Virginia : Emmanuelle Favier dévoile une facette étonnante de la grande romancière anglaise
"Elle songe à ce qu’est le temps présent, au fait que tout procède d’une brume, expire en un halo, au fait que les êtres meurent de vivre sans y songer. Elle songe qu’il y a partout des histoires et qu’il est impossible et vain de les raconter. Elle songe à l’eau qui peut mettre trois semaines à digérer un corps."
Après son saisissant "Le courage qu’il faut aux rivières". qui nous plongeait dans un village perdu en plein Balkans dans une communauté, village aux traditions pour le moins archaïques, la poétesse et romancière Emmanuelle Favier raconte Virginia Woolf mais ce roman n'est pas une biographie classique sur la romancière que nous connaissons tous et toutes.
En effet, la Virginia Woolf que raconte la romancière française n'avait pas encore imposé sa marque, ce n'était pas la grande figure de la littérature mondiale que nous connaissons.
C'est plutôt la naissance d'une vocation qui intéresse Emmanuelle Favier, lorsqu'elle ne s'appelait que "Virginia Stephen". Elle y raconte avec détails et sensibilité l'enfance et l'adolescence de Virginia dans une Angleterre victorienne, rigide, pesante, parfaitement retranscrite.
Virginia est une femme née au sein d’une fratrie recomposée et artiste mais son cheminement jusqu’à la publication de ses premières lignes va prendre du temps puisqu'ils vont en fait coïncider avec la disparition d'un paternel, certes aimant mais qui ne la croyait pas capable d'écrire, ce qui, dans cette société fortement patriarcale ou les femmes ont soif d'émancipation n'a rien d'étonnant !
"C’est sur une scène bien encombrée qu’entre Adeline Virginia Alexandra – que l’on commence à appeler Ginia, on n’a pas le temps de toutes les syllabes avec une telle nichée. Déplions la couvée pour plus de clarté : le second pli comprend pour l’heure Vanessa et Thoby, donc. Au creux du premier pli il y a les enfants de la figue, les Duckworth : George et Gerald, deux caractériels qui ne savent pas où donner de la virilité ; et Stella, qui ressemble tellement à Julia que cette dernière ne la supporte plus.le récit d'un parcours intellectuel à ses prémisses, atypique, voire confidentiel "
Loin de l'image de la femme fragile que sa fin tragique a pu laisser en nous, Emmanuelle Favier prend soin de construire une image différente de Virgina Woolf , mue par une farouche volonté de s'affranchir des jougs moraux et familiaux .
Comment s'inventer en tant que romancière dans un milieu où le patriarcat règne en maître? "Virginia" répond joliment et de façon pertinente à cette question qui touche à l'universel et l'auteur arrive à restituer parfaitement ses questionnements intérieurs et existentiels face à la page blanche.
Dommage que certains procédés stylistiques (ce "nous" qui voudrait englober le lecteur mais qui n'y arrive pas vraiment, pas tout le temps en tout cas) font un peu artificiels, mais le reste est suffisamment élégant et ambitieux pour convaincre ...
Une lecture à comparer et à compléter avec le film "Vita & Virginia" qui s'évertue à montrer également une autre facette de la grande romancière britannique, un film dont on parle très prochainement à l'occasion de sa sortie vidéo à venir ...
Emmanuelle Favier - Virginia – Editions Albin Michel – 9782226442710 – 19,90€