Sélection romans de poches spécial vacances de Toussaint
Pour ces vacances de Toussaint qui arrivent ce soir, nous vous proposons une sélection de trois grands livres qui se glissent facilement dans votre poche.
1/Sale gosse, Mathieu Paulain; J'ai lu
Wilfried n’avait plus souvenir de la dernière fois qu’il avait eu à tenir un stylo. Pendant un moment, il réfléchit à sa première phrase.
– Elle a failli perdre un œil, tu le savais ? Silence.
– Le jour du procès, elle va dire qu’elle pleure tous les jours, qu’elle n’ose plus sortir le soir, qu’elle s’agrippe à son sac dans les transports, qu’elle se retourne dans la rue. Elle dira qu’elle est suivie par un psy et que sans les antidépresseurs elle ne pourrait pas quitter son lit. Elle dira les nuits passées dans le canapé, à s’enfiler des heures de séries pour s’écraser sur l’oreiller. Prépare-toi, Wilfried.
– J’vais refuguer.
Il avait l’air sûr de lui"
Pour son premier roman, le journaliste Mathieu Palain a eu envie de rendre hommage à son père qui a travaillé toute sa vie pour la PJJ, (Protection judiciaire de la jeunesse).
Il racontait bien peu ses anecdotes de travail, et son fils a cherché à en savoir plus et plonger les lecteurs dans le quotidien de cette structure, à l'instar du film Polisse, qui l’a prodondément marqué -comme il le raconte dans les dernières pages du livre.
On pense évidemment à Polisse en lisant Sale Gosse, mais aussi à la tête haute d'Emmanuel Bercot car le livre qui suit d'abord les traces de Marc, éducateur à la PJJ va alterner avec les autres points de vue Wilfried, jeune garçon de 16 ans à l'enfance broyée, Père alcoolique et violent, mère toxicomane qui va errer de famille d’accueil en foyer alors qu'une carrière de footballeur aurait pu lui tendre les bras, sauf que sa violence larvée le fait virer de son centre de formation.
Nina, une collègue de Marc va suivre le jeune homme, tout en rage explosive et tenter de le remettre sur le droit chemin.
Le jeune auteur.a rencontré tous les personnages de son livre lors d'un reportage en immersion et il a décidé d'en faire un roman proche du reportage.
Sa recherche constante de la justesse des dialogues et des situations est à la fois une des qualités de son livre et parfois aussi ses limites, car le récit, toute à son approche documentaire qui manque parfois un peu de densité romanesque.
On aime l'absence de pathos sur des thématiques pourtant très lourdes.
Mais en insistant bien sur le travail formidable de ces éducateurs qui passent énormément de leur temps à tenter de sauver ces jeunes, et sur ces assistants sociaux qui sèment mais ne récoltent jamais, Sale Gosse est aussi salutaire que fluide
2 Fabrice Humbert; le monde n'existe pas (Folio)
« Il n’a rien dit. Il s’est redressé, m’a ôté mon teeshirt. J’avais une conscience exacerbée de ce qui se passait, si intense que la scène en devenait fantastique. L’espace du désir ouvert par ces gestes courbait le réel. J’avais chaud et la sueur perlait à mes lèvres. Ethan m’a entouré de son bras et il a couché ma tête sur son épaule. Mes jambes tremblaient. Je sentais la douceur et la chaleur de sa peau, je me perdais dans son odeur ». .
Adam Wollman, journaliste au New Yorker aperçoit un jour sur les écrans de Times Square le visage d’Ethan Shaw, accusé du viol et du meurtre d’une jeune fille de 16 ans d’origine mexicaine.
Pour Adam Wollman le nom d’Ethan Shaw ne lui est pas inconnu car ils se sont connus au collège de Drysden, petite ville américaine. Ethan était à l’époque le roi du lycée - beau et sportif, le seul à protéger Adam des autres lui l’adolescent solitaire et tourmenté.
Adam va ainsi convaincre son rédacteur en chef de mener l’enquête et retourner dans sa ville natale.
Le voila sur les traces des fantômes du passé, et ce territoire où le vrai et le faux s’entremêlent pour ne plus former qu’un seul et même élément.
Dans cette petite ville américaine, ou le racisme et l’homophobie semblent quasi intégrés dans les gènes de ses habitants, la moindre face news pourrait bien faire l’objet d’une fable passionnant toute l’Amérique
On avait découvert Fabrice Humbert avec L'origine de la Violence une histoire de secrets de famille avec pour toile de fond la deuxième guerre mondiale puis ensuite avec Comment vivre en héros » roman politique et philosophique ambitieux pour nous conter une vie française.
Avec son nouveau roman « Le monde n’existe pas » Fabrice Humbert prend le pari de déconcerter son lecteur avec une réflexion sur la puissance du récit, sur les techniques de la désinformation et cherche à démonter les mécanismes qui font qu' un récit imaginé peut devenir la réalité pour des millions de personnes.
Fabrice Humbert tire le fil délicat de son récit, construit comme un polar et nous invite à réfléchir sur le sens de la vérité et de la justice, et sujet très actuel sur la manipulation des masses.
Réflexion intelligente sur la société actuelle comme fabrique idéale des héros et ou de faux coupables, "Le monde n’existe pas" mélange les genres, entre l' -enquête à la Joël Dicker, fable fantastique à la David Lynch entre réalité et onirisme, chronique d’une vie provinciale américaine à la Raymond Carver .
Ce mélange des styles peut certes se faire parfois de façon un peu confuse et le dénouement semble par trop abrupt.
Mais oublions ces réserves pour apprécier comme il se doit un roman ambitieux et captivant qui finit d’asseoir Fabrice Humbert comme un romancier qui compte dans la littérature française contemporaine.
3 Colum mc Cann, Apeirogon (10/18)
Rami déclara en public que tous les murs étaient condamnés à tomber, quoi qu'il arrive. Cependant il n'était pas assez naïf pour croire qu'on n'en construirait plus. C'était un monde de murs. Mais c'était sa mission d'ouvrir une brèche dans le plus visible de tous à ses yeux."
Je ne sais pas par quel bout vous parler de ce roman, il est tellement et incroyablement riche, que toute parole à son sujet sera simpliste et réductrice j'ai l'impression. En tous cas, il confirme le fait que Colum McCann est un grand, très grand écrivain !
🕊️ Apeirogan est né de l'histoire vraie de deux pères, l'un israëlien, l'autre palestinien, qui ont perdu chacun leur fille (l'un d'une balle perdue, l'autre dans un attentat).
Ces deux pères se sont rencontrés et à travers des conférences, n'ont plus cessé depuis de se battre pour la paix.
🕊️ En une succession de paragraphes plus ou moins longs, Colum McCann tisse une toile dont les côtés semble infinis. Pour nous aider à appréhender ce conflit, l'auteur revient sur l'histoire d’Israël mais nous fait toucher du doigt aussi, par mille et un détails, ce que cela signifie aujourd'hui de vivre dans cette région selon qu'on est palestinien ou israélien.
La guerre n'a rien de clinique. Colum McCann nous le rappelle à travers des scènes qui marquent à jamais l'esprit comme ces secouristes qui viennent ramasser des bouts de corps après un attentat piégé.
🕊️ Par un jeu de construction virtuose, tous les éléments que l'écrivain dépose sur le papier finissent par se répondre pour former comme un immense écho, soulignant combien chacun est élevé dans la haine de l'autre.
A lire si vous cherchez un roman bouleversant qui aide à comprendre la complexité du monde mais aussi à espérer .
La guerre n'a rien de clinique. Colum McCann nous le rappelle à travers des scènes qui marquent à jamais l'esprit comme ces secouristes qui viennent ramasser des bouts de corps après un attentat piégé. en poche chez @Editions1018 @AurelieDudoue pic.twitter.com/5JcFNGCSL8
— Baz'art (@blog_bazart) October 21, 2021