En ce mardi conseil, on vous parle de trois romans en poche qui viennent de sortir écrit par des auteurs peu connus et dont les univers nous ont séduits par leur talent, leur originalité.
1/ La nuit des béguines, Aline Kiner (Liana Lévi Picolo)
« Elles ont cheminé ainsi, serrées l’une contre l’autre, dans les rues encombrées par les étals, les chariots à bras et les traineaux. Toutes deux portent ces longs manteaux de camelote grise que revêtent souvent les béguines à l’extérieur. Il n’est jamais bon d’être une femme seule dans les rues de Paris. Leur habit les protège autant que la modestie de leur attitude. Mais comment éviter, dans une telle foule, qu’une main vous frôle, qu’un corps se frotte contre le vôtre ? »
Paris, an de grâce 1310. Maheut, mariée de force et violentée la nuit de ses noces a fui. Dans la grande cité, la toute jeune fille à la chevelure flamboyante est une proie, la proie des hommes frustres qui aiment la chair fraiche, comme celle des dévots et autres religieux qui considèrent que la rousseur est fille du diable. Heureusement dans le quartier populaire du Marais, derrière de hauts murs, des femmes vivent libres des hommes.
Les béguines qui accueillent Maheut peuvent travailler, étudier et circuler librement sans avoir à choisir entre le cloitre ou un mari. Le jour où Marguerite Porete est brulée vive en place de Grève, les béguines savent que leur statut risque d’être remis en question.
Marguerite, femme de lettres éclairée est l’auteur d’un livre qui indispose l’église toute puissante. « Le miroir des âmes » révèle une pensée humaniste annonçant que l’homme pourrait vivre sa foi en dehors de tout dogme, rien de tel pour énerver le grand inquisiteur. Le destin de Maheut et du livre interdit seront inextricablement lié et le temps des béguines inexorablement compté.
C’est avec un vrai talent romanesque, qu’Aline Kiner passionnée d’histoire nous entraine dans le Paris du Moyen-âge. Dans les rues boueuses et pestilentielles, au milieu de la grande cité, des femmes se battent.
Regardons notre monde contemporain avec les lunettes de l’histoire. Inquisition, intolérance, guerre de religions, violences faites aux femmes, bien sur le monde d’aujourd’hui, dans les grandes démocraties est beaucoup moins violent qu’au XIVe siècle, mais bon sang n’oublions pas que cet équilibre fragile a été long à mettre en place.
2/ Six Quatre, Hideo Yokoyama (J'ai Lu)
« Cheveux…Front…Yeux clos…Nez…Lèvres…Bouche…Menton…Le visage blafard de la jeune fille morte apparut alors. »
Il y a des jours, des semaines, des mois où tout va mal, pour le commissaire Mikami on pourrait dire que ce n’est pas son année.
Sa fille, en pleine adolescence, a fait une fugue et reste introuvable, il change de service et devient porte-parole de la police auprès des journalistes, alors que les rapports avec la presse sont en plein chaos, et on approche de la date d’un triste anniversaire : un kidnapping qui s’est terminé par la mort d’une fillette, une affaire non classée vieille de quatorze ans à laquelle il a participé.
Police, administration, presse, plus personne ne s’écoute, plus personne ne se parle, Mikami se demande, après plus de vingt ans au service de son pays, s’il n’y aurait pas quelque chose de pourri au royaume du Japon. Coup de théâtre, une adolescente vient d’être enlevée avec demande de rançon, le commissaire a vraiment l’impression que l’histoire bégaie.
Immersion totale au pays du soleil levant, polar proustien, nous suivons pas à pas le commissaire Mikami, nous ne voyons que ce qu’il voit, nous n’entendons que ce qu’il entend, nous ressentons ce qu’il ressent, et avec lui nous pénétrons dans les arcanes du fonctionnement très institutionnel de la police et au plus profond de la société japonaise.
C’est une écriture minutieuse, au plus près des sentiments humains qui se dévoilent lors d’une enquête qui va bousculer beaucoup de préjugés. Le lecteur, comme Mikami le doux idéaliste, découvre que la vie sociale nipponne est un fourmillement très codifié et très hiérarchisé, une société faite de crainte et de faux semblant où l’on hésite pas à poignarder celui qui nous fait des courbettes.
Un récit prenant, une fin paroxystique digne des grands polars hollywoodiens, ce roman est d’abord un tableau hyperréaliste du Japon en ce début de siècle.
Seul petit bémol qui n'en est pas vraiment un : cet énorme pavé peut rebuter par son épaisseur et sembler étouffe chrétien (étouffe bouddhiste ou étouffe shintoïste) dommage car « Six-Quatre » est un sacré voyage au pays du soleil levant.
Hideo Yokoyama, Six-quatre. Trad. du japonais par Jacques Lalloz. Editions J'ai lu sortie le 3 octobre 2018
3/ Chaleur;Joseph Incardona ( Pocket)
"Les fans eux même ignorent qu'ils l'attendent de le voir s'effondrer. Le public espère la chute ou l'anecdote. alors, il faut lui donner à manger"
La Finlande en été.
Le championnat du monde de Sauna bat son plein Heinola.
Parmi tous les concurrents il y a le tenant du titre, triple champion du monde. Niko Tanner, star du porno finlandais, colosse blond, incarnation de tous les excès et de toutes les dérives. Face à lui, Igor Azarov, son challenger, un ancien militaire russe qui s’est préparé avec toute la rigueur qui s’impose afin de détrôner son éternel rival. Il compte bien lui ravir le titre.
D’ailleurs il n’a plus le choix, car le temps est évidemment compté.
" Si on faisait un bilan des échanges verbaux dans les villes d’Occident riche et industrialisé, il resterait très peu de mots à sauver ».
Ces gladiateurs de l’absurde vont tenter de dissoudre leur doutes dans la Chaleur du titre : souvent comparé à Chuck Palahniuk dans son ton et les trognes des personnages, ce roman est une tragédie sur le ton d’une farce féroce permettant de mettre en scène l’opposition entre deux personnages hors norme.
Une fusion entre le roman noir et la satire: "Chaleur", Joseph Incardona est un fascinant texte morbide et burlesque, teinté de solitude et de désespoir!!