Théâtre: Le bruit des arbres qui tombent
Le bruit des arbres qui tombent- Cie Nathalie Béasse
Carré noir sur fond noir : une ombre plane sur quatre personnages qui en tiennent les amarres. A la fois aérienne et plombante, elle se tend, se drape, s’envole lentement puis descend à pic. Elle emplit l’espace comme une pieuvre apprivoisée, un nuage capturé dans la boite noire du théâtre.
Tantôt surface réfléchissante de lumière, tantôt mur opaque et infranchissable de noirceur, elle se fait ciel menaçant ou mer agitée. Le spectacle pourrait se suffire de ce premier tableau pour toute l’heure qui suit, contenant déjà en métaphore toutes les émotions de la pièce, du théâtre, de la vie.
Mais les quatre comédiens à la barre du navire ont aussi des choses à dire, des histoires à partager. Tous cherchent quelque chose, dont ils ne sont pas tout à fait sûrs qu’ils l’aient vraiment perdu… A moins que ce ne soit la mémoire qu’ils craignent de perdre ? Alors on raconte, et on joue, comme pour éviter la nostalgie.
On convoque les souvenirs, remonte les générations jusqu’à Mathusalem et on sème des petits cailloux sur le chemin de la mémoire, galets de plage ou roche de la terre qu’on a dû abandonner.
Pour servir sa mise en scène, Nathalie Béasse réunit une composition musicale originale, une sélection de textes ciselés, allant de Duras à Brel (en néerlandais) en passant par la poésie amérindienne, et quatre superbes comédiens. Si sa scénographie compose essentiellement avec des matériaux bruts (terre, eau, tissu, plastique), ceux-ci sont magnifiés dans l’espace du plateau par ces quatre grands enfants qui créent eux-mêmes les paysages de leur terrain de jeu.
A travers leurs yeux, et leurs jeux, la tourbe n’est bonne qu’à faire des châteaux, une flaque devient une patinoire artistique, et le linge sale un feu d’artifice. Derrière cette apparente légèreté c’est souvent l’absurde qui se déguise, déjouant la vanité de l’acharnement humain à exister, à persister. Le corps est alors mis à l’épreuve, grimé, déguisé, charriés, chatouillé jusqu’au pleurs… les personnages sont tour à tour le noyé dans un seau d’eau, enterré vivant, englué en oiseau mazouté.
Et puis il y a ces moments de grâce (certainement aussi douloureux pour les comédiens, mais bien plus doux à voir pour les spectateurs) portés par les comédiens Estelle Delcambre et Clément Goupille dont les corps semblent se jouer de l’apesanteur, tantôt flottants, tantôt chutants, dansant sur les murs ou irrésistiblement attirés par la gravité du sol.
Ces instants acrobatiques viennent encore nourrir le foisonnement d’influences d’une metteur en scène au croisement des disciplines, et confirmer toute la finesse d’acteurs servant aussi bien le verbe que le mouvement pour composer les images vivantes du tableau du Bruit des arbres qui tombent.
La poésie du titre n’est qu’un début, il s’agit de se laisser aller à l’onirisme décalé qui s’ouvre à sa suite.
Le bruit des arbres qui tombent
Conception, mise en scène et scénographie : Nathalie Béasse
Avec Estelle Delcambre, Karim Fatihi, Erik Gerken, Clément Goupille
du 4 au 8 décembre 2018 _ Théâtre Olympia CDN Tours ; 14 décembre _ Théâtre Louis Aragon (Tremblay); 18 décembre 2018 _ Le Théâtre (Arles)
Et en 2019 : 17 janvier_ Le Tangram (Evreux) ; 23-25 janvier_Le Maillon (Strasbourg) ; 7-8 février_Théâtre Bois de l’Aune (Aix en Provence) 5-7 mars_La Comédie (St Etienne) ; 10-11 avril_La Comédie (Clermont Ferrand) ; 3-7 juin_La Bastille (Paris)