le fruit d’une alchimie entre des échanges passionnés de trois personnalités sur deux années écoulées, avec le cinéaste autrichien.
Au gré des échanges, anecdotes, récits et confidences sur l'art de faire un film se succèdent pour dégager l'image d'un créateur singulier, perfectionniste et plein d'humour, en dépit de l'univers sombre de son oeuvre.
Il raconte comment, adolescent, il était "révolté contre tout" puis avait songé devenir pasteur. Comment il a débuté au théâtre grâce à sa petite amie. Confie avoir vu "Le Miroir" de Tarkovski un nombre incalculable de fois et avoir été marqué à jamais par "Salô" de Pasolini: "je l'ai vu une seule fois, parce qu'il est terrifiant".
L'ouvrage est passionnant, tant l'homme n'est pas avare en confidences : on découvre l'envers du décor, le tournage des scènes de violence, de sexe, mais aussi "l'arrière-boutique", du choix des acteurs ( Haneke est très pointilleux sur le casting, pouvant imposer des acteurs contre les producteurs, ou changeant d'acteur principal en plein film car il ne lui donnait pas du tout satisfaction) au montage, sans oublier aux éclairages et décors, la musique, de l'adaptation d'un roman au cinéma.
Haneke nous dévoile également des anecdotes poignantes, comme la façon dont Annie Girardot , souffrant déjà de la maladie d'Alzheimer, est parvenue au bout du tournage de la Pianiste ou de Caché...
On découvre aussi quelques pans biographiques de la vie d'Haneke, ses débuts au théâtre, mais aussi des références, ses réflexions,ses propres critiques sur certains passages de ces films au résultat ne correspondant par à ses attentes, bref, il ne s'agit bien pas d'une explication de ses films, mais un bon moyen d'entrer dans cet univers particulier, et cela donne envie de voir ou de revoir certains films, d'un autre oeil, en étant plus attentif à certains détails évoqués dans ce livre.
Haneke par Haneke parvient à effacer, du moins en grande partie ( on voit quand même que l'homme possède un sacré caractère et sait ce qu'il veut) l’image un peu trop austère et moralisatrice de Michael Haneke controversé et dessine au contraire l’image d’un créateur contemporain, des plus singulier, mais qui est toujours taraudé par la recherche d'un vrai perfectionnisme.