Festival Lumière 2022: Rencontre avec Monica Bellucci pour le film "The Girl in the Fountain "
On en a parlé vendredi dernier : la mythique Monica Bellucci se glisse dans la peau de la non moins mythique Anita Ekberg, dans le film The Girl in the Fountain de Antongiulio Panizzi.
À l'occasion de la première internationale du film au Festival Lumière 2022 à Lyon, nous avons passé un petit moment avec elle et c'était un moment grandiose, forcément grandiose :
Monica, la vie et la carrière d'Anita Ekberg ne seraient-elle pas,à vos yeux,le symbole d'un désir de liberté énorme qui aura été, au final, totalement entravé?
Monica Belucci : Oui tout à fait : si je devais caractériser Anita Ekberg avec un seul adverbe, j'utiliserais celui de courageuse. Aujourd'hui, partir de l'Italie ou d'un autre pays n'a rien d'une folle aventure, tout le monde peut le faire avec un peu d'organisation et d'argent mais à l'époque d'Anita, c'était autre chose..
Elle a dû apprendre l'anglais en allant à Hollywood, puis l'italien en arrivant à Rome. Elle avait déjà une carrière plutôt intéressante en Suède mais c'est évidemment la Dolce Vita qui a fait exploser sa carrière.
Tous ces succès, elle le doit à son immense liberté, mais c'est vrai comme vous le faites remarquer, qu'elle en a payé le prix très chèrement. Car si l’on dit que la fontaine de Trévi a donné la vie à Anita Ekberg, elle s’y est noyée aussi. La Dolce Vita lui a tout donné mais ce rôle l’a enfermé dans une image.
IL faut dire qu'elle est née à une époque où on ne pouvait pas être aussi libre qu'elle aurait voulu l'être.
Ce qui est vraiment intéressant avec le film d'Antongiulio, c'est qu'il permet de comparer l'Italie à travers deux époques, celui du star system juste après la guerre, et l'Italie d'aujourd'hui.
Mais avant de faire le film, Monica, vous aviez quoi comme image d'Anita Ekberg?
Monica Belucci : En fait, comme beaucoup, je n’avais d’elle qu’une image, celle d’un film et j’ai découvert qui était cette Suédoise qui a quitté son pays, toute jeune, pour aller à Los Angeles et cette femme courageuse qui a appris l’anglais et l’italien et a eu la capacité de plonger dans un monde où elle a survécu à tout.
Dans The Girl in the foutain, ce qui m'a plu, c'est qu'on y voit s'y confronter deux époques différentes et notamment à travers la place des femmes dans ces deux sociétés.
Et pour répondre plus en détail à votre question précédente, je dirais que par rapport à l'époque dans laquelle a vécu Anita, je pense que le vrai problème est que l'image de la star et sa personnalité se confondaient trop.
Il n'y avait pas de vraie distance entre l'Anita qu'on voyait danser dans la fontaine de Trévi dans la Dolce Vita et l'image publique qu'elle renvoyait dans sa vie de tous les jours.
Sa personne et son image ne faisait qu'un, et pour moi, elle n'a pas réussi à se sortir du piège dans lequel elle était tombée.
Il faut dire aussi qu'elle est arrivée en Italie dans une période d'âge d'or en terme d'industrie du cinéma, mais sans doute déjà un peu tardivement à 30 ans
Vous savez, à cette époque, tu pouvais avoir tous les talents que tu voulais, il y a un moment où la barrière de l'âge t'empêche d'avoir des rôles intéressants..
Aujourd'hui, cela a vraiment changé, ces lois, informelles certes mais qui existaient plus, ne sont plus les mêmes, heureusement évidemment (sourires), peut-être qu'Anita a contribué à cela, même si elle l'a payé à son corps défendant ...
Oui et à ce sujet, si l'on veut faire un parallèle entre votre carrière et celui d'Anita, c'est peut- être parce que tous les deux vous avez contribué à changer les lignes en matières de cinéma.
Vous-même, en venant du monde de la mode, à une époque où les mannequins n'étaient pas vraiment bien vues par les professionnels du 7eme art, vous avez prouvé que c'était possible de durer et vous avez sans doute fait que, désormais, il y ait moins d'a priori à l'égard des jeunes comédiens-nnes issues de ce milieu de la mode, non?
Monica Belucci : Oui, vous avez tout à fait raison..
Lorsque le réalisateur Antongiulio Panizzi m'a proposé de jouer le rôle d'Anita Ekberg, je me suis posé la question de savoir ce qu'il percevait de commun dans nos deux personnalités et nos deux carrières.
J’avoue que j’étais un peu surprise qu’Antongiulio pense à une méditerranéenne comme moi pour incarner une créature nordique d’1m82 avec de grands yeux bleus ( rires).
Il m’a dit que si j’étais née à une autre époque, j’aurais pu être Anita Ekberg mais je crois qu’il cherchait surtout une comédienne qui représentait, en plus, une certaine image de la femme.
En y réfléchissant, je me suis dit comme vous, que le fait de venir de ce monde de la mode, qui dans les années 90, était rempli de clichés et d'a priori et de devoir travailler avec force pour modifier cette image qui me collait à la peau pouvait être vu comme un parallèle avec ce qu'a dû traverser Anita à l'époque.
J'ai pu exister sur la durée et si aujourd'hui un metteur en scène comme Tom Volf fait appel à moi pour jouer la Callas au Théâtre c'est que j'ai bien réussi à m'imposer comme actrice et changer quelques codes, en effet.
Parmi les similitudes aussi qu'on peut trouver entre vous et Anita Ekberg, il y a sans doute le fait d'avoir réussi toutes les deux à réussir à faire carrière en dehors de votre pays natal.
Est-ce que pour vous, réussir une carrière à l'étranger peut aussi être vu comme une forme d'émancipation?
Monica Belucci : Disons qu'au départ en venant travailler en France, je me suis au contraire, en quelque sorte, inscrite dans la tradition..
Vous savez, depuis plusieurs décennies, beaucoup d'acteurs français ont travaillé en Italie et vice versa. il n'y avait rien de vraiment nouveau sous le soleil dans ma démarche..
J'aurais tendance à dire que je suis venue en France comme une sorte d'immigrée culturelle, pour trouver du travail dans mon domaine (sourires).
J'ai toujours adoré le cinéma français et la France qui même quand j'étais jeune était un pays où je venais assez souvent donc il était finalement assez logique que j'essaie de m'y installer en tant qu'actrice.
J'ai eu la chance aussi que mon premier film français, l'Appartement de Gilles Mimouni, remporte les BAFTA Awards en 1998 et m'offre ainsi une belle visibilité dans les pays anglo saxons, ce qui m'a permis ensuite d'élargir ma carrière à Hollywood.
J'ai juste suivi une ligne qui avait été rendue possible avant moi par d'autres comédiens français ou italiens, bref, là-dessus, je n'ai pas vraiment initié quelque chose de nouveau...
Vous dites qu'à l'époque d'Anita Ekberg, la personnalité et l'image de la comédienne avaient tendance à se mélanger, pourquoi pensez-vous que cela est différent désormais?
Monica Belucci : Ah, mais c'est l'évolution de la société qui est la cause de ce changement.
Je pense qu'il n'y a plus de stars de cinéma au sens où on l'entendait à l'époque d'Anita. De nos jours, avec les réseaux sociaux, les comédiens ne sont plus du tout inaccessibles.
Il est désormais impossible d'avoir une Ava Gardner, cette vedette dont l'image était tellement loin du réel.
Maintenant avec Instagram par exemple, on voit l'actrice dans son quotidien le plus banal, donc forcément on dissocie bien mieux l'humain du comédien.
Par ailleurs, dans les années 50-60, on ne pouvait pas dévoiler ses failles, surtout quand on était comédien alors qu’aujourd’hui, tout le monde peut confesser ses problèmes ou ses fragilités, dire qu'il ne va pas bien et cela, d'ailleurs, je dis que c'est tant mieux!
Dans le film, il est dit un moment qu'Anita Ekberg n'était peut-être pas une grande actrice mais qu'elle était-elle même. Elle vous inspire quoi cette phrase, Monica ?
Monica Belucci : Déjà que si elle peut être elle-même, c'est déjà une actrice, car tout le monde ne peut réussir à dégager ce naturel avec une telle force (rires). Et puis ce qu'on veut dire par là, c'est que la beauté dégage beaucoup d'a priori et surtout qu'elle n'est pas suffisante.
Il ne suffit pas d'être simplement belle, il faut dégager plein de choses à coté, des choses qui sont de l'ordre du mystère qu'on ne peut pas vraiment expliquer, ce qui était vraiment le cas d'Anita., sinon on ne parlerait pas d'elle encore aujourd'hui .
Justement à ce sujet, une scène du film m'a assez étonné. Vous donnez une master class à de jeunes cinéphiles et aucun ne lève la main lorsque vous demandez s’ils connaissent Anita Ekberg. Je me suis dit à la fois que c'était fou qu'en Italie la jeune génération n'ait jamais entendu parler de cette icône du cinéma, et en même temps que votre rôle à vous, avec votre notoriété, c'était un peu de jouer les «transmetteuses» pour leur parler de cette immense comédienne, non?
Monica Belucci :Oui, bien sûr et c'est pour cela que le film est important.
Quand j'ai vu ces jeunes de 19 20 ans montraient qu'ils ignoraient totalement qui elle était, et que personne n’avait vu le film de Fellini, je me suis dit que jouer dans ce film était nécessaire..
Car pour moi, cette femme a vraiment joué un rôle important , elle est un peu à sa manière l'incarnation d'un monde et d'une époque révolue certes mais qu'on ne peut occulter si on veut comprendre le monde d'aujourd'hui..
Elle a tellement connu la tristesse, la solitude qu'il fallait lui redonner la lumière qu'elle mérite, et le faire à travers ce film me comble d'aise (sourires).
Par ailleurs, j’avais à cœur de faire découvrir, à travers elle, une période du cinéma italien qui a influencé l’histoire du septième art. Fellini, Rossellini, Visconti…
Toute la génération d’artistes qui appartient à cette époque ont constitué, avec les Français Godard ou Truffaut, une base d’inspiration pour tous les grands cinéastes contemporains du monde, et je pense que The Girl in the Fountain le montre d'une belle façon....
NB: merci à Marie Qyesane et au Festival Lumière pour l'interview
Etaient présents à cette table ronde et ont également échangé avec Monica Bellucci, les journalistes Anais Calon de Maze, Jean Marc Aubert des Chroniques de Cliffhanger et Nastassia Truskhin de S'quive
Photographies de l'actrice lors du prix lumière : Fabrice SCHIFF