Critique cinéma : Adolescentes : la chronique poignante et ambitieuse de Sébastien Lifshitz!
Sébastien Lifshitz est le réalisateur- entre autres- d'un très grand documentaire intitulé, "Les Invisibles" qui nous avait profondément marqué il y a près de dix ans.
Et invisible, on peut dire que l' adverbe colle parfaitement à son nouveau- ambitieux et passionnant- long métrage "Adolescentes"
En effet, pendant les 2 heures 15 que dure son film, la caméra de Lifshitz semble l'être totalement (invisible), au grand plaisir du spectateur, qui a l'impression d'être au plus près des deux protagonistes du film.
En effet, Emma et Anaïs, les deux adolescentes brivistes (le cinéaste a tenu à filmer dans une ville de province assez neutre, loin de la banlieue parisienne qui sert souvent de décor à de tels portraits de jeunes gens) du film de Sébastien Lifshitz s'abandonnent tellement derrière la caméra du cinéaste, que les craintes de ce dernier, qui n'avait jamais réalisé un long métrage uniquement avec des scènes quotidiennes se sont vites révélées infondées.
On sent que le dispositif restreint du réalisateur a très peu perturbé les jeunes filles et leur famille qui l'ont très vite oublié.
En filmant pendant 5 années, de leur 12 ans à leur 17 ans, de leurs années collèges à la fin du bac, ces deux jeunes filles, amies dans la vie, et pourtant totalement différentes à tous les niveaux, Sébastien Lifshitz a de l'ambition à revendre.
Il nous donne ainsi à vivre l'intimité de cette jeunesse française d'aujourd'hui et le résultat est aussi passionnant qu'emballant.
Des premiers émois amoureux aux injonctions des parents, des professeurs, de la société dans son ensemble, en passant par les tragédies nos deux jeunes héroïnes vont devoir affronter un certain nombre d'épreuves, et malheureusement pour Anais, la jeune fille née dans un milieu social moins favorisé qu'Emma, ceux ci sont bien plus nombreux et bien plus douloureux.
Alors que Sébastien Lifshitz avait d'abord prévu de filmer un jeune garçon sous une longue période de sa vie, pensant que son regard d'homme sur ces jeunes filles pourrait être pernicieux, le metteur en scène n'a pas hésité à changer son fusil d'épaules en pleine préparation et bien lui en a pris tant il sait filmer ces deux adolescents sans la moindre impudeur et avec énormément de délicatesse
Après 500 heures de rush et un travail de montage- avec sa précieuse monteuse Tina Baz- qui aura duré plus d'un ans- Lifshitz filme à la fois les petits riens d'une vie qui importe et les grands drames qu'il faut endiguer malgré tout avec la même justesse et le même à propos.
Entre candeur et maturité, lucidité et insouciances, ces tranches de vie captées par Sébastien Lifshitz s'avèrent être aussi touchantes que drôles .
Comme à son habitude, Sébastien Lifshitz soigne particulièrement l'esthétique de son film avec une image particulièrement léchée et une bande son idoine (la musique de Tindersicks, compositeur attitré de Claire Denis ajoute énormément de mélancolie à l'ensemble) pour mettre évidemment de cinma dans cette captation du réel.
Dans la lignée d'un "Boyhood" sans la béquille de la fiction mais également pas très éloigné d'une démarche à la Riad Satouf pour son cahier d'Esther, les "Adolescentes" de Sébastien Lifshitz est une chronique poignante et d'une profondeur incroyable
Ce nouveau film- avant Petite fille présenté à Berlin et qui devrait sortir dans le courant de l'année- démontre si besoin était que Lifshitz est bien un de nos plus grands cinéastes, de documentaire, mais surtout cinéaste tout court .
Adolescentes devait sortir en salles le 25 mars mais en raison de la crise sanitaire sa sortie est reportée au 9 septembre 2020