Traverser la nuit : Hervé le Corre, de la grande littérature tout court
" Les humains se défont de leur fange, se urgent de ce qu'ils ont accumulé des heures durant, résultat de toutes leurs activités de la journée, puisque c'est à ça qu'ils se résument, de molles machines à fabriquer de la merde...que tout le jour ils vaqueront sous leur masque avenant, drapés, enrobés dans leur habits, déguisés en êtres civilisés, travestis pour le grand carnaval sordide, grands singes savants, guenons rusées, tâchant de dominer leur état de rut permanent, leur violence, leurs rêves de puissance, leurs envies de meurtres, ces pulsions d'animaux qu'ils nomment amour, désir, ambition, ces mots qu'ils utilisent comme du papier hygiénique pour torcher leurs turpitudes.."
Trois destins qui se croisent dans les rues de Bordeaux : Louise, la trentaine, harcelée et tabassée par son ex, vit seule avec son fils de 8 ans avec alcool et dope pour tenter de cauteriser ses plaies. Parrallèlement, un tueur en série fait rage et s'en prend spécialement aux femmes : ancien militaire, monsieur tout le monde sous des abords terrifiant, mû par une rage destructrice.
Le commandant Jourdan, flic désabusé en quête de lumière dans la grisaille de son quotidien, se charge de l'enquête. Ces trois trajectoires irrémédiablement liées sont également trois manières comme une autre de traverser sa propre nuit...
"Le Corre a déjà une oeuvre. Il ne serait pas mauvais que le découvrent tous ceux qui aiment la littérature, même quand elle n'est pas policière" : ces quelques mots dissemés à la fin de l'entrée consacrée à Hervé le Corre, c'est le grand Pierre Lemaitre qui les écrit dans son excellent "dictionnaire amoureux du polar" paru chez Plon.
Ces louanges ne faisaient que corroborer ce que le même Pierre Lemaitre m'avait raconté l'an dernier en chair et en os, lorsque je lui demandais quel auteur de polar il aurait aimé voir courronné d'un prix Goncourt, lui qui disait à cette occasion s'agacer de cette frontière trop marqué entre le littérature policière et la littérature dite blanche.
Avec son nouveau roman, Traverser la nuit, Hervé Le Corre ne fait aucunement mentir le prix Goncourt 2013, bien au contraire.
Avec ce livre et quelques années après Dans l'ombre du brasier, polar historique de haute tenue, il s'impose comme le maitre incontesté et incontestable du roman noir à la Française, peintre pointilleux d'une violence sociale, symbolique ou criminelle en écho au monde d'aujourd'hui.
Les trois protagonistes que nous décrit Hervé le Corre sont trois personnages, au bord du précipice, qui sont un peu le miroir d’un pays et une société qui vont mal.
Derrière des phrases incisives et tranchantes comme scalpel et une atmosphère étouffante, Le Corre livre un récit sombre, costaud et extrêmement cohérent pour un auteur qui a toujours été fasciné par la violence et qui sait nous la rendre fascinante.
Traverser la nuit, cruelle et percutante descente aux enfers qui grâce à la plume de l’auteur s’avèrera plus complexe que prévue. un polar social et politique mais surtout un livre nécessaire pour comprendre la situation des laissés pour compte.
L'écriture de Hervé Le Corre ; impeccable, sans fioritures aucune, décrit brutalement et avec énormément de réalisme toute la noirceur, la laideur et le désespoir humain.
On ne pourra que s'incliner devant le talent d' Hervé Le Corre pour peindre une société en perdition avec une vivacité et virtuosité insolente et indéniable.
Traverser la nuit, Hervé Le Corre, éditions Rivages : 20 janvier 2021