Sortie DVD - Ne croyez surtout pas que je hurle : Voyage en cinéfolie
Le film de Frank Beauvais est une béance vertigineuse pour le spectateur. Devant un flot d'images tirées des quelques 400 films qu'il a visionnés pendant 6 mois, à raison de quatre ou cinq par jour, sa voix monocorde raconte le désespoir qui l'a gagné après une rupture.
Elle raconte aussi la colère et la peur d'un homme isolé qui entend les rumeurs de la France de 2016, secouée par les attentats islamistes et les manifestions contre la loi travail, et du monde, inévitablement perçu comme un chaos infernal par un esprit vaincu.
Inutile de jouer au jeu de la reconnaissance cinéphile avec ce flot de plans choisis précisément pour leur anonymat. Frank Beauvais dispose, fruit d'un travail acharné, d'un corpus d'image neutres et muettes (de nombreux gros plans, des paysages ou des personnages de dos notamment) qu'il revitalise par le montage de celles-ci avec un texte d'une noirceur incandescente.
Les images acquiescent, contredisent, complètent tour à tour les phrases dans un régime d'une vigueur salutaire.
On imagine plein d'effroi un tel film fabriqué avec moins de talent et moins d'adresse. Partout, les mots s'infiltrent dans le creux de ces films anonymes pour signifier la dépression d'un homme et du monde.
Parce que ces plans sont isolés et dépouillés de toute fiction, le spectateur peut lui-aussi, comme le cinéphile malade qu'a été Frank Beauvais, projeter son existence entre eux. Le dispositif fascine par sa capacité à suggérer, les associations d'idées fusant entre les deux niveaux, visuel et textuel.
Prenant le contre-pied du cliché qui voudrait que parler de soi relève de l'arrogance, Chris Marker considérait au contraire que cela participe de la plus grande modestie : « jugez par vous-même, je n'ai que moi à offrir. » disait-il. Partir (et non tourner autour) de soi pour atteindre d'autres sphères et d'autres êtres, c'est tout l'enjeu d'une mise à nu qui se voudrait sincère.
À travers la sienne, Frank Beauvais réussit à se dépasser pour faire résonner des angoisses universelles et développer un propos magistral sur la cinéphilie, vécue à la fois comme un prolongement magique de la vie, capable d'apaiser les pires traumas et un piège, quand le cinéma se substitue à l'existence.
Se livrant à une introspection presque masochiste tant elle est violente, le cinéaste jette un regard dégoûté qui dégrade tout ce sur quoi il porte. La scansion est excessivement lasse et le propos outrancier à force d'être pessimiste.
C'est la dépression qui parle. Ce que clame d'abord Frank Beauvais, et c'est intolérable, c'est l'impossibilité d'être à plusieurs, de l'intime (en amitié, qui sauvera finalement tout, ou en amour) au collectif (dans les luttes politiques).
Oui, intolérable, le tête à tête avec cet homme - lui, nous - seul, pathétique et parfois franchement détestable, l'est parce qu'il descend tout au fond et qu'à travers ses yeux, il est difficile de soutenir du regard cet abîme. Intolérable, a priori, car le canevas qui l'enrobe magnifie la grande douleur qui l'a fait naître.
Sortie en DVD le 4 février chez POTEMKINE