Nouveautés en Poches : troisième et dernière sélection de nos coups de coeur de la rentrée 2020
On se retrouve en ce vendredi lecture pour une nouvelle sélection de 6 parutions en poche depuis fin août :
1/ Les yeux rouges, Myriam leroy : une très brillante peinture au scalpel du harcèlement 2.0
"Et à part ça, comment j'allais? Je ne devais pas faire attention aux commentaires dénigrants sous son statut, il y avait parmi ces contacts pas mal de gens auxquels les médias du régime donnaient des furoncles et ne faisaient pas la distinction entre le médium et le message, mais il était d'accord ce n'était pas une raison pour m'insulter. Il en avait secoué un, qui avait écrit " une bonne tête de suceuse", commentaire qu'il avait immédiatement effacé, car il ne pouvait le tolérer, en tout cas à mon propos.
Une chroniqueuse de radio publique reçoit un message facebook émis par un certain Denis, qui alimente parallèlement une page " Denis la menace", dans lequel il donne ses coups de gueule contre l'ehstablissement et le politiquement correct.
Marié, père d'un fils de 50 ans, punk anar de convictions, Denis semble plutôt courtois dans ses premiers échanges à l'égard de son interlocutrice, si ce n'est qu'il semble afficher déjà une drague sexiste un peu lourdaude et qu'il a le mauvais goût d'illustrer tous ses propos d'émojis particulièrement puérils.
Sauf que rapidement, devant le peu de réaction de la jeune femme, Denis va devenir une véritable menace qui va rendre notre journaliste de plus en plus craintive et apeurée.
Les yeux rouges raconte une histoire très contemporaine de harcèlement en ligne.
La romancière belge Myriam Leroy, à qui cette tragédie est vraiment arrivée il y a quelques années, raconte de façon vraiment singulière ( tout en discours rapporté ) le mécanisme implacable du harcèlement en ligne, mettant le lecteur dans une position particulièrement inconfortable..
La violence virtuelle fait elle aussi mal que la violence physique?
Peut-on blâmer la lacheté et le manque d'implication des proches, des institutions ( judiciaires, policières, médicales) qui n'ont jamais vraiment pris le pouls d'un phénomène récent assez impalpable?
Est-ce que la liberté d'expression véhiculée par les réseaux sociaux n'engendre t elle pas un reflux de haine et de discours xénophobe et liberticide qui était mieux enfoui auparavant?
Est-ce que l'affaire Weinstein, dont les effets va permettre de lutter plus efficacement contre ce harcèlement odieux dont sont victimes les femmes?
Dans ce récit bref et implacable, Myriam Leroy tente de répondre à ces interrogations sans jamais porter de jugement et de réponses toutes faites.
Surtout, elle dénonce ce mécanisme insidieux et implacable de l'agression
2/ Abd al Malik, mauvaises blessures ( Pocket)
"Qu'il pleure sur lui même celui qui a perdu sa vie sans en prendre sa part."
Abd al Malik nous raconte l’histoire de Kamil, jeune rappeur noir et musulman adepte du souphisme et originaire d’une banlieue de Strasbourg ( on sent que l'autofiction n'est pas loin tant ce Kamil fait penser à ce que l'on sait de l'auteur)
.Parti à New York chercher l’inspiration pour l’écriture de son livre, Kamil s’interroge sur sa vie, tant personnelle que professionnelle, avant de succomber à la moitié du livre sous les balles d'un gang américain et de continuer à émettre ses pensées au delà de la mort. pour tenter de finir d'écrire ce livre inachevé .
Abd al Malik prête son écriture poétique et politique à une réflexion sur la politique, l'impact du spirituel dans une vie ,le désir de paternité, la place de l'artiste dans le monde et les abîmes de la création littéraire
Les fréquentes digressions philosophiques, musicales et spirituelles de l'artiste pourraient perdre le lecteur qui s'attendrait à une narration plus linéaire mais elle rajoute une dimension assez unique et singulière cette réflexion intelligente et sincère sur la force des mots et de l'esprit et la faculté de tout un chacun de guérir ses traumatismes personnels ( les méchantes blessures du titre) .
Le texte d'Abd al Malik bouscule les idées préconçues sur la religion, le hip hop, la violence et son écriture avec ses ruptures du ton, disgressions philosophiques emporte largement l'adhésion.
Et surtout, dans un paysage de la littérature française un peu trop blanc et aseptisé, il vient renverser quelque peu les codes, ce dont on ne pourra certainement pas le blâmer
3/ Soixante jours, Sarah Marty ( Folio)
"Cevdet les regarde à nouveau et fait le compte, il est superstisieux et croit à la signification des chiffres. Ils sont quinze passagers avec le bébé. Rassuré, il souffle longuement. Il pense que c'est un bon chiffre."
//Dans une région où la guérilla urbaine règne et où les bombes s'abattent chaque jour sur les maisons tuant des civils, le passeur guette le désespoir, la misère, les désirs de fuite. Il passe dans les maisons et promet seulement 5 jours de voyage pour rejoindre l'Europe.
Yoldas, Tekin, Azra, Sibel ...ces 15 hommes et femmes kurdes auraient ils suivi ce passeur s'ils avaient su combien il leur mentait, combien allait être terrible, extrême, leur odyssée pour arriver en Italie ?
Sarah Marty nous fait marcher pendant 60 jours à leur côté. Elle nous fait ressentir le froid qui s'immisce dans leurs os, la neige qui trempe leurs pieds malchaussés, la faim, l'écrasante fatigue. Plus qu'un prénom, elle nous raconte chacune de leur histoire, ce qui fait que partir était, pour eux, la seule issue. A chaque page, on se demande comment ils vont survivre, on s'accroche comme eux aux histoires qu'ils se racontent pour ne pas sombrer dans la folie.
On pense au magnifique La loi de la mer de David Enia à cette scène saisissante d'effroi sur la plage dans la série Years and Years et derrière le terme "migrants", se sont dessinés les espoirs d'hommes et de femmes qui voulaient simplement avoir une vie meilleure.
Un récit puissant et une odyssée terrifiante que l'on n'est pas prêts d'oublier.
4/ Nuits appalaches; chris offut (Gallmeister )
" Le monde lui parut beau pour la première fois, l'air nettoyé par la pluie, la surface de chaque feuille lustrée d'eau. Elle sentait l'odeur de la terre mouillée et des fleurs sauvages, entendait l'assemblée des oiseaux tisser son chant partout aux alentours. Dans la pureté de la lumière matinale, elle n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi beau et d'aussi fort que Tucker."
C'était un vrai événement que d'avoir pû voir il y a désormais la dizaine de jours Chris Offutt à quais du polar, car il est considéré à juste titre comme un auteur culte et cela faisait près de vingt ans qu'on n'avait eu de nouvelles de lui en France.
Après deux décennies de silence littéraire, Offut, dont le visage buriné est bien fidèle à ce qu'on imagine de ce genre de romanciers américain, est revenu en 2019 avec Nuits Appalaches.
L'intrigue est simple: on est en 1954, et on suit Tucker, dix-huit ans à peine, qui revient de la guerre de Corée. Il s'est engagé à seize ans, afin de s'éloigner de la pauvreté et la misère de sa famille perdue dans un vallon des monts Appalaches qu'il va prendre de plein fouet à son retour.
Comme pour Ron Rash également présent à Lyon, Chris Offut possède, bien ancré en lui, ce talent incroyable de raconter les histoires de gens dont on ne parle jamais, des sortes d'invisibles, et de les rendre passionnantes et émouvantes
Et comme pour Ron Rash il trouve les mots pour décrire cette Amérique provinciale et archaïque qui semble être à des années lumières des grandes mégalopoles, on se dit que cette amérique rurale telle que nous le décrit Offut se déroule certes dans les années 60, à l'époque des Kennedy et de Martin Luther King , mais risque bien d'être totalement immuable si on la peignait aujourd'hui, soit 50 ans plus tard.
Pour (ra)conter son histoire de souffrance et de résilience, Offutt va à l'à l'épure, condense ce qu'il faut condenser, afin de ne jamais extrapoler sur ses personnages ( la fin est édifiante à ce propos), et son récit ne souffre ainsi d'aucune longueur et langueur, tout va à l'essentiel pour cette histoire de survie dans des rivages hospitaliers.
5/ Les billes du Pachinko; Elisa Shua Dusapin ( Folio)
"On devrait mourir comme la mue des animaux. Plus on vieillirait, plus la peau s'éclaircirait. A la fin, on verrait tout à l'intérieur de nous, les veines, les os, les sentiments, tout. En même temps la peau ferait un miroir. Et les gens se refléteraient en nous avant qu'on finisse par devenir complètement transparent. A ce moment-là, on irait chez son enfant lui donner son dernier souffle.
- Son enfant ?
- Oui; C'est lui qui vit après."
Les billes du Pachinko est le second roman Elisa Shua Dusapin dont on avait bien aimé le gracieux et délicat "Hiver à Sokcho".
On retrouve dans celui ci son même gout pour les personnes déracinées et qui se posent des questions sur leur identité, à travers le personnage de Claire trentenaire franco-coréenne, qui vit en Suisse, dont les grands-parents octogènaires vivent à Tokyo mais sont des déportés coréens. Ils ont émigré ici dans les années cinquante lorsque la guerre civile faisait rage.
Elisa Shua Dusapin décrit avec finesse et beaucoup de sensibilité (mais pas de sensiblerie ) l'univers du Japon, Tokyo, avec un style épuré, parfaitement en accord avec la culture asiatique.
Un récit intimiste qui nous parle de l'exil, et des différences culturelles raconté avec poésie et émotion.
6/ Les âmes silencieuses, Mélanie Guyard
"On les regardait partir avec appréhension, ces énigmatiques anges gardiens qui les empecherent de mourir de faim."
LoÏc, part vider la maison de sa grand-mère maternelle, qu’il n’a pratiquement pas connu et va découvrir des morceaux du passé de sa famille et d'un puzzle à reconstituer pièce après pièce.
Dans Les âmes silencieuses, Mélanie Guyard fait alterner les chapitres sur 2 époques (pendant la guerre 1943/1944 et actuellement 2012) pour nous plonger dans une quête identitaires qui alterne entre passé et présent.
C’est le premier roman littérature adulte d'une jeune romancière de jeunesse Mélanie Guyard et c'est assurément très prometteur.