Sélection #VendrediLecture spécial récit de famille: Colombe Schneck, Lucie Ternière, Blandine De Caunes
Loin de n’être qu’un thème parmi d’autres, la famille est au cœur de la fabrique du roman contemporain, parfois pour le pire et quelquefois pour le meilleur, comme l'illustre parfaitement les trois romans suivants issus de nos dernières lectures :
1/ LES GUERRES DE MON PÈRE; COLOMBE SCHNECK ( Le Livre de Poche)
" En 1975, mon père, chirurgien, installé à Paris, propriétaire, marié et père de trois enfants, déclare à son futur associé, chirurgien comme lui, fils et petit-fils d’instituteurs auvergnats :
–Avant toute chose, je dois te dire que je suis juif, j’espère que cela ne te gêne pas. »
Il va m’être très difficile d’écrire une chronique sur « Les guerres de mon père », tant le récit de Colombe Schneck est bouleversant. Il est parfois des livres nécessaires, pas seulement pour l’auteure mais aussi pour le lecteur.
L’écrivaine part à la recherche de l’histoire de son père, Gilbert Schneck né en 1932 et mort d’une crise cardiaque en 1990 alors qu’elle n’avait que vingt-cinq ans.
Chirurgien parisien, épicurien, un père aimant mais un mari éternellement amoureux d’autres femmes que son épouse. Une figure paternelle forte, d’un optimisme inébranlable.
Un père qui a vécu l’enfance terrifiée d’un petit garçon juif caché pendant la guerre, une adolescence marquée par la mort très honteusement médiatisée de son père et qui fait une entrée dans l’âge adulte comme jeune médecin impuissant devant les atrocités de la guerre d’Algérie.
Gilbert Schneck a traversé tourtes ces guerres et pourtant il a laissé à toutes les personnes qui ont croisé son chemin le souvenir d’un homme bon et chaleureux.
Colombe Schneck suit les traces que Gilbert a laissées dans l’Histoire de France, avec rage et vaillance.
"Il n’y pas de sentiment de vengeance dans cette quête, tout simplement une volonté de vérité pour le comprendre et accepter de l’avoir perdu si jeune. Lui rendre enfin, par ce livre, l’amour qu’il avait si bien su lui donner."
Chroniqueur: Michelio
"Faire de l’histoire , Lucie , ce n’est pas conforter les gens dans des réflexions machinéennes qui ne reflètent pas la réalité .C’est leur donner les moyens de comprendre la complexité de l’humain" .
Oubliez les dates à apprendre par cœur avec "Madame vous allez m'émouvoir", la Grande Histoire est racontée à travers le biais de la petite histoire, celle d'une famille mais il ne s'agit pas d'un roman.
Est ce vraiment par hasard que Lucie Tesniere trouve des centaines de lettres écrites par son arrière grand père, Paul Cabouat, entre 1914 et 1916 depuis les tranchées où il était médecin ? Puis, qu'elle tombe sur les 23 tomes du journal du père de Paul ?
Elle aurait pu les lire et puis en rester là. Or ces trouvailles sont comme un déclic : elle se lance dans une enquête familiale, recueillant les témoignages des proches, compulsant les archives et consultant des historiens.
En lisant ce livre, j'ai regretté de n'avoir pas eu la présence d'esprit, le temps de parler avec mon grand-père de son passé de résistant (il était si content le jour où je lui ai donné mon mémoire sur les femmes résistantes dans le Dauphiné) ou avec ma grand mère de son père qui s'était pris des éclats d'obus dans la jambe lors de la première guerre.
J'ai apprécié l'honnêteté de Lucie Tesniere qui s'interroge sur le camp choisi par Paul Cabouat pendant la seconde guerre mondiale sans volonté d'enjoliver et qui mène un véritable travail de fourmi pour reconstituer l'histoire de sa famille.
Ce formidable récit réussit la prouesse de transformer un devoir de mémoire personnel en un livre qui fait écho en nous tous, ce n'est pas la moindre de ses prodiges.
"Plus je tirais le fil de la vie de Paul, plus j’amenais à moi des histoires incroyables, totalement inconnues de la famille ! J'étais projetée en plein film d'action. Il fallait que je raconte ces histoires, que je les partage....
Chronique: Choco
3/La mère morte, Blandine de Caunes (Stock)
"J'ai perdu le 1er avril ma fille unique et le 20 juin, ma mère unique. Maman est un mot qui a disparu de ma vie. Je ne le dirais pas et je ne l'entendrais plus."
Blandine De Caunes, attachée de presse bien connue du monde de l'édition, est l'auteur d'un roman qui a plus de 40 ans, L'involontaire, dont on a parlé à l'occasion de sa récente réédition en poche
Elle est aussi (surtout)? la fille de Benoïte Groult, grande figure du féminisme français, et romancière de beaux romans comme Les beaux Vaisseaux du cœur, dans lesquels elle affirmait une liberté loin des dictats sociétaux
Benoîte Groult s'est éteinte en juin 2016 à Hyères, à 96 ans. "La mère morte" raconte cette mort ainsi que l'année précédent ce deuil, la romancière étant atteinte de la maladie d'Alzheimer particulièrement difficile à gérer pour ses proches et notamment Blandine de Caunes, sa fille adorée qui raconte la cruauté de la déchéance d'une mère jadis si brillante et alerte.
Mais ce récit est aussi celui d'un double deuil et le titre la mère morte envisagé plusieurs années auparavant aura un double sens assez cruel puisque la fille uniduqe de Blandine de Caunes, Violette, se tue dans un accident de voiture quelques mois avant la mort de sa propre mère..
Ce texte, pudique et bouleversant à la fois, réunit ainsi dans un même tombeau littéraire la mère et la fille de l'auteur.
La Plume de Blandine de Caunes relie ainsi en un seul et même élan trois générations de femmes pour un roman dur parfois mais qui est aussi comme un hommage à la vie et à nos facultés incroyables de résilience cachées au fond de nous. un témoignage littéraire assez imparable..
"J'ai écrit un texte que je lirais à l'église. Je l'ai écrit d'abord pour Zélie, c'est à elle que je m'adresse plus qu'à ma fille: c'est elle qu'il faut sauver. Pour Violette c'est trop tard: Je veux qu'elle entende, que tous entendent, qu'elle est désormais ma priorité absolue et que je ferais tout pour l'aider à grandir et être heureuse. Je termine avec une pensée pour maman qui n'est plus avec nous, même si elle est encore là..."