Festival Lumière 2020/ Garde à vue: quand la rencontre Miller/Audiard fait des étincelles
Le festival Lumière a commencé depuis samedi et même si cette année, restriction sanitaire oblige on n'a pas été convié à la cérémonie d'ouverture (snif), on se rattrape sur les autres séances et notamment sur les différentes retrospectives et hommages qui sont nombreux.et très riches en enseignements cinématographiques de toute sortes...
On commence dès ce lundi avec un article consacré au centenaire Michel Audiard avec l'oeuvre de sa filmographique qui nous enthousiasme le plus, le Garde à Vue de Claude Miller dont le grand Michel a assuré les (si brillants) dialogues :
On le sait, le Festival Lumière s’engouffre dans la brèche du centenaire de la naissance de Michel Audiard pour rendre un hommage au scénariste et dialoguiste hors pair qui appartient depuis longtemps déjà au patrimoine du cinéma français.
Mais si Michel Audiard est connu pour ses mots fleuris et son sens de la gaudriole et de la comédie populaire, il a commencé à arpenter des sentiers plus opaques grâce à sa collaboration avec Claude Miller pour Garde à vue, projet qui voit le jour en 1980.
Michel Audiard est au tout début du projet, puisque c’est lui qui découvre le roman paru en Série Noire "À table !" de John Wainwright et il est tellement emballé par sa lecture qu’il en acquiert immédiatement les droits.
Le dialoguiste des Tontons flingueurs voyait dans de projet une envie de textes aux thèmes plus sombres qu’à l’accoutumée et un côté plus épuré dans les scènes d'action.
À l'origine destinée à plusieurs cinéastes comme Yves Boisset Costa-Gavras ou Robin Davies (qui venait de triompher avec la guerre des polices), ces derniers, sans doute un peu effrayés par le coté huis clos du scénario, passent la main.
Jean Louis Livi, agent puis producteur bien connu, va alors contacter Claude Miller pour lui proposer le projet. Celui-ci, qui avait marqué les esprits en 1975 grâce à son premier film, La Meilleure Façon de Marcher, ressortait toutefois d’un échec qui l’avait fortement chagriné avec l’accueil tiède réservé à son second film "Dites-lui que je l’aime".
Sentant qu’il ne pouvait refuser en l'état un film de commande, Claude Miller accepte rapidement le projet car il trouve dans le roman de Wainwright des choses qui colle beaucoup à son univers notamment la question de l’intolérance vis-à-vis des pratiques sexuelles « déviantes«, qui était du reste le sujet principal de La Meilleure Façon de Marcher.
Cependant , Claude Miller s'avère être quelque peu réticent à l’idée de travailler avec un Michel Audiard qui lui semble totalement éloigné de son univers.
Miller s’attelle alors longuement à la conception du scénario avec Jean Herman, fidèle comparse d’Audiard- qui ne travaille plus sur la partie écriture du scénario depuis plusieurs années- en construisant notamment un story board très détaillé ,conçu par Lam Lé, et qui détaille précisemment chaque plan, apportant une vraie fluidité au récit et allégant le coté très bavard du script.
Cependant, Miller étant un grand perfectionniste et une personnalité qui sait ce qu'elle veut, les frictions vont vite arriver avec Audiard lorsque Miller décidera de supprimer des dialogues qu’il juge "à ses oreilles comme « sonnant trop comme du Audiard. »
Le célèbre dialoguiste, vexé qu’un jeune "blanc bec" ose contredire son travail, va alors prendre la mouche.
C'est Lino Ventura lui-même (un comédien que Miller va choisir, le préférant à Yves Montand, premier choix d'Audiard et des producteurs mais que Miller trouvait trop faible dans les scènes dramatiques et ne tenant pas la distance face à Serrault) , séduit par la personnalité de Claude Miller, qui poussera Audiard à prendre en compte les demandes du réalisateur et à calmer les divergences d'opinion.
A la vision de ce chef d’œuvre qu’est Garde à vue, on est ravi que la collaboration entre ces deux fortes têtes du cinéma français ait pu se dérouler finalement sans trop d’encombre tant les dialogues brillent encore par leur verbe, leur vivacité et même leur grande subtilité; certaines séquences- comme le face à face entre Romy Schneider et Lino Ventura étant un modèle de non-dits et de finesse d’écriture.
La réalisation de Claude Miller, bien que cherchant toujours à trouver une dimension cinématographique en cassant dès qu’il le peut le coté naturaliste ou trop théâtral du dispositif, ne joue jamais au plus malin et respecte les personnages et les dialogues en respectant chaque virgule du texte et évidemment le jeu des acteurs, véritable travail d’orfèvre.
La réussite sera si flagrante qu’Audiard et Serrault collaboreront à nouveau, deux ans plus tard, avec Mortelle Randonnée, un thriller moins classique et plus singulier et tout aussi remarquable, même si le succès en salles sera moins au rendez-vous.
Garde à vue
France, 1981, 1h24, couleurs (Eastmancolor),
ma 13 20h30 - Bron
En présence de Jean-Paul Salomé
En présence de Régis Wargnier