Le colocataire de Marco Berger : Critique + Interview exclusive avec son acteur principal, Gaston Re!
On vous propose un grand focus en cette semaine de réouverture des salles sur le Colocataire, qui arrive en salles pour la prochaine vague de sortie qui aura lieu dans une semaine soit le 1er juillet prochain.
Ce neuvième long-métrage mais un des rares à sortir en France -de Marco Berger, le "Eric Rohmer Gay du cinéma argentin"- est très réussi.
Gaston Re y est prodigieux en veuf issu de la classe ouvrière qui fond de passion et de désir pour un beau gosse macho et nous avons eu la chance de l'interroger et de lui poser quelques questions sur sa belle prestation .
Depuis quelques films déjà (ABSENT, PLAN B....) le cinéaste argentin Marco Berger creuse un sillon autour d'une même thématique- le désir souvent empeché et réprimé entre deux hommes dans une Argentine où l'homosexualité n'est pas toujours très bien accueillie - en troussant des fictions souvent drôles, qui ont souvent conquis un public assez large de fidèles.
Alors que son précédent film "Taekwondo" sondait sur un versant plutôt léger et très bavard cette intimité masculine qui peut virer à l'attraction, son dernier film en date, "Le colocataire" - Uno rubio pour le titre original, qui insiste plus sur la blondeur inhabituelle d'un de ses protagonistes- reprend les obsessions du cinéaste mais les amène sur un terrain différent en y confèrant une dimension plus tragique, et beaucoup plus taiseuse.
Le blond du titre, Gabriel- Gaston Re, pour qui le cinéaste a écrit le film et qui offre une prestation toute en retenue vraiment remarquable- est un employé dans une scierie dans la banlieue de Buenos Aires.
Veuf, il est papa d'une petite fille qui vit loin avec sa grand mère .
Au début du film, il trouve une co location chez un de ses collèges de bureau, Fabio et ce qui devait être au départ une colocation normale va finalement s'avérer un lieu de toutes les tensions sexuelles et les désirs difficiles à réprimer dans une Argentine où il vaut mieux être homosexuel dans un autre milieu que dans la classe ouvrière.
Marco Berger n'a pas son pareil pour filmer la montée du désir et toute la première partie du film nous montre comment va s'instaurer un jeu de regards et une tension sensuelle et sexuelle entre les deux colocs, qui passe avant tout par le langage non verbal.
Il faut dire que si Juan est plutôt à l'aise avec son corps et sa sexualité, Gabriel est un être très introverti, effacé qui a beaucoup de mal à exprimer ses émotions et ses désirs.
Mais une fois que la pulsion charnelle sera assouvie, à mi film ( ce qui est rare dans le cinéma de Marco Berger où les héros se sont tournés autour jusqu'à la toute fin qui se conclut souvent par un baiser), il est désormais temps de constater les dégats et de nous montrer la confusion des sentiments. C'est l occasion de voir également l'impact de cette relation sexuelle impromptue sur les deux protagonistes de l'histoire...
Car il semble bien difficile, dans le cinéma de Marco Berger, de s'afficher comme ouvertement gay dans un milieu de classe populaire encore très patriarcale et où l'on ne peut décevoir sa famille qui s'est beaucoup sacrifiée pour soi.
Et on s'apercevra finalement que c'est Gabriel, le moins déluré et plus complexé en apparence, qui assumera plus son identité sexuelle, au contraire de Juan, qui vivra mal cette virilité mise à mal par cette relation torride et le fera payer à un Gabriel qui avalera beaucoup de couleuvres.
Suggestive, parfois frontale- le cinéaste n'hésite pas à filmer l'entrejambe et les bassins des acteurs- la caméra de Marco Berger préfère quand même rester dans le hors champs et finalement sait rester bien plus pudique que voyeuriste.
Les deux comédiens (Gaston Re, dont on a déjà parlé, mais son partenaire le danseur Alfonso Barón est également formidable dans un registre bien différent ) semblent pleinement s'adonner à la caméra de Berger qui leur rend bien et les magnifie totalement.
Un cinéma à fleur de peau qui prend le temps de raconter son histoire - certains pourront reprocher un manque de rebondissement voire d'actions- et nous montrer l'évolution plus ou moins prégnante de ses beaux personnages, à la fois forts en apparence et cachant une incroyable vulnérabilité qui émeut profondément .
LE COLOCATAIRE (Trailer) from OPTIMALE Distribution on Vimeo.
Baz'art : Bonjour Gaston: ON vous connait encore mal en France, même si cela ne devrait plus être le cas après votre sublime prestation dans "le colocataire", vous pouvez vous présenter en quelques lignes?
Gaston Re : Oui bien sûr, en fait je suis comédien depuis quelques années en Argentine ou je suis né.
J'ai notamment suivi des cours à la National Art University de Buenos Aires, j'ai joué dans quelques séries en Argentine, mais jai surtout fait du théâtre ou j'ai participé à pas mal d'ateliers , en tant qu'élève puis en tant que professeur.
C'est d'ailleurs grâce au théâtre que j'ai été reperé par Marco Berger, avec qui j'ai fait deux longs métrages Taekwondo, et bien sur "le Colocataire".
Baz'art : Il parait que vous vivez actuellement en France.. Du coup, vous avez prévu de faire carrière en France et de dire adieu à l'Argentine?
Gaston Re Je suis parti en France en 2018, tout simplement car en Argentine, ce n'est pas toujours évident quand on est comédien, de trouver du travail, les propositions ne sont pas si nombreuses que cela, surtout comparé à un pays comme le France .
J'avais plutôt prévu au départ de faire un peu le tour du monde, pas forcément de travailler comme comédien en France mais j'ai eu cette opportunité par un ami français, Jacques Verzier de jouer avec lui dans une pièce, "Berlin Kabarett" qui allait se jouer au Théâtre de Poche-Montparnasse. aux côtés de l'éblouissante Marisa Berenson.
Au départ c'était pour jouer un tout petit rôle- de nazi- mais cela s'est très bien passé avec le metteur en scène Stéphan Druet et il m'a étoffé ce rôle que j'ai joué presque deux ans..
Là avec une amie, je suis en train d'écrire une pièce de théâtre en français, et je suis vis actuellement en région parisienne, donc oui j'ai plutot prévu de faire carrière en France, mais évidemment si un metteur en scène argentin me propose un rôle très interessant dans un film argentin, j'accepterais avec grand plaisir, je n'ai pas du tout fermé la porte à l'Argentine, loin de là..
Baz'art : Il est d'ailleurs possible que Marco Berger soit ce metteur en scène argentin qui vous rappelle par chez vous.. Vous semblez entretenir une vraie complicité avec lui puisqu'il vous a dirigé dans Taekwondo' et qu'il a écrit Le Colocataire spécialement pour vous, n'est ce pas?
Gaston Re Oui c'est vrai . Marco et moi sommes devenus de très bons amis pendant le tournage de son film, "Taekwondo."
Après cela, nous avons voyagé, nous sommes partis en vacance ensemble afin de renforcer nos liens. Nous nous étions rencontré dans le cours d’art dramatique que Marco dirige en Argentine, où il forme des comédiens pour le cinéma.
Dans "Taekwondo" j'avais un beau rôle, mais c'était un type un peu superficiel, un peu frimeur et lui me soutenait qu'il allait m'écrire une film pour que je puisse montrer toutes mes capacités et une facette que je n'avais pas encore eu l'occasion de montrer.
C’est ainsi que le projet a été développé, Marco a construit le personnage et puis le scénario autour de nos échanges très constructifs qu'on a eu tous les deux.
Baz'art : Cette facette qu'il voulait montrer de vous, c'est ce coté très introverti,très en retenue de Gabriel, un garçon très timide qui a beaucoup de mal à exprimer ses sentiments, n'est ce pas?
Gaston Re : Oui tout à fait c'était vraiment cela le challenge et la grande difficulté pour moi.
Il fallait beaucoup jouer avec les silences, les frustrations, et tout cela devait se faire de façon très subtile avec le moins de mot possible..
Tout devait passer par les gestes, le regard, le langage corporel..
On peut dire que je suis plutôt à l'opposé de la personnalité de Gabriel dans la vie de tous les jours, j'ai du faire appel à une timidité qui est enfouie en moi et qui ressort assez rarement pour jouer la dessus..
Mais c'est vrai qu'au départ du projet j'avais quand même assez peur de ne pas être à la hauteur de ce défi, cela met quand même une certaine pression quand un metteur en scène nous écrit un film autour de sa personne, c'est sur...
Baz'art : Le challenge aussi, il était j'imagine dans ces scènes très physiques,entre vous et votre partenaire Alfonson Baron... Car "Le colocataire" est un film sur le désir, comme les autres films de Marco Berger mais aussi et c'est qui change un peu de ses autres films, sur la façon dont ce désir peut être assouvi.. Bref il y a pas mal de scènes de lit et de nu dans ce film, comment on gère cela quand on est comédien principal du film?
Gaston Re : On a géré cela assez facilement pour le coup, mais cela a porté au crédit de Marco, à sa solide expérience de cinéaste et à la grande confiance qu'il met dans ses comédiens...
Il y a beaucoup de scènes un peu crues en effet mais pour moi, aucune n'est gratuite, sa caméra n'est jamais voyeuriste
Finalement , ces scènes sont finalement d'une grande pudeur et d'une grande beauté, et Marco faisait tout pour nous placer dans les meilleures conditions possibles ..
Très rapidement on était tellement dans l'histoire et nos personnages que la nudité n'était pas vraiment un problème..
Baz'art : Contrairement aux précédents films de Marco Berger le colocataire est plus sombre, moins léger et s'interesse plus à l'impact d'une relation homosexuelle dans une Argentine encore assez patriarcale et qui accepte encore peu facilement cette relation.. Est-ce que parce que l'intrigue se situe dans une Argentine plus ouvrière, plus défavorisée que ses autres films que la tonalité se fait plus grave?
Gaston Re : Oui bien sûr . Pour Marco et je suis d'accord avec cette idée, en Argentine, comme sans doute dans beaucoup d’autres pays, la façon la plus simple d'être gay est d'être de la classe moyenne, d'habiter à Buenos Aire même .
Dans la banlieue de Buenos Aires, on est effectivement plus dans des habitations de classe ouvrière, il y a beaucoup de machisme.
Ça évolue peu à peu mais ce n'est pas encore très facile. Vous savez, les films de Marco draine un public assez fidèle de spectateurs qui attendent justement cette tension sexuelle qui comme vous le dites n'arrive généralement qu'à la toute fin du film, là il voulait dépasser cette attente là et montrer justement comment une fois que la relation est consommée, on peut vivre avec cela surtout que l'un des deux n'assume pas son homosexualité. ..
Marco m'a dit que ce qui est beau avec mon personnage c'est que c'est celui qui évolue le plus au fil du film contrairement à Juan et je suis assez fier de sa destinée c'est certain..