Critique - Bungalow 21 - Théâtre de la Madeleine (Paris)
En 1960, deux couples mythiques séjournent au Beverly Hills Hotel, à Los Angeles. Au bungalow 20, nous retrouvons Simone Signoret et Yves Montand, le couple star du cinéma français, au sommet de leur gloire et leur relation. Leurs carrières commencent à traverser l’Atlantique. Marilyn Monroe et son mari Arthur Miller s’installent dans le bungalow voisin, le temps du tournage du Millardaire (Let’s Make Love) qui réunit Monroe et Montand. Signoret et Miller doivent s'absenter. S'ensuit une liaison entre la star hollywoodienne et l'acteur français, révélée par la presse à scandale...
L’animateur Benjamin Castaldi, descendant de Signoret, a mûri l’diée de cette pièce pendant des années, en soufflant l’idée au dramaturge Eric-Emmanuel Schmitt puis en essayant de convaincre Mathilde Seigner (qui joue Simone Signoret). Elle a mis quatre ans avant de dire oui au petit-fils de l'actrice française.
Sur l’idée, on se dit pourquoi pas ? Il s’agit avant tout de la rencontre entre deux femmes célèbres, Marilyn Monroe et Simone Signoret, aux destins opposés mais qui se retrouvent grâce à la richesse de leur parcours, leurs projets et leurs questionnements. D’autant que représenter Marilyn Monroe n’est pas une mince tâche, au vu de toutes les représentations et tous les stéréotypes qu’on lui prête…
Et pourtant la pièce tombe les deux pieds dans le plat : d’un côté, une Marilyn hypersexualisée, écervelée, infantilisée et capricieuse par des retards qui s’allongent. L’actrice est présentée comme obsessionnelle par son désir d’être admiré, notamment par les hommes dans lesquels elle essayerait de retrouver son « Daddy ». De l’autre, Signoret est un autre stéréotype de femme : si elle ne peut être pas « belle », Signoret sera intelligente et cérébrale, tout le temps de mauvaise humeur. Bah oui, c’est évident qu’une femme ne peut être belle, intelligente et drôle à la fois… Il faut choisir…
Au cinéma, il existe un outil, qui peut être étendu au reste des œuvres de spectacle vivants : le test de Bechdel (ou Bechdel-Wallace) qui mesure l’évolution des représentations sexistes. Pour ce test, il suffit de retenir quelques questions : comporte-t-il au moins deux personnages féminins ? Ces deux femmes se parlent-elles et si oui, d’autre chose que d’un homme ? Si on l’applique à cette pièce, le texte casse tous les scores puisque la grande majorité de leurs interactions ne tournent autour que d’un homme, Yves Montand en l’occurrence, et non de leur carrière et des difficultés qu’elles peuvent traverser ensemble.
Une rivalité alimentée par le personnage de Montand. Oui, il faut s’y arrêter au personnage de l’acteur-star qui est détestable. L’écriture de la pièce vient à construire aussi deux stéréotypes masculins : Yves Montand, la star française hyper cool qui justifie sa jalousie et sa possessivité par son amour pour Signoret et même s’il la trompe et qu’il joue sur deux tableaux avec Marilyn, après tout « l’amour vaincra ». Et enfin, Arthur Miller, intellectuel proche de la gauche communiste, trop ennuyeux car engagé et mou, très mou… dommage de représenter un autre dramaturge de cette manière (à croire que Schmidt a un problème avec les textes de l’auteur américain).
Bref, il en ressort une écriture ancrée dans l’époque par le sexisme ambiant qui règne dans le bungalow ; mais seulement sur ce point-là parce que les dialogues, le phrasé date d’aujourd’hui… Un peu d’anachronisme dans l’air…
Si on s’intéresse à l’œuvre, au fond, une chose vient me tiquer quant à la forme : avec le propos qui ressortnet de la pièce, on peut en venir à se demander si cela n’a pas un lien avec les acteurs.rices qui la composent. Je m’arrêterais sur Emmanuelle Seigner qui joue Monroe, avec, je le conçois, toute la pression que cela implique. Son retour au théâtre était attendu, d’autant que l’artiste s’estime «annulée» en France. Autrice d'un livre confession, Une vie incendiée (Éditions de L'Observatoire), où elle défend Polanski, père de ses deux enfants, poursuivi pour viol, elle déclare : «Je n'ai aucune offre en France. Ils m'ont “canceled”. Mais ce n'est pas un problème !». Lier ses positions à cette pièce tend à faire réémerger le (fameux) débat : peut-on séparer l’homme de l’artiste ? Question que j’appliquerai dans ce cadre, à la représentation de Montand dans la pièce et même de manière plus générale ; on est loin de « l’homme parfait » des années 60.
Il ressort de ce moment, plutôt malaisant, un élément, (comment dire ?) intéressant quand on observe son environnement : le public rit des blagues et des frasques d’Yves Montand, qui rejette toute responsabilité sur les autres protagonistes. Oui avec le recul, c’est intéressant de voir ce décalage entre une partie de la salle très convaincu d’avoir déboursé une fortune pour cette soirée et de mon côté, où les blagues sexistes ne m’ont provoqué que de la colère. Mais ce n’est peut-être qu’un reflet de notre société ?
Après tout ce que j’ai pu dérouler, je reconnais un très bon point dans cette pièce : la scénographie est très riche et accrocheuse sans oublier les costumes magnifiques. Il faut saluer le travail d’Emmanuelle Favre et d’Anais Favre aux décors comme de Jacques Rouveyrollis et Jessica Duclos aux lumières. Malgré un décor accrocheur et de magnifiques costumes, la mise en scène de Jérémie Lippmann ne m’a pas (du tout) convaincu.
Crédits photos : Cyril Moreau / Bestimage
Bungalow 21
Écrit par Eric-Emmanuel Schmidt / Mis en scène par Jérémie Lippmann
Théâtre de la Madeleine (Paris)
Jusqu'au 7 janvier 2024
Jade SAUVANET