Festival Avignon OFF #Jour1 : "La Machine de Turing" et "Le K" pour bien démarrer !
Retour sur ma toute première journée au Off du Festival d'Avignon !
1/ La Machine de Turing au Théâtre Actuel : un biopic bouleversant sur un génie des mathématiques
Sans grande surprise, la salle était bondée - malgré l'horaire matinal ! - pour la représentation de cette pièce qui a raflé cette année pas moins de 4 Molières - Meilleur spectacle de Théâtre Privé ; Meilleure mise en scène pour Tristan Petitgirard ; Meilleur auteur et meilleur acteur pour Benoît Solès -, et qui a été l'immense succès du festival d'Avignon l'an dernier, avant d'investir le Théâtre Michel.
Angleterre. 1952. Suite à un cambriolage, le professeur Alan Turing porte plainte au commissariat de Manchester auprès du sergent enquêteur Ross. Leur face à face va nous mener sur les traces de ce mathématicien génial, engagé pendant la Seconde Guerre Mondiale pour briser le code d'Enigma, la machine utilisée par les nazis pour crypter leurs communications.
Eh bien, on peut dire que ces quatre prestigieuses récompenses sont plus que justifiées ! Portée par deux superbes comédiens, Benoît Solès (Alan Turing) et Amaury de Crayencour (le Sergent Mike Ross, le voyou, le champion d'échecs), La Machine de Turing est un concentré de suspens et d'émotions. En une heure et demie, l'auteur et acteur qu'est Benoît Solès nous fait entrevoir le destin tragique du professeur Alan Turing, mathématicien britannique bègue doté d'une immense intelligence, son enfance où il fit une rencontre qui le marqua à jamais, ses années à travailler en secret pour le compte du gouvernement britannique, ses amours interdites aux yeux d'une loi (celle de 1885) qui finira par le faire tomber, sa réhabilitation posthume par la Reine d'Angleterre - une fin qui m'aura arraché des larmes de rage, devant une telle injustice.
Grâce à la mise en scène de Tristan Petitgirard - qui présente aussi cette année à Avignon sa création Des plans sur la comète -, on est totalement happés dans un engrenage rythmé de flashbacks entre 1952 et ses années au King's College, puis au manoir de Bletchley Park où pendant plus de deux ans, il travailla à briser le code de l'Enigma qui changeait chaque jour, le forçant à réitérer, dès minuit passé, les mêmes calculs, à reprendre les mêmes formules, à l'image de Sisyphe avec son rocher.
Si le nom d'Alan Turing ne vous parle pas beaucoup - c'était mon cas -, vous apprendrez que l'on doit à cet homme extraordinaire l'invention de la machine qui portera un jour le nom bien connu d'ordinateur, mais aussi et surtout, d'avoir sauvé des millions de vies. Pour ma part, je dois aux protagonistes de cette pièce de m'avoir fait découvrir l'histoire de ce génie, de m'avoir fait trembler, de m'avoir fait rire avec ses jeux de mots, de m'avoir ému jusqu'aux larmes.
La Machine de Turing, tous les jours au Théâtre Actuel, 80, rue Guillaume Puy, à 10H10
2/ Le K de Dino Buzzati conté par le fantastique Grégori Baquet !
Vous connaissez peut-être le célèbre recueil de nouvelles de l'auteur italien du Désert des Tartares, portant le nom de la plus célèbre d'entre elles : Le K. Xavier Jaillard (qui a reçu un Molière en 2008 pour son adaptation de La vie devant soi) a eu l'excellente idée de les adapter, et l'encore plus excellente idée de mettre en scène Grégori Baquet (que l'on avait vu et aimé dans Adieu, Monsieur Haffmann, qui a reçu en 2014 le Molière de la révélation théâtre et été nommé Meilleur acteur en 2018 et 2019) pour nous conter 13 petites histoires extraites du recueil.
Tantôt elliptiques, tantôt drôles, tantôt fantastiques, tantôt mystérieuses, toujours fascinantes, parfois contes, paraboles, métaphores, elles nous emmènent chacune dans un univers particulier où à la fin, nous nous sentons en droit de demander à notre voisin s'il a lui aussi, compris ceci ou cela. Vous croiserez notamment un homme qui fête son anniversaire peut-être pour la dernière fois, un couple se déchirant sur un pont, un auteur à succès mis face à lui-même par une curieuse et inquiétante missive, un homme étonné de voir fleurir d'immenses mottes de terre dans son jardin. Sur scène, vous ne verrez aucun autre élément de décor qu'un immense K en bois que le comédien manie à l'envi, le déplaçant d'histoire en histoire, le faisant changer de position ou adaptant la sienne à cet objet qui gagnera de plus en plus de place, le suivant à la trace, à l'image de l'infatigable monstre marin.
Grâce à ses talents de conteur, Grégori Baquet nous fait savourer le style irrésistible de l'auteur, la justesse de sa plume, les thèmes qui lui sont chers comme le temps, les vanités que sont le talent par exemple, l'amour, la fatalité, le destin. Au risque de paraître peu original, on ne résiste pas à la tentation de dire que ses mots, près de soixante ans après, n'ont pas pris une ride et parleront, ainsi, à tous. Que la mise en scène révèle et souligne leur modernité. Et comme on n'a peur de rien chez Baz'art, on tente donc le risque et on l'affirme même haut et fort.
Le K, tous les jours à 14h45 au Théâtre Buffon, 18 rue Buffon