Rencontre avec le romancier Olivier ADAM pour son roman Tout peut s'oublier
Rencontre avec Olivier Adam pour son roman "Tout peut s'oublier"
( lire la chronique du livre ici même)
Vos impressions générales sur la période actuelle, entre crise sanitaire et confinement
Olivier Adam : Je ne vis pas très bien cette période, mais en même temps j'ai l'impression que personne, il me semble, ne vit cette période sereinement.
J'étais à la maison de la radio il ya peu, avec les restrictions diverses, c'était vraiment désert, l'ambiance était assez glauque par rapport à l'effervessence que c'est d'habitude.
C'est pas facile de ressortir du positif de cette période : des gens meurent, d'autres souffrent, les cinémas et salles de spectacle sont fermés depuis plusieurs mois
Les librairies c'est encore autre chose: elles ont eté fermées puis réouvertes, puis inscrites comme des "bien non essentiels", cela a donné une image de la lecture très difficile à appréhender.
On a vu passer des scènes incroyables avec ces rayons livres de grande surface qui ont été interdites d'accès avec du scotch, c'est fou quand on y pense.
Plus globalement, ce que cela dit de la vision de la culture par nos dirigeants fait assez froid dans le dos.
Et d'un point de vue plus personnel?
Disons que j'ai vécu le premier confinement comme une période de productivité intense.
En temps normal, je ne tiens pas trop en place, je ne suis pas du tout du genre , écrire un roman équivaut à se retirer du monde de facon monacale, bien au contraire
L'appel de l'extérieur m'a toujours semblé plus fort, que ce soit aller au cinéma, voir un concert, une expo, aller boire un coup avec les potes...
Mais là à partir de mars de l'an dernier, il n'y avait pas d'échappatoire, je me suis donc retrouvé dans une sorte de retrait quasi monacal, ce qui m'a permis de finir ce nouveau livre, Tout peut s'oublier.
Il faut savoir qu'au départ, la sortie du livre était plus prévue pour la rentrée de septembre 2021, j'ai donc largement acceléré le mouvent, par la force des choses (rires) .
Et j'ai également fini un roman pour la jeunesse, le troisième après" la tête sous l'eau" et" les rochers rouges."
Disons que le confinement aura été assez emblématique de ma façon de travailler ces dernières années : n'avoir aucun but, ne pas travailler sur quelque chose me plonge dans un désarroi assez profond
Heureusement la source de mon inspiration ne s'est pas vraiment tarie pour le moment, après, si on en a encore pour des mois de confinement, je ne dis pas que ca ne sera pas le cas (rires).
"Tout peut s'oublier", une histoire basée sur des faits réels ?
Olivier Adam : Mon livre s’inspire en effet de faits qui sont authentiques. Je me suis basé sur un certain nombre de témoignage d'hommes mais le plus souvent de femmes qui partent avec leurs enfants et profitent des particularités de la loi japonaise (dans laquelle ni le partage de l’autorité parentale, ni celui de la garde, ni même la notion de droit de visite ne sont reconnus) pour les soustraire à leurs pères.
Une fois qu'il a compris que sa femme était parti avec son fils et avait quitté la France pour le Japon, Nathan sait qu'il est dans le pétrin car au Japon en cas de divorce, la garde de l'enfant est exclusivement attribuée au parent nippon, ici la mère...
Dans la plupart des couples mixtes franco-japonais, l’homme est français et la femme japonaise, et je trouvais interessant de mettre un de mes doubles littéraires masculins ( Paul, Antoine ou Nathan comme ici), dans cette situation là..
Le Japon, ses charmes ...
Olivier Adam : J'ai tendance à dire que quand j'ai le lieu de mon histoire, j'ai fait le plus dur, j'ai quasiment le livre en entier ( sourires)..
Les lieux sont à mon sens vecteur de millions d'histoires possibles et là j'avais très envie de situer mon intrigue dans mes deux lieux refuges, la Bretagne et le Japon.
J’ai eu la chance de séjourner à de nombreuses reprises au Japon, à Kyoto et dans le Kansai en particulier.
Mystérieusement, ce sont des lieux où je me sens comme chez moi et où la beauté des lieux ne cessent de me foudroyer.
La première fois que j'y suis allé il y a déjà quinze ans, pour une résidence d'écriture à la Villa Kujoyama à Kyoto, qui est l'équivalent japonais de la Villa Médicis à Rome, je n'en suis pas revenu.
Moi qui aime la littérature, la poésie, le cinéma et la peinture de ce pays, je n'ai rien découvert, j'ai tout reconnu, tout m'a semblé d'une totale évidence, lisibilité...
Et je savais que j'en ferais un livre, ce que j'ai fait assez rapidement après mon retour avec Le ceur régulier, puis un second Kyoto limited Express, un livre de photo réalisé avec Arnaud Auzouy, passé un peu inaperçu, et enfin celui ci, "Tout doit oublier ".
.....et ses injustices judiciaires criantes
Olivier Adam : On a beau penser bien connaitre un pays quand on y séjourne de en temps en temps et être nourri de cinéma, d'art et de littérature japonaise de façon très régulière, il y a forcément un moment où l'on se rend compte que penser le connaitre en intégralité’est en grosse partie une illusion, on reste forcément à la surface des choses, on ne reste que comme un touriste .
C’est ce que découvre Nathan dans le livre.
Le Japon, ce pays qu’il aime et qu’il croyait connaître, il va le découvrir sous son jour le plus cruel, c'est à dire celle de cette justice locale totalement aveugle aux intérêts des conjoints étrangers et au souhait de Nathan d'échanger ne serait ce qu'un moment avec la chair de sa chair.
L'autorité parentale partagée, une pratique inconnue au Japon
Olivier Adam : En cas de divorce, le droit japonais reconnait uniquement l’autorité parentale exclusive pour un seul des deux parents, et à 80% des cas il s'agit de la mère., Pour moi, forcément cela induit le délitement du lien entre l’enfant et le parent exclu, qui devient alors un véritable étranger.
De nombreux parents expatriés qui sont le plus souvent, des pères, multiplient les actions pour faire entendre leur voix.
En France, en juin 2019, le président Macron a reçu des pères expatriés, promettant une action concrète de la France, pour faire valoir leurs droits.
Au Japon aussi, des voix s’élèvent contre ces injustices et ses effets pernicieux. Un certain nombre de Japonais tentent à s’insurger contre l’enlèvement d’enfant
Les choses sont en train d'évoluer doucement, en positif, même si hélas, le confinement a mis un frein à cette évolution!
Encore une histoire de paternité, mais cette fois ci contrariée ?
Olivier Adam : La parentalité est un thème que j’explore dans tous mes livres.
Le roman doit rendre compte de tous les domaines de l’expérience humaine, et à mon sens, la paternité en est un des aspects les plus universels, complexes et profonds.
Vous savez, j'écris sur tout ce dont j'ai peur, y compris les choses les plus horribles, pour que, précisément, ça n'advienne pas.
Ainsi, être séparé de mes enfants est sans doute ce qui me fait le plus peur, dnc c'était important pour moi de me libérer de cette peur par l'écrit.
Contrairement à une histoire d'amour où on se dit qu'elle peut rompre à tout moment, une histoire de filiation a priori ce n'est pas dans le contrat qu'elle s'achève comme une histoire d'amour classique.
C'est sensé être un amour totalement inconditionnel et seule la mort peut nous séparer.
J'ai voulu montrer avec ce roman à quel point il existe un désarroi terrible pour des pères , mais pour des mères aussi quand ca arrive de l'autre coté, lorsqu'ils se retrouvent totalement privés de leurs enfants.
La fuite, une thématique également récurrente dans votre oeuvre ?
Olivier Adam : Il y a désormais plus de vingt ans que j’écris et j'ai forcément quelques marottes qui reviennent d'un roman à un autre.
Ainsi, comme la paternité, ce thème de la fuite revient effectivement dans énormément de mes romans.
Il faut dire que la fuite, mais plus globalement la fugue, l’absence et les fantômes qui nous hantent sont des matières éminemment romanesques, des sujets qui ouvrent des possibilités narratives infinies.
J'ai beaucoup travaillé sur les disparitions. Aller à la recherche de quelqu'un c'est une première dynamique romanesque qui est toujours payante et efficace, cela nous permet de travailler sur le désarroi, la panique.
La littérature est là pour nous faire regarder les choses essentielles, celles qui trop souvent, sont bien enfouies.
Mais, au fond, plus qu’à ceux qui partent, je m’intéresse surtout à ceux qui restent, et à travers eux à la manière dont on vit avec ses fantômes, ses deuils, ses séparations.
Et à cet aspect là va s'ajouter l'aspect kafkaïen d'être dans les arcanes d'une justice japonaise que le personnage principal, étranger, ne comprend pas vraiment.
"Tout peut s'oublier "parle aussi de cinéma. Est-ce le bon moment pour concrétiser des envies de réaliser enfin un film ?
Olivier Adam : J'aime beaucoup le cinéma et ce n'est évidemment pas pour la simple anecdote que j'ai fait de Nathan un exploitant de salle de cinéma.
Nathan bosse dans un cinéma d'art et d'essai dans une ville de Bretagne qui ressemble beaucoup à Dinard et c'était l'occasion d'aborder ce sujet que je connais bien et sur lequel j'avais envie de parler sous cet angle là, j'ai des amis qui font ce métier et je me suis servi de leur anecdotes pour les glisser dans le roman .
Mais, personnellement, je dis toujours, quand on me pose la question d'adapter moi même un de mes romans, que je n’ai pas deux cerveaux et je ne m’imagine pas mener de front les deux activités de romancier et de réalisateur .
C'est vrai qu'il ya quelques années, il y avait un certain nombre d'écrivains (comme Marc Dugain, Yann Moix, Emmanuel Carrière..) qui se sont mis à la réalisation et je me suis posé la question de voir si j'allais suivre leur trace.
Sauf que personnellement, je me méfie énormément des effets de mode et j'ai décliné les propositions, malgré pas mal d'appels du pied de producteurs.
Autant je pense que je serais capable d'enregistrer un disque, autant je me vois mal réaliser un film.
Et, lorsque je leur disais qu'au niveau technique je n'y connaissais rien, ces derniers me rétorquaient qu'il suffisait qu'on me colle un bon chef opérateur et le tour était joué, mais franchement, je ne me vois pas du tout fonctionner comme cela (rires).
Ce rôle de scénariste ou de collaborateur de film que je continue à faire actuellement, notamment avec un réalisateur québécois pour une adaptation à venir de "la Tête sous l'eau" ou bien encore avec Baya Kasmi et Michel Leclerc sur des scénarios originaux me plait beaucoup et suffit largement à mon bonheur ...
Je ne suis pas exposé comme un metteur en scène et je participe quand même aux étapes de conception d'un film, donc pour le moment, je n'ai aucune envie de changer cela...
Et par ailleurs, je ne peux décemment pas me plaindre des cinéastes avec qui j'ai travaillé... Que cela soit Jean-Pierre Améris, Philippe Lioret ou Jalil Lespert, j'aime beaucoup leur travail et je ne me suis jamais senti trahi en travaillant avec eux
Si j'étais réalisateur sur un de mes romans, j'aurais pour le coup peur de massacrer mon propre travail (rires) ...
Merci à Flammarion et Olivier Adam pour cet entretien
Tout peut s’oublier Olivier Adam, Flammarion, Paris, 6 janvier 2021, 264 pages