Les déçus du rêve américain : Ivy Pochada, Michaël Imperioli, Tadzio Koelb
Le rêve américain ne semble plus être que l’ombre de lui-même. Pourtant, il se trouve encore des hommes et des femmes pour imaginer pouvoir y accéder ou qui ont pu accéder lors de décenies récentes..
Voici une illustration avec trois auteurs, en cette rentrée littéraire de septembre 2018 qui sonde les travers du rêve américain.
1. Route 62 Ivy Pochoda ( Liana Levi)
« Au bout d’un mois, Ren avait adopté le rythme de Skid Row. Il avait appris que les rues se déchainaient tous les deuxièmes jeudis du mois, le jour où les allocs tombaient. La fête démarrait doucement, avec de l’alcool, souvent de la bière. Plus tard les substances plus fortes rendaient les gens fous. Ils s’enfermaient alors à l’intérieur d’eux-mêmes jusqu’à que le quartier ravagé perde connaissance. »
Los Angeles 2010 sept heures du matin le trafic est déjà au point mort, un homme nu court à contre sens au milieu des voitures. Un homme nu qui court, dans la ville des autoroutes tentaculaires, comme un symbole de liberté.
En tout cas pour Tony, parfait père de famille américain au bord du burn-out, cet homme nu a compris quelque chose. Sacré prologue pour un roman choral.
Dans le centre de la ville monstre, où toutes les communautés existent mais où personne ne se mélange, il y a Skid Row un quartier qui contient l’une des plus grandes populations de sans-abri aux Etats-Unis.
Dans ce chaos organisé, Ren un jeune graffeur qui sort de prison recherche sa mère, Blake un repris de justice, lui, est venu venger la mort de son pote et Leila, mater dolorosa en fin de vie crache du sang.
Mais comment le destin a pu tisser ses liens entre l’homme nu, Tony, Brit, Blake et Leila dans ce no man’s land ? Il faut savoir que les histoires ne commencent jamais à Skid Row. Twentynine Palms, désert Mojave, Californie 2006…
Grand et beau roman sur la Californie de ce début de siècle.
Récit naturaliste et empathique sur les laissés-pour-compte, les rejetés de la mégalopole. Ivy Pochoda, qui a vécu tout près de Skid Row, a animé un atelier d’écriture avec les habitants du quartier et c’est leurs histoires qui a inspiré Route 62.
Non la misère n’est pas moins pénible au soleil, un roman humain qui raconte l’autre Californie.
2 Wild Side ; Michael Imperioli ( Editions autrement)
« Je ne sais pas d’où est venu ce courage. Peut-être que toutes les histoires avec mon père avaient généré en moi une histoire une tendance à me foutre de tout. Je ne sais pas trop. »
Jusqu’à présent, Michaël Imperioli était surtout connu pour son rôle de Christopher Molisanti dans la fameuse série qui aura révolutionné la fiction de gangster et de mafieux, à savoir la géniale « les Soprano ».
Depuis cette rentrée 2018, les français connaissent une nouvelle corde à l’arc de cet artiste italo-américain , celui de romancier , avec cet excellent Wild Side publié aux éditions Autrement.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, pas d’histoires de mafia et d’ambiance italo-américaine dans ce premier roman, mais un récit d’apprentissage particulièrement touchant et doucement nostalgique où le New York des seventies est particulièrement bien rendu
Matthew 16 ans va soudainement basculer d'un quartier populaire new-yorkais au si chic et dense Manhattan, ses années 16/17 ans. Entre une mère dépressive accro aux cachets un père qui a fait la malle, et une camarade de lycée, Veronica qui va l'embarquer dans des aventures assez folles, Matt va surtout faire une rencontre totalement stupéfiante, celle d’un voisin particulièrement barré et fantaisiste qui n’est autre que Lou Reed en personne l’inventeur du fameux Walk on the Wild Side (‘ d’où le titre du roman), parano, drogué, parfois violent mais toujours imprévisible et génial, que Matt va suivre un peu comme un petit chien.
Une figure paternelle de substitution particulièrement peu recommandable, mais qui mine de rien apprendra pas mal de choses à notre anti héros, comme dans tout bon roman d’apprentissage de ce nom.
Un roman moins autobiographique qu’attendu (Imperioli a bien connu Lu Reed, mais bien plus tardivement que son personnage de fiction et il n’avait pas le même âge que Matt à la période où commence l’histoire) mais qu’on sent quand même traversé de fulgurances personnes et un style assez unique dans lequel l’ombre de Salinger est forcément prégnante.
Encore une fois, même si le ton est plutôt léger, une belle pointe de mélancolie nous étreint car cette Amérique des années 70 semble bien plus agréable, cosmopolite et enviable que les USA d'aujourd'hui et on le ressent à travers ce fort joli récit initiatique qui soigne ses détails et ses personnages évidemment très recommandable.
3.Made in Trenton - Tadzio Koelb ( Buchet Chastel)
"Elle ne ressentit jamais rien de sembable au désespoir larmoyant de sa mère.Ellepensait alors que c'était parce que déjà alors elle était laide et le savait, et que la laideur l'avait protégée de la douleur, pu plutot que c'était en soi une si grande douleur que toutes les autres semblaient moindre en comparaison."
Tadzio Koelb est un journaliste américain.qui publie notamment dans The New York Times . Dans Made in Trenton , son premier roman il nous immerge dans un récit dans lequel il est beaucoup question d’identité, d’incarnation, et de ce que veut dire être un homme ou une femme.
Le personnage principal Abe Kunstler, d’abord présenté comme un homme, est en fait une femme travaillant dur et mentant constamment pour cacher sa véritable identité, dans l’après-Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis. Pris par son délire d'être un homme à part entière, Abe va voir sa santé mentale en souffrir.
Portrait cruel plus que doux amer d'une Amérique qui tente de retrouver la lumière après l'obscurité, Made in Trenton nous immerge dans la violence d'un monde d'hommes, dans une société et à une époque où la femme n'est rien d'autre qu'un objet et à celle des hommes revenus de la guerre avec des dégâts physiques ou mentaux.
« Ce moment -là avait été pour lui une renaissance et donc une naissance, un don et il allait rendre la pareille à l'homme qui était reposait en lui, car il était la tombe même d'où l'homme allait pouvoir se relever, les bandages aux bords bleus épinglés autour de sa poitrine en guise de linceul entrouvert. »
Un premier roman, fort, pour une lecture puissante et dérangeante. Une belle découverte, de celles qui vous font longuement réfléchir.
A travers le portrait d'une femme travaillant dur et dissimulant sa véritable identité, #madeintrenton livre un portrait cruel, amer et passionnant de l’Amérique industrielle du XXe siècle ..un étonnant et complexe premier roman de #TadzioKoelb #Rentreelitteraire2018 pic.twitter.com/08d9YKaKZz
— Baz'art (@blog_bazart) 18 septembre 2018