Une fille de passage :Autofiction : la réponse de l'élève au maitre
"Près de cette photo s'en trouvait encore une de lui, jeune cheveux très bruns, crépus, méconnaissable, nez aquilin, méconnaissable. Je m'étais retournée pour le regarder, le comparer. Je le trouvais plus beau maintenant, plus vieux mais bien plus beau qu'il ne l'avait été autrefois comme s'il s'était ajusté à lui même."
Si des romancières comme Christine Angot ou Annie Ernaux ont largement contribué à populariser le genre, il faut se rappeler que le concept littéraire de « l’autofiction » a été inventé en 1977 par le romancier Serge Doubrovsky pour auto qualifier son roman "Le fils".
Ce qui est alors encore un néologisme désignait une forme littéraire inédite mettant en lumière le fait d’écrire un texte autobiographique tout en s’en éloignant, par l’utilisation d’un style et de tournures qui distancient l’écrivain de ces propres propos.
Serge Doubrovsky n'aura eu ensuite de cesse de rendre fictionnelle sa matière autobiographique avec d'autres récits la femme brisée ou un homme de passage son dernier roman, paru en 2011 quelques années avant sa mort.
Amincir la ligne entre réalité et la fiction, voilà aussi ce à quoi tend la romancière Cécile Balavoine, qui après un premier roman fort remarqué en 2017, Maestro sur la vie de Mozart raconte ici son histoire et son lien intime avec Doubrovsky.
Au mitan des années 90, Cécile Balavoine va partir à New York où vit régulièrement Serge Doubrovsky.
Elle s'inscrit en élève au cours de théâtre classique , l'admire déjà en tant qu'auteur et critique et va peu à peu se lier d'amitié avec lui à tel point qu'avec d'autres étudiants, elle louera avec deux autres étudiants un appartement en plein New York dont Serge Doubrovsky est le propriétaire et commencera ainsi à le fréquenter de plus en plus
C'est l' ambivalence de cette relation, faite d'admiration et d'emprise que raconte près de 20 ans plus tard, Cécile Balavoine dans cette fille de passage, dont le titre répond à l'ultime roman de Doubrosky un homme de passage dans lequel la jeune étudiante est présente, que raconte la romancière dans son texte.
Malgré la différence d'âge et le coté homme à femmes du vieux romancier, la jeune femme ne pourra s'empêcher d'être totalement subjuguée par le charisme de l'homme et son savoir immense.
Plus que la relation qui restera finalement assez chaste entre le romancier et sa muse, et décrite ici avec ambiguité et une certaine douceur, ce qui séduit ici dans le roman de Cécile Balavoine, c'est sa façon d'interroger l'autofiction puisqu'elle est tout autant un personnage de roman que romancière.
« L’écrivain avait fait de moi une autre. Un double. C’était un peu une mort, et un peu une naissance. »
Les deux facettes de l'exercice littéraire sont ainsi convoquées de manière ambitieuse et intelligente dans Une fille de passage et l' on comprend mieux à quel point, parfois, le sujet peut s’échapper du cadre autobiographique voulu par son auteur.
Si on ajoute une très jolie description du New York où vivait une certaine insouciance pré 11 septembre, on saluera donc ce roman paru aux éditions Mercure de France juste avant le confinement.
Une fille de passage; Cécile Balavoine
240 p. 19,50 €
ebook avec DRM 13,99 €