Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait : le film le plus virtuose d'Emmanuel Mouret !!
Jeudi dernier, j'ai eu la chance avec deux autres comparses des médias lyonnais d'interroger le cinéaste Emmanuel Mouret venu présenter son nouveau film Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait .
A cette occasion, je me suis permis de lui poser une question un peu retorse certes, mais gentiment retorse comme les sentiments qu'animent les personnages de ces films.
Je voulais savoir pourquoi depuis ses quatre derniers films, " le moyen Caprice" excepté, il n'apparaissait plus dans ses propres longs métrages et si il y voyait un lien de cause à effet avec le fait que ces derniers films étaient plus amples, moins dans la légereté et le marivaudage et plus dans la cruauté et la mélancolie.
Autrement dit, est-ce que son personnage et son jeu d'acteur- que j'ai toujours trouvé un peu limité mais ca je n'allais pas vraiment le lui confier- était une entrave à cette dimension tragique et lyrique que ses derniers longs métrages développent avec une maestria incroyable, notamment en ce qui concerne le sublime "Mademoiselle de Joncquières" .
Evidemment, Emmanuel Mouret a tenté devant nous de contredire cette vision un peu schématique des choses , arguant qu'il avait déjà joué dans des films qu'il a réalisé, à la tonalité assez sombres ("Un baiser s'il vous plait)" ou qu'a contrario, que son second film, "Vénus et Fleur" dans lequel il ne jouait pas, était plutôt léger.
Le fait est que son personnage et son jeu d'acteur- pas toujours exceptionnel, concédons le- fait pencher la catégorie de ces oeuvres dans un coté un peu trop marivaudage alors que l'autre catégorie, dont fait donc partie Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait explore les affres du sentiment amoureux avec un spectre large, allant de la comédie à la Rohmer au drame romanesque que ne renierait pas un Truffaut des grandes heures.
" Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait” nous immerge en effet avec une virtuosité dont Mouret n'avait jamais fait preuve à un tel point grand art dans un entrelacs d’histoires d'amour racontées de façon presque kaléiodoscopique et assurément de façon totalement jubilatoire.
Les protagonistes du film de Mouret ne vivent certes plus au 18e siècle comme ceux de "Mademoiselle de Jonquières" mais ils ont conservé cette manière de parler, cet art de se raconter qui semblent venu d'une époque révolue.
Tout ceci fait un bien fou pour ceux qui apprécie les beaux textes et l'intelligence du verbe et ceux qui trouvent que la langue d'aujourd'hui s'est quand même un peu appauvrie.
Dans Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait , on se parle - beaucoup -sauf dans les deux dernières scènes, silencieuses et vraiment magnifiques- on se croise, on s'aime comme on se quitte ou on se trompe, tout cela dans une valse virevoltante et emballante .
Considérant que parler est une action comme une autre, Mouret opte pour des longs plans séquences toujours en mouvement, dans lesquels ses acteurs- beaucoup de nouveaux venus dans son univers- s'abandonnent comme rarement, prenant visiblement un plaisir rare à parler le langage "Mouretien", un peu comme il existe également un langage allénien ou rohmerien.
A ce titre, Niels Schneider, Vincent Macaigne ou Camélia Jiordana semblent plus en retenue que dans leurs rôles habituels et épatent totalement.
A la manière de La ronde de Max Ophüls (1950) où le désir circule d'un personnage à l'autre, chaque témoignage demeurant indissociable de la voix d'un conteur qui confère immédiatement une dimension émminement romanesque au film.
Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait est un hommage à l'inconstance de l'être humain.
Nul super héros chez Mouret- ouf! mais des hommes et des femmes qui se débattent avec leurs contradictions et qui se rendent comptent que leurs actes contredisent parfois leurs paroles.
Refusant d'intégrer de manière trop ostentatoire le contemporain dans ses lieux et ses situations, arguant qu'une oeuvre classique peut continuer de nous toucher, cette radiographie du désir dans toutes ses déclinaisons touche et émeut profondément aussi par son intemporalité et son universalité .
" Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait” est incontestablement l'oeuvre la plus ambitieuse, la plus aboutie, la plus poignante d'Emmanuel Mouret.
De fait, il serait bien dommage que la situation sanitaire actuelle empeche le film de se déployer et de toucher autant qu'il le mérite.