Le Journal d'une femme de chambre , quand Benoit Jacquot réussit à moitié son adaptation..
Quelques mois à peine après le très beau Trois coeurs qui avait énormément emballé le mien ( de coeur), Benoit Jacquot est sur grand écrans avec son Journal d'une femme de chambre.
En adaptant le roman d’Octave Mirbeau, Benoît Jacquot, familier des beaux textes et des grands films, livre, après Renoir et Bunuel ( deux films qui manquent à mon palmarès) sa propre interprétation de la lutte des classes et de l’implacable loi de la domination.
Après plusieurs adaptations cinématographiques, Benoît Jacquot nous propose une nouvelle lecture plus proche du roman initial.
Octave Mirbeau publie ce roman insolent et virulent en 1900, réquisitoire féroce contre une classe dominante au détriment de la condition esclavagiste des gens de maison, ainsi qu'une critique caustique de l'étroitesse d'esprit de la bourgeoise provinciale.
Le ton est y alors très moderne pour l’époque tant cette critique d'une société totalement compartimentée, est acerbe, incisive, est elle l’occasion de brosser au scalpel une étonnante galerie de portraits, dans une violente satire des moeurs provinciales et parisiennes de la Belle Époque.
Si Jacquot ne retrouve sans doute pas tout à fait le mordant de la plume de Mirbeau, il parvient quand même à retranscrire avec une pertinence saisissante ce monde alors en pleine mutation , et d'avoir su s'emparer de cette esprit de révolte, encore feutré, mais déjà suintant, que l'on sent partout dans l'air ambiant.
Un monde dans lequel les domestiques acquièrent des droits, et ou leur classe commence à s’effriter, pour accéder à une sorte dl'indépendance qu’ils ne sont pas très surs de bien vouloir.
Cette question si pertinente, et même si dérangeante de l’asservissement volontaire ( que le personnage de célestine exprime d’ailleurs en voix off ) fait tout le sel du roman et du film de Jacquot. Comment s'affranchir de sa condition sociale, et en fait, le désire t- on vraiment au fond de nous? Cette question, souvent présente dans les films de Jacquot est ici traitée avec pertinence et acuité, avec évidemment ce magnifique personnage de Celestine.
Jeune femme lucide, très ,intelligente , et en même temps consciente qu'elle ne se trouve pas vraiment à la place qu'elle devrait occuper dans la société mais également lucide sur ses manques et défauts. .A la fois insolente , mais dont l’apparente assurance ne semble être qu'un leurre, à la fois charmeuse et prisonnière de ses charmes, Léa Seydoux prête à cette Celestine, et de façon assez remarquable son air à la fois ingénu et malicieux.
Et ces questions de la lutte des classes, et du rapport entre les sexes, reste encore d’actualité, plus d’un siècle après l’ouvrage de Mirbeau et c’est tout le talent de jacquot de réussir à montrer la modernité de cette histoire, avec une mise en scène, parfois onirique, souvent dynamique (on monte et on descend les escaliers avec Célestine au gré des demandes de l’horripilante bourgeoise, magnifiquement incarnée par la grande actrice de théâtre Clothilde Mollet ), avec une propension à multiplier des zooms qui continuent des travellings en tout cas jamais académique et ampoulée comme le sont souvent les films ou téléfilms d’époque.
Dommage que la vision des hommes- qui sont décrits comme de vrais sauvages qui ne pensent qu’aux choses du sexe- sont décrits sans la nuance qui était plus présente dans le texte de Mirbeau, d’autant plus que la plupart des acteurs masculins, avec notamment le pourtant excellent Vincent Lindon, qui en fait un peu beaucoup en jardinier antisémite et bougon, à la diction très difficile à comprendre, ou encore Vincent Lacoste assez catastrophique en jeune tuberculeux qui s’ouvre à l’amour, ne sont pas forcément à leurs avantages ( mais jacquot est définitivement un cinéaste des femmes, et le prouve encore).
Dommage aussi que le dénouement donne le sentiment d’être trop expédié et d’arriver vraiment trop brutalement, contrairement au livre il manque des éléments essentiels pour comprendre l’évolution des personnages et des liens entre eux.
Du coup, cette fin ratée entache un peu le sentiment global qu’on a sur ce film qui reste quand même de très bonne tenue, soigné, très bien photographié et aux propos intelligent et qui pousse assurément à la réflexion..
Journal d’une femme de chambre avec Léa Seydoux - bande annonce - VF - (2015)