Votre coeur va chavirer pour "Les Flottants" de Sonia Nemirovsky au Théâtre du Lucernaire
En ce moment au Lucernaire, la Compagnie des Traversées nous offre un voyage poétique et fantaisiste avec Les Flottants, un texte de Sonia Nemirovsky mis en scène par Bertrand Degrémont. Il vous reste une semaine pour larguer les amarres et vous laisser embarquer...
"Les Flottants, ce sont ceux qui se débattent pour rester à la surface, qui nagent entre deux eaux" pour l'auteur Sonia Nemirovsky. Cette pièce est une "interrogation sur ce qui nous attend, sur notre capacité à rester debout alors que tout part à la dérive"...
21h10. Nous sommes en retard pour la noce de la Rousse (Sonia Nemirovsky) et du Marin (Olivier Kuhn). D'emblée, on sent que quelque chose cloche, que l'ambiance n'est pas aussi festive qu'elle devrait l'être. Les rangs des invités semblent clairsemés. On dirait qu'on arrive à une boum où tout le monde s'est donné le mot pour décommander à la dernière minute. La boule à facettes continue tout de même à tourner, comme si de rien n'était, à illuminer faiblement le dance floor désert. Le DJ semble décidé à ne mettre que des chansons déprimantes (J'attendrai ton retour de Dalida), pour être raccord avec l'atmosphère qui règne sur ces drôles de Noces. C'est la tristesse de la Mariée dont le mascara coule sur sa robe blanche, la ficelle des ballons tirant tristement vers le plafond, comme s'ils essayaient de fuir, les bouteilles de champagne éparpillées et le beau gâteau auquel personne n'a touché, qui nous donne la puce à l'oreille : le Marié-Marin s'est fait la malle.
Séduit par l'appel irrésistible de la mer, par le chant des sirènes - ou plutôt, d'une sirène -, il a décidé de prendre le large, loin de tout ce qui le ramène à la terre, à commencer par sa fiancée. Car, comme c'est écrit dans le dictionnaire - du moins, le pense-t-il -, un Marin ne peut pas rester à quai, il n'a pas de port d'attache, on ne peut pas l'attacher à une bitte d'amarrage comme une vulgaire barque.
Du fond de son abîme de douleur, la Rousse, telle Pénélope, entonne le chant du retour et tente de comprendre ce départ, tout en essayant de se changer les idées : elle lit le dictionnaire, évoque cet amour perdu, imagine qu'il va revenir. Elle déplore de ne pas lui avoir tout dit, ne pas avoir eu le temps de lui avouer ses plus intimes secrets : que, par exemple, lorsqu'elle prend l'escalier, elle ne sait jamais s'il monte ou s'il descend, ou encore, que pour elle, les raviolis ressemblent à des oreilles.
Dans cette pièce originale, on croise Dalida, une sirène (Pauline Lacombe - Emilie Piponnier - Suzanne Marot, en alternance) qui a troqué sa queue pour l'amour du Marin, un émouvant jardinier (Grégory Vouland) éperdu d'amour qui se noierait lui aussi volontiers dans le chagrin de la Rousse, un détective à noeud papillon et à l'humour grinçant (Jean-Louis François) qui s'interroge sur le déroulement de la scène à laquelle il prend part lui-même, une voix-off qui interrompt le dialogue pour faire des points météo et nous donner des nouvelles des Rois Mages et de Dalida.
La mise en scène de Bertrand Degrémont est extrêmement originale et en harmonie totale avec le très beau texte de Sonia Nemirovsky. On se plait à décrypter les métaphores scéniques : le rideau derrière lequel le Marin, personnage à la fois absent et terriblement présent, matérialise la distance qui le sépare désormais de la Rousse. Il a beau être loin, il entend ce qu'on dit de lui, il répond aux questions qu'on lui adresse, comme si elles lui parvenaient dans un écho. Lorsque la Rousse comprend que son Marin ne reviendra jamais, le ballon de baudruche qu'elle tient entre les mains éclate, à l'image de son coeur qui explose dans sa poitrine.
Il y a de la féérie, de la folie, de la fantaisie dans cette pièce. De l'humour aussi. Tous les ingrédients qui font que cette pièce enchante ceux qui aiment être transporté vers d'autres horizons, lorsqu'ils se rendent au théâtre.
Nous espérons que votre coeur, comme le nôtre, chavirera pour "Les Flottants"...
Jusqu'au 1er juillet à 21h du mardi au samedi au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame des Champs, 75 006 Paris