77, Marin Fouqué : la poésie à ras le bitume
"Nous ça nous plaisait bien de faire un tour de Kangoo verte. Passez en trombe devant l'abri. Les grands champs qui défilent. L'abri, le petit arbre, la centrale, le clocher, le cimetière et partout le marron en striures régulières. "
Seul dans un abribus perdu en plein milieu des champs d'une petite bourgade de Seine et Marne ( le département 77 du titre de ce premier roman), un jeune vivant dans une ville de cette grande couronne parisienne, ni tout a fait banlieue ni tout a fait province, décide de ne pas compter dans le car de ramassage scolaire qui se présente devant lui et se remémore des instants de sa vie passée dans un entre deux assez singulier...
Dans l’abribus, tout seul,il ressasse son passé en fumant des joints et essayant de mettre des mots sur sur ses pensées et sur cette terre en périphérie de grande métropole, une terre un peu bâtarde qu'il déteste et vénère à la fois.
Une langue syncopée, incisive, poétique qui claque et qui donne une vision personnelle et subtile dune jeunesse en manque de repères et rend ce 77 comme un des beaux textes de cette Rentrée littéraire 2019.
Marin Fouqué © Safia Bahmed-Schwartz
Sa plume, particulièrement imagée et métaphorique, insiste sur les sensations et sur les petits et grands événements de notre existence et dépoussière la littérature française traditionnelle, souvent un peu trop corsetée et académique.
"Faut dire que chaque matin il faisait que passer d’un banc d’abribus à un fauteuil de car, d’un fauteuil de car à un banc de station de gare, d’un banc de station de gare à un fauteuil de train, et ça toujours bien calé, toujours en place comme sur des rails, jusqu’à sa chaise de classe qu’il traînait sur le sol, crissement sourd, et puis s’installait la tête dans les bras, casquette BMW sur le regard, là-bas dans son bahut à Melun. Intestable. À Melun, moi j’y vais pas souvent. Il y a plein de voies dans la gare et même un tunnel pour passer des unes aux autres. C’est une vraie gare. Pas comme chez nous où on doit traverser les rails en faisant gaffe au train qui en cache un autre."
Avec énergie et une poésie à ras le bitume aussi addictive que singulière, Marin Fouqué, un peu à la manière d'un David Lopez avec "Fief" ou même Gael Faye avec "Petit Pays" ( un autre slameur) convoque un univers bien à lui, à mi chemin entre la littérature et le slam, entre la poésie et la chronique sociale.
Il en profite également pour se faire le porte voix d'une génération brisée, laissée pour compte, et qui tente tant bien que mal de trouver une place que personne ne semble vouloir leur donner...
Un des romans uppercuts de cette rentrée littéraire !