"Les cinéphiles connaissent le naufrage de l'enfer de Clouzot, un chef d'oeuvre inachevé qui précipita son auteur dans la shziophrénie. Et bien d'enfer, Carné eut aussi le sien!"
En 1947, Jacques Prévert et Marcel Carné s'associent pour tourner en Belle ile en mer un long métrage (intitulé d'abord l'île aux enfants perdus) puis ensuite, La fleur de l'âge) autour d'un fait divers survenu en 1934 dans l'île : la mutinerie d'u bagne pour enfants qui avait pas mal défrayé la chronique à l'époque.
Auréolé des chefs d'oeuvre intemporels que sont "Quais des Brumes" ou "les enfants du paradis", et avec un casting 5 étoiles ( Arletty, Serge Regianni, Paul Meurisse et la toute jeune Anouk Aimé, pas encore en période chabadabesque) , le projet avait tout d'un futur chef d'oeuvre...
Sauf que, si le tournage a bien eu lieu, le film ne verra jamais le jour sur les grands écrans, le film ayant été victime de coups de sort à répétition ( problème avec la production, tempête terrible sur le tournage..) et pire encore les bobines des 25 premières minutes montées à l'époque, qui laissait présager d'un grand film, auraient toutes été égarées et demeurent toujours introuvables à ce jour.
Bref, ce film a rejoint la longue listes des longs métrages maudits, entre l'enfer de Clouzot, le Don Quichotte de Welles ou le Napoléon d'Abel Gance, alimentant les fantasmes les plus fous des cinéphiles !
Le narrateur de l'histoire, qui n'est autre que Nicolas Chaudun lui même (qui est éditeur d'art, documentariste et écrivain) va alors entreprendre une enquête à la recherche de ses bobines perdues, et nous raconter le détail de la genèse du film.
Se faisant aider par son ami Philippe Claudel, écrivain et cinéaste ( et qui apparaît particulièrement sympathique), il va entrer en contact avec Anouk Aimée, la seule survivante du projet, qui va peut être lui donner des précisions sur ses fameuses bobines égarées...
C'est parti pour 200 pages sur le cinéma d'après guerre, cette période si particulière où il était essentiel de chasser les démons de l'occupation ( Arletty , dont le rôle sous la guerre fut assujetti à quelques interrogations, en fut un peu les frais), et où le cinéma de Renoir et Duvivier régnait en maître....

"Le cinéphile de 30 ans vous émunerera sans hésitation les productions des trois dernières années,le nombre d'entrées de chacune, es effets spéciaux- la oui, les effets spéciaux. De surcroit, il fredonnera de bon coeur Gainsbourg ou les Kinks, courra à Londres visiter l'expo Pink Floyd et se ruinera pour un strapontin à l'ultime concert des Stones, ce qui au passage, en fait le compagnon de sortie idéal de son père voire du père de celui ci, preuve indiscutable d'appréciation rétrospective!
Pour autant, Murnau, Capra, Mankiewicz, De Sica, Kurosawa, ces noms là ne lui disent rien : il ne conçoit tout simplement pas de culture cinématographique."
On sent que l'auteur connait parfaitement son sujet, il livre des passages très pointus et érudits sur cette période, et même si parfois son roman peut virer dans un coté un peu réac , l'ensemble demeure de fort belle tenue et s'accompagne d'une jolie réflexion sur la transmission par le 7e art ...
Un roman à conseiller mordicus aux cinéphiles !
L'Île des enfants perdus
Actes Sud] Beaux-Arts
Hors collection
Septembre 2019 / 11,5 x 21,7 / 192 pages

Toujours à propos de Marcel CARNE, signalons la parution aux éditions Vendemiaire (collection Contrechamp) de l'ouvrage Quais des Brumes dans lequel le spécialiste du cinéma Thomas Pillard apporte un nouvel éclairage sur le film culte du duo Carné/ Prévert réalisé neuf ans avant cette fleur de l'âge...
Là encore, les cinéphiles seront comblés