Fixeur: une chronique juste et forte sur les tourments moraux des journalistes
En 2016, la même année que deux autres films roumains de grands cinéastes désormais établis, Baccalauréat de Cristian Mungiu, auréolé du prix de la mise en scène, et Sieranevada de Cristi Puiu, tous deux dans la Sélection Officielle,était révélé un nouveau grand espoir du cinéma roumain à savoir Adrian Sitaru qui avec son épatant « Illégitime s’inscrivait pleinement dans la belle lignée du palmé 4 mois, 3 semaines, 2 mois de Cristian Mungiu.
On avant tant aimé cet Illégitime du jeune Adrian Sitaru puissante et poignante métaphore sur un pays, la Roumanie, sclérosé par son passé et enfermé dans son présent… qu'on était ravis d'apprendre que moins d'un an après la sortie en salles de ce Illégitime, nous arrive dans les salles français son nouveau long- et un troisième a déjà été tourné depuis- son nouveau long métrage, Fixeur- au cinéma dès mercredi prochain- tout aussi passionnant que son premier essai.
Moins ancré dans la sphère familiale qu'Illégitime- même si le film commence et finit par des séquences en familiales qui illustrent joliment l'évolution psychologique du personnage principal, Fixeur sonde les dilemnes moraux que notre profession nous pousse parfois à subir , et comme la profession concernée n'est autre que le journalisme, notre intérêt en est forcément décuplé
Fixeur suit ainsi pas à pas les tourments moraux de Radu, dont la mission est donc d'être , comme l'affirme le titre du film, un "fixeur"pour un journaliste français qui souhaitait réaliser l’interview d’une jeune mineure enlevée en Roumanie et prostituée en France.
D'abord très motivé par ce scoop qui pourrait lui faire grimper des échelons, il se rend peu à peu compte que ces filles sont en danger et que les mettre en scène dans un reportage peut s'avérer, au final, encore plus dangereux pour elles.
Un de grands intérets du film est de nous éclaircir sur cette profession qu'on connait mal, celle de fixeur d'images, qui n'est pas vraiment un journaliste mais qui doit dans son pays où il accueille des journalistes étrangers se mettre en quatre pour répondre à leurs demandes, même si celles ci peut lui sembler en contradiction avec ses principes moraux, au risque de se voir dès qu'il ose émettre son opinion, remettre à sa place par ces journalistes venus de France qui ne manquent pas de le remettre à leur place, non sans un certaine condescendance.
Le film de Sitaru se propose ainsi d'explorer les fondements moraux du journalisme, lorsque ceux ci sont sérieusement mis à mal par la recherche du sujet voyeuriste et glauque et que la compétition entre journalistes semble intéférer avec leurs valeurs morales..
A l'heure de l'information minute et de ce monde de mondialisation de la dépeche, la frontière qui sépare le reportage intégère et partial et l’intérêt retors des individus pour la vie des autres et le sordide est forcément ténue, et c'est toute la force du film de Sitaru de nous le montrer avec intelligence et finesse.
Pour le journaliste français (joué par le trop rare et toujours épatant Medy Nebbou) , la réponse est évidente : " On ne fait pas de l’humanitaire, on est des journalistes », et le fixeur Radu, pas forcément raccord avec cette conception de son travail, pourra t - il dès lors faire opposer sa voix, au risque de mettre un voile sur ses ambitions professionnelles et personnelles.
Chronique juste et forte sur la manière dont nos choix peuvent nous conduire à transiger avec notre sens moral, Fixeur séduit par la façon dont le cinéaste roumain filme ce constat amer et acide, avec quelques touches un peu décalées et pas totalement dépourvues d'un humoir noir mais réel.
Réflexion générale sur le rôle du journaliste, dénonciation de la prostitution des mineurs et passionnant focus sur un personnage principal finalement si humain auquel on peut s’identifier, Fixeur s'avère être une vraie et belle curiosité cinéma de la semaine à venir.