Baz'art  : Des films, des livres...
25 juin 2021

Interview cinéma : Rencontre avec Catherine Frot et Pierre Pinaud pour "La fine fleur"

 On a eu la chance de réaliser un certain nombre de rencontres cinéma ces derniers jours sur Lyon avec souvent de beaux noms du cinéma français à l'affiche.

On commence la retranscription de celles ci par la venue d'une très grande comédienne française, Catherine Frot, avec qui on a pu échanger à l'occasion de la sortie mercredi prochain de son nouveau film le très plaisant La Fine Fleur qu'on a chroniqué il y a quelques jours.  

Son  brillant réalisateur, Pierre Pinaud, était également présent et à répondu également à toutes nos questions :

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 Baz'art : Pierre, serait il possible que vous reveniez sur la génèse de la Fine Fleur? Quel est en fait le véritable point de départ ?

Pierre Pinaud : En fait, le projet est né de ma passion pour les fleurs et les jardins; une passion que j'ai depuis l'enfance hérité de ma grand-mère  et de ma mère.

Un jour, je suis tombé un peu par hasard par un article qui expliquait que la création des roses était une spécialité française, ce que j'ignorais totalement. Je me suis, du coup un peu documenté sur ce monde à part. 

Une étape m'a ainsi touché en particulier, celle de la "sélection" où l'on choisit les meilleures "mères "et les meilleurs "pères" et on les marrie dans le but d'avoir une descendance digne de concours.

J'y ai vu alors un parallèle intéressant avec nos sociétés hyperconcurrentielles dans lesquelles il faut souvent être issu des meilleurs quartiers  pour intégrer l’élite.

C'est à ce moment là que je me suis dit à ce moment qu'il y avait sans doute matière à l'écriture d'un scénario.

 Baz'art : Vous faites mention à nos sociétés hyperconcurrentielles actuelles. Votre film montre bien justement que les petits productions représentées par le personnage que joue Catherine sont de plus en plus mises en mal par une concurrence sauvage qui n'hésite pas à briser les règles de déontologie élémentaires. C'est quelque chose que vous avez pu vérifier en vous documentant sur le sujet ou c'est plus pour les besoins de la fiction?

 Pierre Pinaud : Oui c'est vraiment une réalité du terrain.  

Quand je me suis plongé dans l'étude de ces sociétés de création de roses, et me suis rapproché des entreprises familiales ou artisanales, j'ai découvert rapidement les grandes difficultés qu'elles peuvent rencontrer au quotidien.

Ce sont des gens qui sont concurrencés par des entreprises qui font de la production " low cost", en faisant appel à  une main d'œuvre bon marché provenant de Bulgarie ou de Chine pour les réimporter en France avec des standards de qualité souvent moins élevée.

Ils confectionnent des roses qui vont durer moins longtemps mais qui sont plus accessibles en termes de coût. 

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 Baz'art : Au-delà du monde des roses, votre film aborde de thématiques plus larges comme la réinsertion, l'intégration, les problèmes familiaux et bien d'autres encore....

Catherine Frot (prenant la parole): Oui, ce film parle autant de beauté des roses que de la beauté des relations humaines, je trouve, c'est vraiment cela qui m'a intéressé en premier dans le projet !

Pierre Pinaud: Tout à fait, ce film, c'était avant tout l'occasion de confronter ces personnes qui, comme Ève Vernet, ont reçu en héritage des compétences et ont réussi à les mettre en valeur avec trois autres qui sont restés dans les bas-côtés de la réussite sociale et qui n'ont pas eu toutes les bagages pour s'intégrer.

Mais le film pose également la question de l’héritage, de cette famille qui peut nous aider à nous épanouir, ou au contraire nous enfoncer ...

J'ai voulu insister dans l'écriture sur cette relation entre Ève et le jeune Fred qui a un soutien familial toxique, négligeant et qui n'arrive pas à avancer, jusqu'à ce qu'il rencontre Ève qui l'aidera à s'épanouir.

Ca, c'est un sujet qui vous intéresse  particulièrement, car dans votre premier film "Parlez-moi de vous", il y avait déjà l'idée que la famille biologique peut être défaillante, n'est-ce pas?

Pierre Pinaud : Tout à fait, c'est un sujet qui me touche beaucoup. C'est une thématique qu'on peut retrouver dans le cinéma de Kore Eda et qui m'a souvent passionné.

Cela m'intéresse énormément  de savoir comment on peut se créer des familles du cœur, sans lien biologique, et comment on peut être parfois contraint à s'affranchir des liens du sang. C'est un lien qui même, peut parfois être toxique.

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Baz'art : "La fine fleur" est très efficace notamment pour son casting, comment l'avez-vous composé, pour filer la métaphore florale? Catherine Frot, notamment,  à quelle étape du projet, son nom est apparu?

Pierre Pinaud : Jolie métaphore (sourires). Disons que j'ai très vite dans l'écriture pensé à Catherine Frot pour le personnage central.

J'avais besoin d'une comédienne qui possède une grande palette de jeu, car le rôle demandait des émotions bien différentes, beaucoup de poésie et de finesse.

Par ailleurs, à mes yeux, Catherine incarne quelque chose de très français, j'avais notamment en tête son rôle dans "Les saveurs du palais"

Dans son attitude, elle peut rendre crédible tout un tas de professions différentes comme sage-femme, cuisinière du Président, pianiste : elle possède en elle la fois cette élégance qui va bien avec ce personnage un peu aristocratique et quelque chose de l'ordre de la fantaisie tout en étant assez ancrée à la terre. 

Ève est un personnage bien ancrée dans la terre, il ne fallait pas quelqu'un de trop décalé par rapport à tout ça. 

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Baz'art Catherine,  à ce sujet, il nous semble que vous aimez bien les rôles qui nécessitent un certain savoir-faire, non?

Catherine Frot : Oui en effet. Même si le choix d'un rôle a parfois quelque chose d'un peu arbitraire, j'aime bien me fondre dans les personnages et d'avoir créé quelque chose à travers mes personnages. 

Quand je deviens une cuisinière ou une personne qui crée des roses, j'apprends mes gestes, mes accessoires, cela me plait beaucoup d'essayer d'être le plus juste possible par ce biais là.

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Baz'art : Mais vous avez été coachée pour ce rôle? Vos gestes sont si précis, on dirait que vous avez fait cela toute votre vie!

 Catherine Frot : Oh, c'est très gentil dire cela (sourires). Oui, j'ai été coachée par Madame Dorieux, la gérante du domaine dans la Loire qui nous a accueillis pendant tout le tournage, et qui m'a expliqué chaque geste, tout le pourquoi du comment. 

Sur le moment j'ai pu tout reproduire, mais aujourd'hui loin de la caméra, je serais bien incapable de le refaire (rires).

 Il faut que je sois dans le contexte  et après j'oublie car ce n’est pas dans ma nature à moi, j'ai pas du tout la main verte en fait vous savez! Ce n'est pas du tout mon truc, je n'ai jamais été douée avec les plantes, à part me promener dans la nature pour les observer (rires).

Ce que j'ignorais totalement avant de jouer dans le film de Pierre, c'est tout l'artisanat autour des roses et le côté très méticuleux de la chose.

Plus généralement, j'adore créer l'illusion, la précision des gestes, les accessoires pour faire vivre un personnage. Même quand je jouais une cuisinière pour "les saveurs du palais", j'inventais tout, car je vais vous avouer une chose : je ne sais pas plus faire la cuisine que le jardinage (rires)!

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 Baz'art  : Catherine, on imagine que,  pour vous, cette Eve est un personnage assez complexe, et du coup très intéressant à jouer, n'est-ce pas,?

 Catherine FrotOui, tout à fait : Ève a quelque chose de l’ordre du chêne. En apparence, elle est solide comme un roc, et pourtant, elle est fragilisée par des blessures qu’elle croit invisibles : la mort de son père, le dépérissement de son exploitation et… l’anonymat dans lequel elle est tombée.

Il va suffire de l’arrivée inattendue de ces trois "pieds nickelés", comme je les appelle affectueusement, des personnes en quête d’identité et d’insertion sociale pour que cette valeureuse entêtée baisse les armes, se remette en question, et laisse se développer en elle un sentiment qu’en tant que femme sans enfant elle croyait ne jamais pouvoir éprouver : celui de la transmission.

Alors certes, au début elle est quelque peu désagréable avec eux, il faut dire qu'elle était dans une coquille toute fermée et qu'il faut qu'elle apprenne à s'ouvrir peu à peu, c'est cette métamorphose là qu'il était passionnant de jouer.

Jouer quelqu’un qui se transforme est toujours passionnant, d’autant plus si, comme c’est le cas ici, il n’est mû que par une passion exclusive et totalement désintéressée!

 Baz'art : Les scènes qui voient Catherine se confronter au jeune Fred sont formidables. Dans ce rôle-là, l'acteur que l'on  ne connaissait pas du tout est formidable, vous l'avez trouvé comment, Pierre, ce jeune acteur?

Pierre Pinaud : Le rôle de Fred a été assez difficile à attribuer, sans doute plus que les autres.

Il fallait trouver un comédien qui puisse exprimer, avec la même spontanéité, à la fois la dureté et la violence d’un petit caïd et en même temps de la sensibilité et la douleur de l’abandon.

C’était un peu la quadrature du cercle. J’ai d’abord vu tous les comédiens référencés par les agents.

Et un jour, toujours à la recherche de ce jeune acteur, en visionnant la sélection des courts métrages des César, j’ai découvert Melan Omerta. Il jouait dans un court métrage de Romain Laguna.

C’était son premier – et unique – rôle, et il crevait l’écran. Je lui ai fait passer un casting et il a fait l’unanimité par sa justesse incroyable.

Pourtant dans la vie,  Melan n’est pas acteur mais rappeur. Je suis allé l’écouter en concert et quand il déboule sur scène, il magnétise toute la salle. Il a un charisme époustouflant.

Il est, pour moi, une totale révélation. Et en plus, c’est lui qui a composé le rap qui est dans le film, il s'est totalement investi dans ce projet .

Et  plus particulièrement concernant les scènes avec Catherine auxquelles vous faites allusion, comme il ne connaissait pas trop le milieu du cinéma, je pense qu'il a été moins impressionné par tout ce qu'elle représente dans le cinéma français que quelqu'un qui venait d'un parcours plus traditionnel, ça aidait je pense .

 

 Baz'art : Dernière question pour tous les deux : qu’aimeriez-vous que les spectateurs ressentent au fond d'eux à la sortie de la Fine Fleur ?

Pierre Pinaud : J'aimerais beaucoup que les gens sortent de la séance en se disant que la quête de beauté peut justifier qu’on lui consacre sa vie.

 Catherine Frot: Pierre a raison  et je dirais même plus :  son film est à la fois formellement très beau, raffiné, très bien écrit et construit, et d’une grande richesse. On y comprend que la solidarité est un moyen magnifique pour se réinventer, en ce moment, on a vraiment besoin d'entendre cela, vous ne trouvez pas? (rires) 

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  Photos et propos recueillis le lundi 14 juin sur Lyon

NB: le comédien Fatsah Bouyahmed était également présent à cette rencontre 

Merci à Diaphana et Auvergne Rhône Alpes cinéma 

 

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