"Le serpent aux mille coupures" : un passage de l'écrit à l'écran réussi !
Grand amateur des romans de DOA, Eric Valette avait été particulièrement frappé par la dimension cinématographique de son polar-rural "Le Serpent aux mille coupures", paru en 2009 chez Gallimard, dans la collection "Série Noire".
Huit ans après sa parution, il a réussi à le transposer, et ce, avec brio, sur grand écran - un film sorti le 5 avril dernier- et en étroite collaboration avec l'auteur lui-même.
Sud-Ouest de la France, au beau milieu de la nuit. Deux voitures se dirigent vers un curieux point de rendez-vous : une vigne. D'emblée, on sent que rien ne va pas se passer comme prévu...
Et en effet, quelques minutes après l'arrivée d'une première voiture, un homme surgit de nulle part et abat de sang-froid ses occupants, avant de s'enfuir sur sa moto, blessé à la jambe... C'est le point de départ d'un déchaînement de violence et d'une course à la poursuite de ce mystérieux motard, qui aura à ses trousses des barons de la drogue colombiens, des policiers et un redoutable tueur-à-gage...
Cette adaptation m'a beaucoup plu, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, le casting est aussi impressionnant sur le papier - Tomer Sisley et Pascal Greggory, pour ne citer qu'eux - qu'efficace dans l'interprétation. J'ai été saisie par le personnage de Tod, brillamment incarné par Terence Yin, dont c'est la première apparition dans un film européeen. Son personnage est terrifiant, son regard bleu-glace nous transperce, se plante en nous comme un couteau, son arme de prédilection... Habitué à jouer les "méchants", c'est la première fois qu'il endosse un rôle de méchant "aussi intense", de véritable sadique qui se complait dans la douleur d'autrui.
Pascal Greggory comme à son habitude, excelle dans son interprétation de Massé du Réaux, un flic rompu aux pires horreurs.
Le personnage de Neri, incarné par Stéphane Debac est également savoureux : il joue à merveille le "pleutre" un peu BCBG qui ne semble pas trop à sa place, au milieu de tous ces loubards. Les scènes où il apparaît constituent de véritables moments de respiration.
J'ai également beaucoup apprécié le traitement des scènes de violence. Je suis du genre sensible, à me blottir sous mon siège devant n'importe quel combat ou n'importe quelle scène de crime. Eric Valette a le don de représenter la violence de manière extrêmement subtile. Il déteste les scènes de "violence gratuite" et se préserve de cette facilité de montrer l'horreur pour l'horreur. Dans une interview, il confie que dès que l'on comprend, on n'a pas besoin de montrer plus.
Je pense notamment à une scène d'interrogatoire pendant laquelle une jeune femme refuse de dire ce qu'elle sait à Tod. La scène s'interrompt juste au moment où on sent que quelque chose d'atroce va se produire, ce qui se confirmera plus tard...
Les passages violents sont tempérés par des situations plus légères et grâce à des personnages foncièrement bons, comme les Petit auxquels on s'attache, et en particulier à l'adorable Zoé (Victoire de Block), dont la présence apporte une grande douceur.
Le tandem Tod-Neri, aussi improbable qu'il puisse paraître, fonctionne très bien et rend certaines scènes presque drôles. Le comique naît de ce contraste entre ces deux personnages que tout oppose. Je pense notamment à la scène où ils débarquent tous les deux dans un troquet du village, où l'apéro semble commencer au petit-déjeuner, pour retrouver la trace du motard... Pas de doute, ce duo étonne... et détonne !
J'ai également trouvé intéressant le fait qu'on ne sache pas trop quels étaient "les méchants" et quels étaient les "gentils". En effet, les ennemis sont multiples et sont partout. Des clans se font la guerre, de manière plus ou moins affichée, plus ou moins violente. Le motard (Tomer Sisley) lui-même, est fascinant d'ambigueté : est-il gentil ou méchant ? On ne sait absolument pas sur quel pied danser face à ce personnage très mystérieux, du genre taiseux : il peut passer d'une seconde à l'autre d'un être odieux - capable d'enfermer les parents d'une petite fille dans une cave, alors qu'ils lui ont porté secours - à quelqu'un de presque émouvant. Il semble agir comme s'il n'avait pas le choix, comme s'il portait le poids d'un passé insupportable.
On ne sait rien de lui, pas même son prénom. C'était d'ailleurs un des partis pris du réalisateur, de nous présenter ce personnage sans rien dévoiler sur lui, il n'y a, par exemple, aucun flash-back sur son histoire. Que faisait-il caché dans cette vigne ? Etait-ce un hasard ? Se trouvait-il, comme le paysan Baptiste - témoin du carnage qui ouvre le film -, au mauvais endroit, au mauvais moment ? Etait-ce prémédité ? Difficile à déterminer...
Cette adaptation laisse beaucoup de questions en suspens et nous donne envie de nous plonger dans l'univers de DOA.
Pour toutes ces raisons, et bien d'autres, courez vite voir "Le serpent aux mille coupures" d'Eric Valette avant qu'il ne disparaisse de l'affiche !