Berta Isla: le retour du virtuose Javier Marias dans un Ulysse et Pénélope des temps modernes
" Comme il est facile de croire que l'on sait quelque chose alors qu'on ne sait rien", pensais-je." Comme il est facile d'être dans l'obscurité, à moins que ce ne soit notre état naturel. Tomas doit sûrement être lui aussi dans l'obscurité, pas juste moi, pas juste moi. Il est lui aussi dans son monde d'angoisse et de turpitude, il est lui aussi dans l'obscurité en ce qui me concerne."
Le grand romancier espagnol Javier Marías, sans doute un des plus grands écrivains espagnols vivants, (comme les amours , si Rude soit le début) n'en finit plus d'épater son monde ( ses lecteurs en tout cas) à chaque roman à tel point que chaque année, certains le pronostiquent dans la liste des potentiels Nobel.
A l'instar d'un Victor del Arbol, autre très grand écrivain contemporain espagnol, Javier Marías n'aime rien de plus qu'utiliser ce la littérature de genre - le thriller, le roman d'espionnage, le roman historique- pour embraser dans une prose des plus virtuoses, la peitite et le grande histoire espagnole et sonder les relations les plus intimes.
Dans son dernier roman, qui porte le nom de son héroïne, l'éblouissante Berta Isla, Marias tente d'approcher ce qui pourrait s'apparenter à un roman d'’espionnage, sauf qu'on n'est pas vraiment chez John le Carré.
En effet, poursuivant son thème de prédilection, la trahison ( ce qui pourrait s'expliquer vu que Marias est un enfant de l'espagne franquiste) , le romancier espagnol s'intéresse plutôt aux effets sur le couple d’un engagement tel que l’espionnage.
On est totalement immergé dans les doutes et les états d'ame d'une jeune espagnole, qui s'aperçoit que son homme - d'origine britanniques- qui n’est absolument pas celui qu'elle pensait connaitre. puisqu'il travaille pour le compte des services secrets de sa Majesté, et disparait au gré de ses différentes missions
Telle une Pénélope d'aujourd'hui, Berta, qui ignore tout des agissements de son mari vit dans l'attente angoissante et troublée
Revisitant à sa manière, de façon ample et moderne le mythe de Pénélope et Ulysse, cette peinture au scalpel des non-dits et des secrets inhérent à la vie conjugale prend toute sa démesure dans ce cas présent.
On est cosntamment dans la tête de Berta et comme elle on attend le long son Ulysse/ Tomas parti en mission et qui manquera forcément les grands événements de sa vie de couple et de famille .
"Pendant quelque temps, elle ne sut pas au juste si son mari était son mari, pas plus que l’on ne sait, dans un demi-sommeil, si l’on pense ou si l’on rêve, si l’on a encore toute sa tête ou si on l’a perdue, épuisé. Parfois elle se disait que oui, et parfois elle décidait de n’en rien croire et de continuer à vivre sa vie avec lui, ou avec cet homme plus âgé qui lui ressemblait tant. »
Belle et puissante réflexion sur le couple, et très émouvant portrait de femme délaissée, "Berta Isla" est un vrai enchantement !
Berta Isla. Javier Marias. traduit de l'espagnol par Marie-Odile Fortier-Masek. Gallimard. Du Monde entier. août 2019