Sélection livres de poches : derniers conseils avant Noël
Après les BD et les romans jeunesses, c'est au tour des romans de poche de se soumettre au grill de nos conseils de lectures à glisser sous le sapin... voilà cinq lectures totalement différentes, accessibles pour toutes les bourses
1 Georges Rodenbach, Bruges la Morte ( Folio 2 €)
"Voilà cinq ans qu'il vivait ainsi, depuis qu'il était venu se fixer à Bruges, au lendemain de la mort de sa femme. Cinq ans déjà ! Et il se répétait à lui-même : "Veuf ! Être veuf ! Je suis le veuf ! " Mot irrémédiable et bref ! d'une seule syllabe, sans écho. Mot impair et qui désigne bien l'être dépareillé."
Ami de Rodin et Mallarmé, Georges Rodenbach, mort à la quarantaine avant le début des années 1900 est un écrivain belge incarnant l'école de la génération symbolique. Son oeuvre la plus célèbre est certainement Bruges la morte .
Paru en forme de feuilleton avec des photographies dans le Figaro en 1892, le roman de Rodencbach, ballade mélancolique dans un Bruges blaffard, voit un veuf très respectable croiser le sosie de la morte qu'il vénère maladivement.
Cette ville où il pourra peut-être trouver la paix de l'âme, dans une demeure où chaque objet rappelle la bien-aimée disparue.
"Pour lui, la séparation avait été terrible : il avait connu l'amour dans le luxe, les loisirs, les voyages, les pays neufs renouvellant l'idylle. Non seulement le délice paisible d'une vie conjugale exemplaire mais la passion intacte, la fièvre continuée, le baiser à peine assagi, l'accor des ames, distantes et jointes pourtant, comme les quais parralèles d'un canal qui mène deux reflets "
Roman-poème en prose, roman fantastique, roman policier, un livre à découvrir, d'autant que Bruges, sous l'afflux touristique, a bien changé !
Cette vision le conduira-t-elle vers le bonheur ou vers une folie meurtrière?
Ami de Rodin et Mallarmé, Georges Rodenbach, mort avant le début des années 1900 est un écrivain belge incarnant l'école de la génération symbolique. Son oeuvre la plus célèbre est certainement Bruges la morte .qu'on peut retrouver dans la collection @Folio_livres 2 € pic.twitter.com/RXhPQ3mOUU
— Baz'art (@blog_bazart) December 14, 2020
2/ Une femme en contre jour, Gaëlle Josse (J'ai Lu)
" La femme qui descend du bateau au Havre ou à Cherbourg en tenant sa fille par sa main, et entreprend un interminable périple en train jusqu'à Gap pour rejoindre la Champsaur a eu tout le temps de mesurer sa déroute. Le retour a le goût des défaites."
Il y a beaucoup de si dans le destin de Vivian Maier, qu'on a découvert dans le beau documentaire de Charlie Siskel et John Maloof il y a quelques années.
Nounou anonyme née à New York, Vivian Maier réalisa plus de 100 000 clichés tout au long de sa vie, qu’elle conserva cachés. C’est en 2007 que John Maloof découvre son travail, qu’il n’a cessé de mettre en lumière depuis avant que Vivian Maier ne soit aujourd’hui exposée partout dans le monde...
Il y avait dans ce film beaucoup de questions et beaucoup moins de réponses dans la destinée de l'artiste.
De son enfance sans amour et sans repères à la découverte fortuite de ses photos par un agent immobilier, il y a une telle dose de romanesque dans la vie de Vivian Maier qu'écrire sur elle pouvait être casse gueule.
Mais c'était sans compter la si belle plume et la finesse d'analyse de Gaelle Josse; qu'on avait déjà tant aimé dans son précédent roman, Une longue impatience.
Les super pouvoirs d'une femme à contre jour ? Éviter les clichés et l'hagiographie face à une femme si complexe et peu ordinaire.
Éveiller la curiosité sur cette photographe dont j avais vu passer le nom et aller voir ses photos saisissantes d'humanité puis noter le documentaire à son sujet.
Montrer qu'on peut avoir un immense talent et rester inconnue (et être célèbre sans talent particulier).
3/ White de Bret Easton Ellis ( 10/18)
" J'ai été évalué et critiqué depuis que je suis devenu un auteur publié depuis l'âge de 21 ans et je suis parfaitement à l'aise que je sois aimé ou détesté adoré ou méprisé. Cet environnement me fait l'impression d'être naturel, et je n'ai jamais accordé beaucoup d'importance aux opinions qui fusent, pour ou contre."
On a rattrapé avec un peu de retard le dernier livre de Bret Easton Ellis, White, sorti en France en mai dernier et dont on a beaucoup parlé à sa sortie, notamment en France où BEE avait fait le tour d'un certain nombre de médias .
Il faut dire que ce premier livre de " non fiction " était très attendu par les fans de l'auteur de d’American Psycho, Moins que Zéro et de Glamorama,
Ce "White" est assez passionnant à lire mais pourra déconcerter ceux qui s'attendaient à un roman classique.
On a affaire à une sorte d'essai, écrit de façon a priori décousue, égrénant le fil des pensées de l'écrivain culte, mais le tout n'en conserve pas moins une certaine cohérence lorsqu'on connait les écrits antérieurs de Bret Easton Ellis.
Easton Ellis parle de films qui l’ont marqué, depuis l’adolescence, soit une quarantaine d’années. Il en a vu beaucoup mais visiblement que des films américains.
On y croise des longues pages sur des acteurs plus, Richard Gere Tom Cruise, ou moins célébres (Judd Nelson, Matthew Bommer) parlant souvent de leur homosexualité ou prétendue telle et surtout Easton Ellis réserve des belles pages sur la littérature de David Foester Wallace à son icone asbolue Joan Didion.
On ne sera pas forcément d'accord avec tout ce qu'il dit (sa vision très subjective du très beau "Moonlight" pourra laisser dubitatif) et on pourra s'intriguer du fait qu'Easton Ellis a tendance à ne jamais tomber à boulets rouges sur Trump, contrairement à ses amis intellectuels new yorkais, mais cette attaque en règle contre le politiquement correct et la tyrannie des réseaux sociaux ne laissera pas indifférent.
Bret Easton Ellis est un vrai provocateur, on le sait depuis ses premiers romans, et la lecture de cet essai, très loin de l'eau tiède et du consensus mou, qui nous dit beaucoup de choses sur la société américaine contemporaine et sur notre époque ultra connectée et un peu désilusionnée fait un bien fou !
4/L'arbre monde, Richard Powers ( 10/18)
"Notre cerveau a évolué pour déchiffrer la forêt. Nous avons façonné et été façonné par les forêts depuis bien plus longtemps que nous ne sommes des Homo Sapiens. Les hommes et les arbres sont des cousins moins éloignés que vous ne croyez. Nous sommes deux créatures écloses de la même graine, parties dans des directions opposées, et qui s’utilisent mutuellement dans un monde partagé. Et ce monde a besoin de toutes ses parties. Et pour notre part nous avons un rôle à jouer dans l’organisme qu’est la Terre"
Un artiste en marge, dernier descendant d’une famille qui planta le premier châtaignier dans l’Iowa occidental, un vétéran de guerre qui doit sa survie à un figuier banian, une étudiante en rupture qui entend des voix et semble communiquer avec le vivant, un petit génie de l’informatique rendu tétraplégique en chutant d’un arbre qui crée un jeux vidéo sur la biosphère et ses écosystèmes qui le rendra milliardaire, une garde forestière, docteur en sylviculture qui, par ses observations, prouve que les arbres communiquent entre eux…
Tous ces personnages et d’autres encore vont se rencontrer et devenir parfois contre leur gré des acteurs actifs dans la lutte pour sauver les forêts primaires d’Amérique.
Quatre chapitres : racines, tronc, cimes et graines : promenons-nous dans les bois tant que l’humain n’y est pas.
Qualifier « L’arbre monde » de fable écologique ou de roman militant serait tellement réducteur. Richard Power embrasse des destins humains et les lient à jamais avec les destins des arbres.
Dans une prose romanesque et subtile il réussit à nous entrainer sous des frondaisons poétiques qui embaument la mousse, les lichens, l’humus, et dans la touffeur des sous-bois le lecteur s’abandonne à la littérature.
Un très grand roman visionnaire que marquera son temps.
5/ Une enquête du vénérable juge Ti » de Xiaolong Qiu: ( Liana Levi)
" Si nous ne parvenons pas à voir au-delà des apparences, c’est parce que nous nous plaçons au milieu d’elles. »
On connait le romancier chinois Qui Xiaolong grâce à sa dense saga mettant en scène l'inspecteur Chen, un policier qui enquête dans la chine contemporaine, on sera un peu surpris de le voir dans ce nouveau roman installer son intrigue dans la chhine du 9e siècle., sous la dynastie Tang.
Le héros de l'histoire est le célébre du juge Ti, un personnage récurrent dans pas mal de romans policiers, notamment ceux du hollandais Robert Van Gulik- qu'on dit l'inventeur du polar historique- qui enquête ici sur une énigme autour du meurtre d'une servante dont est suspectée la célebre et talentueuse poétesse courtisane Xuanji.
Inspirée d'un fait réel, qui visiblement passionne la chine depuis plus de 1000 ans, cette intrigue rondement mené nous entraine dans un monde à la fois si loin de nous avec courtisanes,concubines, coutumes ancestrales, et finalement pas si éloignée tant les jeux de pouvoirs, manipulations et flagorneries pourraient faire penser à d'autres plus actuelles.
Les moeurs de la court impériale ont en tout cas suffisamment d'attrait sous le plume de Qui Xiaolong pour qu'on daigne s'y interesser et même plus s'y passionner !