Quand le théâtre fait son cinéma : La Mouche/un Conte de Noël sur les planches à Lyon
Depuis plusieurs années, on constate un phénomène sur les planches de théâtre avec énormément d'adaptation de longs métrages, de Festen à Opening Night..
Les scénarios de longs métrages se répandent dans les salles de France et Lyon n'échappe pas à la règle puisqu'en janvier on a déjà eu la formidable adaptation de Cassavetes par Maud Lefevre dans Une femme sous influence à la Renaissance . et en ce mois de février, la semaine, deux adaptations de pièces de théâtre font sensation.
Ainsi dans la suite de Fanny et Alexandre à la Comédie Française, Julie Deliquet approfondit son rapport avec le cinéma avec l'adaptation du film éponyme d'Arnaud Desplechin Un Conte de Noël. ,dans un dispositif bi-frontal étonnant. Quant à Christian Hecq et Valérie Lesort , ils adaptent aujourd'hui la nouvelle de George Langelaan qui a inspiré le mythique long métrage de David Cronenberg la Mouche pour une adaptation très libre et bien dans la mouvance du Théâtre populaire.
On a pu voir, à deux jours d'intervalle, les deux pièces qui se sont joués cette semaine sur Lyon- et encore à l'affiche tout le week end- on vous dit tout sur ces deux belles réussites à leur manière:
1/ La Mouche: une fable monstrueuse sur les laissés-pour-compte
Une France rurale oubliée, un monde en marge, les années soixante tristes. Odette, maman aimante, passe son temps à houspiller et surprotéger son grand benêt de fils.
Inadapté peut-être Robert, mais pas si bête, après quelques essais calamiteux dont Charlie le chien d’Odette à fait les frais, ça y est , il en est persuadé, la machine à téléporter qu’il a construit dans le garage est opérationnelle.
Il ne reste plus qu’à l’essayer sur les humains. Ça tombe bien, Marie-Pierre son amie d’enfance est de retour dans le village.
Nous sommes dans un univers fantastique et quotidien.
Un monde vintage décati avec Zappy Max et Ménie Grégoire en bande son. Focus sur des gens de peu qui rêvent et vivent comme ils peuvent en se donnant maladroitement l’amour que l’extérieur à oublier de leur distribuer.
C’est drôle et triste, mélancolique et réjouissant et surtout formidablement interprété . La Mouche, un beau spectacle dérangeant sur la solitude et l’envie d’ailleurs.
La Mouche, vu le mercredi 5 février au Théâtre des Celestins
2/ Un Conte de Noël, la fable loufoque et cinglante de Desplechin en totale immersion
Les patriarches de la famille Vuillard, Abel et Junon - on voit de suite les références mythologiques chères à Desplechin- décident de regrouper pour les fêtes de Noël toute leur famille, alors que celle ci est plombée par les rancunes et les haines très latentes.
Junon (Marie-Christine Orry, qui reprend de façon totalement différente mais avec beaucoup de finesse le rôle joué par Catherine Deneuve au cinéma) apprend qu'elle est atteinte d’une maladie nécessitant une greffe de moëlle osseuse, elle réunit toute sa petite famille dans le but, déjà, de trouver un donneur compatible, mais aussi de recoller les morceaux qui peuvent l’être entre chacun des membres de la tribu.
La metteuse en scène Julie Deliquet fondatrice du collectif In Vitro, a suivi des etudes de cinema et a même commencé par realisation de courts metrages et l'analyse filmique d'où son intérêt régulier pour des projets en lien avec le grand écran.
Ainsi, après une adaptation du film Fanny et Alexandre, d’Ingmar Bergman, pour la Comédie-Française, elle s’attaque en ce début 2020 au Conte de Noël réalisé en 2008 par un Arnaud Desplechin dont le cinéma sintègre parfaitement au mode théâtral - qui est actuellement en train de mettre en scène "Angels In america" à la comédie française.
Sorti en salles en 2006, cette histoire de famille déstructurée par une narration d'une intelligence rare. et intègre dans son dispositif même un hommage au théâtre.
Un Conte de Noël mélange constamment la comédie et le drame avec une indéniable virtuosité et oscille sans cesse entre la réplique vacharde, la joute oratoire et les rancoeurs qui rejaillissent à la surface
Ce " conte" polyphonique amer et provocateur mélange allègrement références mythologiques, repères autobiographiques, clins d’œil théâtraux, littéraires et cinématographiques; avec les fantômes de Bergman, Lacan et Shakespeare qui rôdent…
La principale difficulté de l’adaptation d’Un Conte de Noël a consisté pour la metteuse en scène en la fusion des 162 séquences du scénario.
Pour mettre le texte en abîme , Julie Deliquet a ainsi opté pour un dispositif en bi-frontal et une scénographie bordée de spectateurs, ceux ci se sentant totalement immergés par le vibrant drame familial qui se déroule devant ses yeux .
Les comédiens sont ainsi vus sous tous les angles par les spectateurs, contrairement à ce que Desplechin, qui filmait beaucoup en gros plans nous montrait.
Aucun détail de ce psychodrame shakespaerien n'échappera à l'oeil aggueri du spectateur.
Julie Deliquet et son formidable collectif IN Vivo- notamment Hélène Vivies, formidable dans le rôle de Silvia, la pièce rapportée et objet de tous les désirs des mâles du groupe- nous plonge ainsi avec fièvre et intensité dans l'enfer de la famille, et temple d'une possible rédemption.
"Henri, à Paul son neveu : Si on y songe, c’est assez amusant : toi et moi, nous avons un gène identique. Tu es mon neveu. Ça tendrait à prouver que je suis bien le fils de Junon. Ce qui est assez étrange, mais enfin, bon. Paul : Tu croyais que t’étais pas le fils de ta mère ?! Henri : ... Junon et moi on ne s’aime pas trop. Non, je préférais imaginer mon père, Abel, couchant avec d’autres femmes. Ou alors que je sois né par césarienne. Ou « in situ », in vitro, enfin, je ne suis pas spécialiste en la matière ! C’est assez confus. Mais bon, il semble que je sois sorti de ta grandmère. »
Au Radiant (programmation des Célestins et du Théâtre de la Croix-Rousse) du 5 au 9 février - Vu le jeudi 6 février au Radiant .Le texte de ce conte de noel est paru à L'avant-scene cinema, numéro 572