Rencontre avec Marc Fitoussi pour son film "Les apparences "
Pourquoi adapter un roman de l'auteur peu connue Karin Alvtegen ?
Juste après mon premier long métrage, La Vie d’artiste, la productrice Christine Gozlan m’avait demandé si l’idée d’adapter un roman pouvait m'interesser.
A cette époque j'avais surtout d’écrire d’autres histoires originales, mais j’avais dit à Christine que si je me lançais dans une adaptation, ce serait plutôt dans le domaine du thriller , notamment avec une auteure que j’aimais beaucoup, Patricia Highsmith.
Mais tous les droits de Highsmith étant détenus par Sydney Pollack, alors même qu'il en a adapté aucun, donc on a laissé tombé l'idée.
Christine Gozlan a a découvert ce polar suédois dès 2008 qui pouvait ressembler un peu à du Highsmith. Elle m’a demandé de le lire pour voir ce que j’en pensais.
Je l’ai lu, j'ai trouvé ca pas mal mais avec quelques réserves mais au moins comme j'aimais à moitié, j'étais assez libre niveau adaptation puisque je pouvais changer certains passages qui me génaient.
Quels changements par rapport au roman d'origine ?
L'intrigue du roman se déroule à Stockholm et ne parle pas du tout de la communauté d’expatriés français.
C’est l’histoire d’une femme qui découvre que son mari la trompe, elle ne se résout pas à l’affronter et préfère passer par des chemins de traverse dont l'envoi de mails , pour essayer de le récupérer.
Ce qui me génait en fait dans le roman c'est qu'il n'y a pas d'élement contextuel pour expliquer le silence de l’épouse vis-à-vis de son mari ni son impossibilité de concevoir une séparation.
D’où mon idée d’inventer ce milieu d’expats grand bourgeois, la profession prestigieuse du mari, le tout donnant un coté un peu chabrolien avec les notables de province remplacée par la communauté d’expatriés.
Un mélange des genres assuméAu départ, le film pourrait être une étude de mœurs sur les Français de l’étranger. J’ai choisi Vienne parce que ça correspondait bien au métier de chef d’orchestre d’Henri.
Socialement, ce couple est en haut de la pyramide. Le mélange de genres est induit très tôt par la musique qui fait planer une menace sourde d’entrée de jeu.
Il y a aussi ce plan où Ève monte le grand escalier hitchcockien à la recherche de son époux : là, on sent qu’il ne s’agira pas seulement d’une comédie de mœurs.
Des personnages peu aimablesL’ambigüité morale du film m’a valu des difficultés dans les recherches de financement : aujourd’hui, il y a une forte demande pour que les personnages principaux tiennent le spectateur par la main, soient irréprochables, on cite notamment le film Sauver et périr sur les pompiers à tour de bras mais cela m’ennuie souvent au cinéma, ce genre de personnages vertueux, surtout dans le cadre d’un thriller.
Ce qui était important pour qu'on croire à ses personnages peu sympathiques à l'écriture c'est le choix des comédiens
Quelqu'un comme Karin Viard parvient à faire des choses affreuses tout en restant éminemment attachante, et pas seulement dans ce film. Elle a un capital sympathie virtuose, et même quand son personnage fait des crasses, on est avec elle.
D'ou vient Le titre "les Apparences"?
Le titre figure dans l’ultime dialogue prononcé par Benjamin Biolay. Le film a été fait avec le titre de travail Valses de Vienne. J’avais peur de la fausse piste, que les gens puissent penser qu’il s’agisse d’un film en costumes sur Johan Strauss.C’est le film où je me suis le plus amusé en termes de mise en scène. J’ai souvent fait des films qui relevaient plus de la chronique comme Copacabana, La Ritournelle ou Maman a tort, où je craignais le “m’as-tu-vu”. Là, dans le contexte bourgeois friqué et dans l’écrin viennois, je n’avais pas de raison de me contraindre.
Par exemple, dans la séquence de l’opéra où tous les personnages se retrouvent à distance, j’ai pu jouer de façon un peu hitchcockienne avec les différents points de vue : Tina qui n’a d’yeux que pour le chef d’orchestre, Jonas qui observe Ève, etc. Ce scénario m’offrait la possibilité de déployer la mise en scène.
Une musique à l'ancienne
L’idée avec le compositeur Bertrand Burgalat était de faire une bande originale hollywoodienne à l’ancienne. Au départ du montage, j’avais placé des musiques témoins, ça allait de Ennio Morricone à Bernard Herrmann, ce qui plaçait la barre très haut pour Bertrand et l’intimidait.
Mais il a carrément relevé le défi. Il a donné une grande homogénéité à la B-O qui instaure dans le film une couleur précise sur toute la durée, qualité de plus en plus rare maintenant que de nombreuses B-O sont des compilations de musiques existantes.