Le OFF de Borntobealivre : Jour 2 !
Après une première journée particulièrement intense, focus sur notre deuxième journée au festival d'Avignon, le marathon continue ! Avec pas moins de 6 pièces vues et plus qu'appréciées.
10h : Un bon job au Théâtre des Gémeaux
Imaginez qu'on vous propose un job de rêve. Entendez par là, un job extrêmement bien payé, avec quelques avantages non négligeables. Il vous suffit simplement d'avoir une mémoire d'éléphant et d'accepter de faire, de temps à autre, quelques entorses à vos principes.
Chère spectatrice, cher spectateur, vous aimeriez bien savoir de quoi il en retourne, hein ? Pour le découvrir, on ne peut que vous conseiller d'aller voir cette pièce écrite et mise en scène par Stéphane Robelin (qui s'attaque ici pour la première fois - incroyable mais vrai - à la scène) pour le découvrir.
Sur le plateau, cinq comédiens servent brillamment ce texte intelligent, abordant des questions (tristement) actuelles : tout peut-il s'acheter ? Peut-on tout marchander ? Jusqu'où peuvent nous mener les dérives d'une société qui croit aveuglement dans le capitalisme, la loi du plus fort ?
Sophie Vonlanthen, alias Johana, campe une parfaite femme d'affaires sans scrupules, maniant les chiffres aussi bien que les langues, en quête d'allégement de charge mentale. Lionel Nakache, Raphaël, est très drôle dans ce rôle de salarié un peu dépassé par les événements, qui va peu à peu évoluer au contact de Johana et de sa famille. Philippe Chaine (Denis) se fond habilement dans la position bien inconfortable de directeur financier de l'entreprise de sa compagne. Juliette Marcaillou et Tom Robelin jouent quant à eux les enfants de Johana dont les principes de vie diffèrent en tous points - des portraits plus vrais que nature
Le suspense n'est pas absent de cette histoire. À chaque instant, on se demande jusqu'où va aller cette femme pour qui le profit, les marges commerciales, l'entreprenariat semblent tant importer. Jusqu'où Raphaël va accepter d'aller, lui aussi. L'humour, lui non plus, n'est pas absent de cette histoire, de ces dialogues fins qui font souvent mouche, parfois balancés du tac-au-tac. C'est jouissif.
12h35 : Le Voyage de Molière au Chien qui fume. Jean-Philippe Daguerre et Olivier Scotto ont adressé là une magnifique lettre d'amour au théâtre, à celles et ceux qui le font - et à la vie. Nous voici embarqués dans un voyage dans le temps qui démarre de nos jours pour atterrir en 1656, à la rencontre de la troupe de l'Illustre Théâtre - ce nom vous dit peut-être quelque chose, un certain Jean-Baptiste Poquelin et une certaine Madeleine Béjart y ont notamment officié... aux côtés de Léo, un jeune étudiant se rêvant comédien, malgré sa terreur de jouer devant un public. Nous voyageons à l'époque où la joyeuse troupe vagabondait à travers la France, sans le sou et le ventre criant constamment famine.
J'ai passé un moment extraordinaire avec cette troupe incroyable, ces comédiennes et ces comédiens (Grégoire Bourbier, Stéphane Dauch, Violette Erhart, Mathilde Hennekinne, Charlotte Matzneff, Teddy Mélis, Geoffrey Palisse et Charlotte Ruby) totalement investis dans leur rôle. La dimension théâtre dans le théâtre m'a complètement embarquée. Les décalages entre le Léo d'aujourd'hui et cette troupe du XVIIe siècle, fait rire aux éclats.
Chose assez rare : j'ai même acheté le texte de la pièce, ce que je ne fais jamais. L'envie de rester avec eux était trop forte. Bravo, bravo, bravo. Et merci.
15h15 : Formica au Théâtre des Gémeaux, adapté de la bande dessinée de Fabcaro par Amélie Etasse (qui a également signé la mise en scène avec Clément Séjourné). Mon rédacteur en chef préféré ayant déjà fait le couplet sur cette pièce, je serai brève. J'ai été emballée par cette pièce complètement déjantée, portée par des comédien•nes au diapason de cette folie communicative. Le pitch ? Une famille se retrouve pour le traditionnel déjeuner dominical, organisé chez les parents (Emmanuelle Fernandez et Jacques Hadjaje) avec leurs filles (Marianne Thiery et Amélie Étasse) leurs époux (Julien Ratel et Clément Séjourné) et leurs enfants (Chloé Chazé et Nicolas Hardy). Passées les formalités d'usage (vous avez fait bonne route ? il fait pas chaud, hein ?), une autre question se pose et s'impose : de quoi allons-nous parler maintenant ? Cette absence d'inspiration sera le fil rouge de cette non-conversation hilarante, ponctuée d'interventions des enfants qui s'amusent bien plus que leurs parents - grâce, notamment, au pouvoir du jeu de Sept familles dysfonctionnelles. On est dans l'absurde jusqu'au cou, et cela va crescendo.
Mention spéciale pour le décor : une reproduction d'une cuisine en formica, faite de bric et de broc, où certains objets viennent trouver une utilité autre au cours de la pièce. Ainsi que pour le dispositif vidéo nous montrant un échantillon des programmes audiovisuels tous plus nuls les uns que les autres.
Un conseil : préparez vos zygomatiques, ils vont être rudement sollicités pendant 1h15 !
17h40 : L'oubliée du cimetière de Greenwood au Théâtre de l'Observance, mise en scène de Cécile Parichet. Un joli spectacle musical, touchant qui donnerait presque envie de se promener dans les cimetières.
Nous sommes à Greenwood, quelque part dans l'Illinois. Julie (Sacha Pichol) travaille comme fossoyeuse dans le cimetière de la ville, un endroit qu'elle ne quitterait pour rien au monde, d'autant plus qu'elle s'y est fait des amis. Moon (Romane Noulé), Peggy (Cécile Parichet/Marie Babey), Marlon (Renaud Besse-Bourdier) et le général Loveland (Paul Sena). Leurs points communs ? Ils sont toutes et tous, morts. Ils aiment chanter, danser, écouter les histoires de Julie. C'est une jolie histoire d'amitié que nous offrent ici Cécile Parichet et Renaud Besse-Bourdier. Une histoire de lutte, aussi, pour la sauvegarde de ce cimetière menacé par une destruction imminente. Enfin, une histoire d'amour naissant entre Julie et Mary-Elise.
Les éléments de décor sont peu nombreux (3 pierres tombales bordées de plantes grimpantes, un lit pour matérialiser la chambre de Julia), mais suffisent à nous donner l'illusion d'être au cœur de ce cimetière où tant de choses se passent. Les intermèdes musicaux chant/guitare sont charmants et entraînants !
19h30 : Le huitième ciel au Théâtre Actuel. La dernière création et mise en scène de Jean-Philippe Daguerre nous raconte l'histoire d'une femme (Florence Pernel) qui redescend sur terre après tutoyé les étoiles.
Sa brillante carrière, Agnès Duval l'a bâtie grâce aux 27 gratte-ciels qu'elle a fait construire dans les 27 pays d'Europe. Partie à la retraite, elle fait la découverte de toutes ces choses qu'elle a négligées pendant toutes ves années à commencer par le quotidien avec un mari (Bernard Malaka) qui l'aime mais qui ne la supporte plus, les arbres de son jardin (dont son jardinier, incarné par Marc Siemiatycki, prend un soin infini). Elle va en recevoir des claques, mais la plus grande, la plus marquante, sera sa rencontre avec deux migrants géorgiens (Charlotte Mazneff et Antoine Guiraud).
Vibrant d'humanité, porté par un casting hors pair, le texte de Jean-Philippe Daguerre est écrit avec nuance, humour, intelligence. Jamais, jamais, nous ne tombons dans le consensuel, le cliché, le manichéisme. Et c'est tellement appréciable.
Les personnages sont attachants - mention spéciale pour le jardinier - et ils nous manquent forcément un peu, quand le rideau tombe. Décidément, le travail de Jean-Philippe Daguerre m'enthousiasme au plus haut point !
Et bonne nouvelle pour les parisiens : le spectacle sera repris au Théâtre La Bruyère à partir du 12 septembre.
21h30 : La couleur des souvenirs au Théâtre des Halles, écriture et mise en scène de Fabio Marra. Qu'il est difficile de trouver les mots quand une pièce vous a autant bouleversée. Ne le dites à personne : j'étais encore en larmes une demi-heure après la fin de la pièce.
Nous voici plongés en Italie, dans ce qui semble être le repère d'un faussaire (merveilleux Dominique Pinon), Vittorio. Terriblement fauché, en guerre contre son fils (Fabio Marra) et sa sœur (Catherine Arditi) qui cherchent, pourtant, par tous les moyens à se rapprocher de lui, Vittorio n'accepte d'ouvrir sa porte qu'à Marco (Aurélien Chaussade) un marchand d'art véreux qui lui impose des exigences toujours plus grandes.
Sa prochaine commande ? Copier le portrait de la mère de Modigliani, à jamais disparu. Défi de taille qu'il acceptera de relever haut le pinceau, malgré les risques.
Il lui arrive de parler seul, à Vittorio, et parfois, à une femme (Sonia Palau) qui fait parfois de brefs passages sur scène pour lui parler, de sa voix douce, l'encourager sur sa peinture en cours, sur son talent véritable, sur l'immensité de l'amour qu'elle ressent pour lui. Qu'est-il arrivé à cette femme ? Et pourquoi Vittorio est-il si en colère contre le monde entier ?
Je ne vous en dirai pas plus, bien sûr, mais peux vous dire que certains passages sont à briser le cœur et d'après les regards furtifs posés sur mes voisines et voisins, je n'étais pas la seule à être bouleversée. On en prend plein le cœur, mais aussi, plein la vue, grâce à la scénogrophie époustouflante qui nous offre notamment un final en apothéose, digne du bouquet d'un feu d'artifice.
Et que dire des actrices et acteurs ? Je les ai toutes et tous aimé, avec leurs qualités et leurs défauts. Le metteur en scène s'est même offert un rôle dans cette histoire familiale (celui de Lucca, le fils de Vittorio). Dire qu'il est touchant serait un piètre euphémisme.
Bravo à la compagnie pour ce merveilleux moment de théâtre, plein d'émotions, qui restera gravé au fer rouge dans mon cœur de spectatrice.