ORPHEE APHONE de Vanasay Khamphommala /Du 11 au 15 mars 2019 aux Plateaux Sauvages à Paris
Puisque c'est ainsi, Orphée ne chantera plus. Puisque sa poupée lui est confisquée, on entendra plus la voix du chantre du Rhodope.
Avec la transformation comme instrument de prédilection pour décortiquer les grands récits de l'histoire de la littérature, la Cie Lapsus Chevelu ne pouvait trouver meilleur terrain de jeu que Les Métamorphoses d'Ovide. Après un premier volet, Vénus et Adonis en 2015, ce projet au long cours se poursuit cette année avec Orphée aphone.
Révisons un peu les grands traits du mythe d'Orphée pour saisir les décalages opérés dans cette version. Dans la tradition gréco-latine Orphée est celui dont la voix fait déplacer les animaux, les arbres, les montagnes, et attendrit le cœur des femmes comme celui des plus rustres guerriers. Marié à Eurydice,il fera même flancher l'impartial Roi des Enfers, Pluton, lorsqu'il viendra lui réclamer son épouse tout juste admise au Royaume des Morts. Requête acceptée, à une seule condition : Orphée ne doit pas se retourner vers Eurydice qui le suit sur le chemin du retour... Perdu.
Orphée, c'est l'artiste sublime, le fils spirituel d'Apollon ; Eurydice, une Nymphe douce et discrète, un rêve de femme ; Orphée et Eurydice, c'est le pur amour qui passe au-delà de la mort.
Mais ce n'est pas pour nous raconter une énième fois cette histoire que Vanasay Khamphommala s'empare du mythe. Pour commencer, comme pour nous rappeler que l'art n'est pas une sinécure, son Orphée n'a rien du génie divinement inspiré. Le travail du poète passe par une délicieuse torture assurée par sa Muse masochiste qui le tourmente comme une mouche.
Descendu aux Enfers, sa mise à nue physique et morale transforme le récital habituel en un interrogatoire de confessionnal. Un examen de conscience l’obligera à remonter jusqu'à ses recoins les plus avilissants : luxure, ivresse, et autres excès... Loin de l'être irréprochable, Orphée semble au contraire réunir l'ensemble des péchés capitaux... un homme, en somme.
Originairement, la résiliente Eurydice ne trouve rien à redire à sa deuxième mort : après tout ce n'est qu'une preuve « qu'elle fût aimée ». Mais celle-ci n'a plus rien de la fragile petite chose soumise à son destin. Devenue narcoleptique ronfleuse, elle peste à attendre son amant et quand il arrive enfin, il échoue... et c'est tant mieux ! Elle a pris goût à l'étreinte de la glaise et aux baisers des morts, mais plus encore au silence, lassée des chants d'Orphée !
Enfin, revenu bredouille à la surface de la terre, Orphée ne sera pas passionnément dépecé par les femmes dont il dédaigne les avances et qui laisseront sa tête décapitée continuer à chanter pour l'éternité. Au contraire, vexé, humilié, il restera le souffle coupé, sans voix, donc sans identité.
Si Vanasay Khamphommala semble détourner un par un les poncifs du mythe, il s'attaque finalement à ceux que la tradition a laissé de côté. On dit qu'Orphée serait à l'origine de l'amour des jeunes garçons, ou « pédérastie » à la grecque... Et s’il avait rejeté ses prétendantes par pur désintérêt pour la gente féminine ? Et s'il n'avait, avant ce regard en arrière, jamais vraiment regardé Eurydice ? …
Vanasay Khamphommala se délecte alors de la question du genre, et en filigrane de celle de la sexualité. Il se concentre aussi sur cette question du regard : tourné vers lui-même en vrai Narcisse, Orphée est contraint à regarder en lui, puis autour de lui : regard sur soi, regard sur l'autre, il est toujours question d'image. L'esthétique n'est pas en reste dans cet Orphée Aphone, et transpire la jouissance à voir et à mettre en scène son propre corps, que partagent visiblement Orphée et le comédien qui l'incarne.
Pour échapper à ce qui glisse parfois vers un érotisme autocentré, la mise en scène nous tend quelques bouées : la création lumière de Pauline Guyonnet et la scénographie de Caroline Oriot créent un écrin sensible et délicat propre à accueillir la référence antique, les incursions contemporaines et leurs frottements.
Mais surtout, s'il s'autorise à se l'approprier avec quelques touches personnelles et rafraîchissante, le dramaturge et interprète peut se reposer sur la poésie intacte d'un texte qu'il déclame et chante à plaisir.
Ophée Aphone/ un projet de Vanasay Khamphommala
dramaturgie, texte et interprétation Vanasay Khamphommala
texte publié aux éditions Théâtrales
Du 11 au 15 mars 2019 aux Plateaux Sauvages à Paris
Vanasay Khamphommala vient au théâtre par la musique. Ancien élève de l'École Normale Supérieure, formé à Harvard et à l'Université d'Oxford, il suit une formation de comédien dans la Classe Libre du Cours Florent. Il est artiste associé au Centre Dramatique National de Tours dirigé par Jacques Vincey, après en avoir été dramaturge permanent.
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