Une bête au paradis : le huis clos féministe hypnotique et haletant de Cécile Coulon
"A l'adolescence, doué de cette intitution que la mélancolie offre à ceux qu'elle ronge, Gabriel comprit avant Blanche et avant Louis que ces deux là ne pourraient jamais être frère et soeur ni amis ni compagnons. Rien de tout cela .Il savait, parce qu'il connaissait la rage de sa soeur et la souffrance de Louis que rien à part Emilienne et le Paradis ne les tiendrait en un même lieu."
L'auvergnate ( et donc régionale depuis que notre région est devenue Auvergne Rhône Alpes) Cécile Coulon n'a même pas trente ans qu'elle a déjà une belle biographie derrière elle, notamment avec Trois saisons d'orage, lauréat du très convoité Prix du Livre Inter) sans parler d'essais et ses recueils de poèmes assez impressionnants .
"Une bête au Paradis", qui fait partie des romans les plus appréciés des libraires en cette rentrée 2019 ( et déjà lauréat du Prix Littéraire Le Monde 2019) confirme largement son talent.
Cécile Coulon plonge son lecteur pour ne plus le lâcher dans les tréfonds du mal- nommé Paradis, un domaine secret et recluse, composé de champs d'un étang et d'une ferme où les cochons sont l'animal dominant.
« Une bête au Paradis n’est pas le roman le plus long que j’ai écrit, mais c’est celui qui m’a pris le plus de temps : j’avais des scènes entières très pré- cises, très cinématographiques, entre La Nuit du chasseur et Claude Chabrol. Une bête au Paradis est un huis clos. Une angoisse permanente monte, une tension gonfle car personne ne peut sortir des limites de la ferme. Il n’est pas question de grands espaces naturels mais de la place que l’homme prend dans ces espaces, des clôtures qu’il enfonce dans cette terre et des drames qui se jouent dans les limites qu’il s’est lui-même fixé. » Cécile Coulon
Emilienne est la gardienne de ce temple. Elle y élève seule ses petits enfants, Gabriel et Blanche depuis la mort brutale et soudaine de sa fille et son gendre. Elle parvient à créer un semblant d'équilibre avec Louis, le commis qu'elle a recueilli d'un père violent à l'adolescence.
Tous travaillent sans relâhe aux bêtes et aux foins dans ce milieu où les joies sont rares mais réelles, et où le silence est la régle qui prévaut pour tenter d'encaisser les malheurs de la vie.
Un jour, un étranger, Alexandre, va arriver et va faire bosuculer l'ordre établi notamment auprès de Blanche, qui va tomber dans les tourments de l'amour, un peu malgré elle.
L'amour d'un homme sera t- il plus grand que l'amour de la terre? Blanche aura la réponse à cette question, et cette solution ne se fera pas sans violence voire même une certaine bestialité...
Ce huis clos hypnotique et haletant , qui montre comment cette lignée de femmes envoûtées par la terre est racontée par une écriture aussi musclée que poétique d'une Cécile Coulon qui refuse absolument tous les bons sentiments que son histoire pourrait amener.
Même si on pourrait avoir tendance à rapprocher cette lecture du film au nom de la terre, autre grand succès rural de cette rentrée, mais qui était plus une histoire d'hommes et qui était certes tout aussi sombre mais quand même plus sentimental, le roman de Cécile Coulon nous montre que l'enfer rural n'est pas toujours pavé de bonnes intentions...
Une bête au paradis/ Cécile Coulon, éditions l'Iconoclaste; 352 pages, 18€