Critique cinéma : Oleg de Juris Kursietis : Une plongée asphyxiante dans le quotidien d'un migrant économique
Nombreux sont les films à dépeindre le quotidien des migrants économiques, ces forçats modernes qui quittent leur pays natal dans l'espoir de hausser leur niveau de vie pour faire vivre leur famille. Peu sont ceux qui arrivent à dépasser un naturalisme évident pour proposer une véritable expérience de cinéma, sans cesser d'être précis sur la situation qu'ils décrivent. Oleg, le deuxième film du réalisateur letton Juris Kursietis, présenté lors de la dernière Quinzaine des réalisateurs, en fait partie.
Le matériau originel du film est on ne peut plus factuel. Il s'agit d'un article, rédigé par un ami journaliste du réalisateur, devenu co-scénariste du film, sur les étrangers émigrant en Europe de l'ouest pour travailler. Juris Kursietis a eu accès à un entretien avec l'un de ces travailleurs, qui a servi à construire le personne d'Oleg, au centre de son film.
Le film assume un style bien marqué, plutôt que de feindre un naturalisme convenu qui ne serait pas moins artificiel. Ainsi la mise en scène d'Oleg est au moins aussi marquante que la réalité qu'il entend décrire. Par un dispositif aussi simple que léché, ce film est autant une expérience viscérale qu'une documentation précise de la vie d'un migrant économique, soumis à une pression économique et psychologique difficilement tenable.
Oleg, qui a quitté Riga pour venir travailler dans une usine de viande à Gand, en Belgique, n'a pas une minute à perdre. Il est de tous les plans et imprime un rythme endiablée à la caméra embarquée qui le (pour)suit. Nous avons à peine le temps de saisir l'angoisse permanente qui l'étreint, lorsque son visage se découpe sur le flou qui l'environne. La claustrophobie, qui résulte de ces choix de mise en scène résolus, rend compte du stress permanent auquel Oleg est soumis. Il est littéralement pris à la gorge, à la fois par la caméra et les circonstances.
Cette expérience étourdissante permet d'approcher la réalité de la vie d'Oleg et de tous ses collègues, frémissant sur la corde raide. Une existence fragile, à la merci des instincts les plus cupides, à laquelle Oleg n'échappe pas. Accusé à tort d'avoir provoqué un accident qui a causé la blessure de l'un de ses collègues, il perd son emploi.
Son monde s'écroule car son permis de travail n'est valable que pour la seule usine dans laquelle il était employé. C'est alors qu'apparaissent Andzejs et sa copine Margosa, deux polonais tout sourire qui proposent leur aide à Oleg.
Sans se départir de son style, ni de sa précision factuel, le film bascule alors du côté du thriller psychologique, à l'instar d'un The Charmer, le premier film de Milad Alami, sorti en 2018, qui flirtait avec le genre pour dépeindre la condition d'un iranien obsédé par le mariage pour pouvoir rester au Danemark. Et comme tout bon thriller, il est soutenu tout du long par une tension dense et compacte, qui tient surtout au personnage d'Andzejs, d'une grande ambivalence.
Dès la première apparition d'Andzejs, une inquiétude diffuse l'entoure. Ses gloussements, ses remarques ironiques et son allure de voyou nous permettent clairement d'identifier une personne mal intentionnée.
En même temps, il aide effectivement Oleg à se relancer : il lui trouve une chambre dans la maison qu'il gère, habité par quelques autres travailleurs. Il lui dégote un nouveau travail et surtout un nouveau passeport, polonais celui-ci (!). Si Oleg a lui aussi des doutes, il est néanmoins dos au mur. Sans Andzejs, retour à Riga, peuplée de créanciers hostiles.
Branché sur courant alternatif, pour ne pas dire schizophrène, Andzejs souffle le chaud et le froid sur l'existence d'Oleg et sur notre perception du personnage. La paie d'Oleg arrive avec un peu de retard et l'on se dit qu'on a mal compris.
La séquence lors de laquelle Andzejs offre son passeport polonais à Oleg, le soir de Noël, nous fait miroiter un dénouement heureux. La caméra quitte même un instant la valse d'Oleg pour suivre celle d'Andzejs, qui a lui aussi ses problèmes : une fille qui grandit loin de lui et une relation chaotique avec son ex-femme.
On se surprend à penser que le polonais est lui aussi victime d'un système inique. Mais non. À l'instar d'Oleg, on glisse peu à peu dans le piège qu'a disposé Andzejs. Lorsque celui-ci se referme, il est déjà trop tard : Oleg est à la merci d'un homme violent qu'il ne peut fuir qu'au péril de sa vie, tout comme Margosa.
Au fil de ce processus de manipulation, mené avec brio par le réalisateur, on découvre tout le cynisme du système dans lequel ces étrangers sont broyés. On ne voit jamais les employeurs, sans doute ravis d'embaucher à tour de bras et à moindre frais.
Cependant, les conséquences de cette exploitation son bien réelles et amènent les étrangers à se dévorer entre eux. Pour tout le monde, ces étrangers sont invisibles et interchangeables : Oleg, letton russophone, présente un passeport polonais aux autorités belges, sans que personne ne sourcille.
Outre son style, le film se démarque par une volonté d'élévation, par le biais religieux, qui pose la question du libre arbitre.
À l'image de l'agneau pascal, entrevu dans une église, Oleg se démène avec intégrité et honnêteté sans pouvoir échapper à son destin sacrificiel.
Une fatalité, le lot de milliers de travailleurs exploités, que le film rend de façon virtuose.
Oleg de Juris Kursietis, en salles le 30 octobre