Passeport : une fable politique au message timoré - Théâtre de la Renaissance (Paris)
Un autre défi ! Il n’en manque jamais pour le golden boy du théâtre, j’ai nommé, Alexis Michalik ! Quatre ans après Une Histoire d’Amour qui effleurait le théâtre socio-politique avec la PMA, le dramaturge s’attaque à un sujet fondamentalement politique brûlant d’actualité avec Passeport.
Passeport, c’est le seul objet qu’il reste à Issa, un jeune Erythréen devenu amnésique après avoir été violenté dans la « jungle » de Calais. L’hôpital le sauve sans réparer son visage (ne pas oublier !). A sa sortie, il fait la rencontre d’Arun, tamul originaire de Pondichéry et Ali, professeur de littérature anglaise syrien et les trois vont se reposer les uns sur les autres dans le long parcours pour obtenir un titre de séjour. Une autre histoire s’entremêle : celle de Lucas, gendarme d’origine comorienne. Dès son retour à Calais, où il a grandi enfant (car adopté par un couple de Calaisiens), il commence comme surveillant des camions qui passent la frontière vers l’Angleterre, un contrôle qui empêche aux migrants de s’y cacher. Mais Lucas se questionne sur ses origines, plus particulièrement lorsqu’il rencontre Jeanne, énergique journaliste, née en France de parents maliens. Jusqu’au jour où, à l’occasion d’un repas avec les parents du jeune homme, leur relation s’arrête brutalement, précipitée par une dispute entre Jeanne et Michel, le père de Lucas, qui, avec tout son aplomb d’ancien militaire, fait montre de sa xénophobie envers les exilés présents à Calais. Sans un coup de théâtre…
La pièce traite d’abord des multiples facettes de l’immigration, du racisme avec un focus sur la vie des sans-papiers ; pour un public, certes déjà acquis de part la sociologie du théâtre et l’enthousiasme pour l’univers de l’auteur, il faut souligner la pédagogie sur l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatride) et l’enfer de ses procédures, l’économie souterraine auquel contribuent les trois réfugiés quand ils sont engagés dans un restaurant, la « jungle » de Calais, sémantique médiatisée en 2015 mais existant déjà depuis 2002. Michalik redonne beaucoup d’humanité à des personnes invisibilisées avec ces portraits intimistes.
On retrouve la marque Michalik : un univers nourri par son imagination débordante qui fait naître des épopées sur la quête d’identité, l’ailleurs qui fait rêver, qu’on retrouve dans son romain Loin, une troupe réduite de 7 comédien.nes qui alterne entre mille personnages d’une fluidité parfaite, le personnage du père problématique dans l’ombre dans Une Histoire d’amour et représenté dans le père de Lucas cette fois-ci ainsi qu’un désormais entre-deux au niveau de la scénographie entre économie du décor (avec trois blocs de décors qui se relaient) et « grosse » production (en raison de format du théâtre, plus grand avec des projections de vidéos).
Néanmoins, derrière cette vision de parcours initiatique individuel de réussite, d’intégration, pour ne citer qu’Issa qui obtient les doigts dans le nez, un prêt pour ouvrir son propre restaurant avec Arun et Ali, quelque chose dérange : l’auteur ne veut pas faire du théâtre politique, pour le reprendre « militant ou documentaire ». Or, présenter une pièce sur un sujet aussi d’actualité, à l’heure où la loi sur l’immigration promulguée le 26 janvier dernier suscite les inquiétudes quant au sort réservé aux étrangers, est certes un concours de circonstances mais pas anodin. Cette vision individualiste tend à pencher vers un modèle méritocratique, chère à l’imaginaire collectif français et bien déconstruit par les études sur les inégalités sociales depuis des décennies.
Derrière, la critique des politiques migratoires, de l’Etat demeure trop de surface selon moi, on reste dans le politiquement correct, on effleure mais il ne faut pas viser quelqu’un en particulier. Les violences policières sont montrées mais il ne faut pas dire qu’elles sont parties intégrante d’une violence d’État qui peut, notamment, intimer l’ordre de lacérer des tentes Quechua et transformer la mer Méditerranée en cimetière. Or c’est aussi une fonction du théâtre de s’attaquer à des problématiques sociales et politiques. Alors oui, je le conçois, ce n’est pas dans l’habitude de l’auteur mais au vu du contexte, il semble compliqué de ne pas se saisir de cela, d’autant que son statut de golden boy du théâtre pourrait lui permettre s’asseoir une position sans entacher la confiance des programmateurs de salles ou les directions de théâtre… Il y a toujours un risque, même minime auprès du public (oui on parle du public du théâtre de la Renaissance, pas celui du théâtre de Belleville habitué à voir des pièces politiques) mais il en a pris par le passé, rien que dans son travail d’adaptation cinématographique ; maintenant il serait temps de passer au stade supérieur !
La volonté d’écrire une histoire humaniste s’entend mais comme vu dans beaucoup de critiques, il y a trop de bons sentiments, ce qui affaiblit la portée de son histoire. Le concentré de feel-good n’a pas sa place ici pour moi…
La patte Michalik, c’est aussi un rythme poussé, les répliques fusent, personne ne doit s’ennuyer pour lui quitte à ne pas avoir le temps de digérer tout le dispositif scénique et surtout le temps de ressentir. Pour poser le cadre, la première partie de la pièce passe à une rapidité et on prend davantage de temps à découvrir les émotions des personnages en deuxième partie. C’est surement mon autre point très contrasté sur cette nouvelle création : les comédien.nes portent magnifiquement l’histoire mais Alexis Michalik ne leur rend pas trop l’appareil sur les émotions, ce qui est très dommage alors qu’il nous avait habitués à approfondir dans sa dernière pièce. Pas de têtes d’affiche (fort heureusement, je commence à craindre ce choix) mais des comédien.nes quelques fois aperçus dans ses précédents projets. Ils forment tous.tes une alchimie sur scène, comme si cela faisait des années qu’ils la jouaientt. Reste un message clair sur « le spectre du fascisme qui rôde toujours et se nourrit de l’ignorance, de l’intolérance et du racisme ».
Il faut aller voir Passeport, rien que pour la thématique actuelle et cette nécessite de redonner de l’humanité. C’est un très bon essai au théâtre politique mais l’auteur pourrait aller plus loin, il en a les outils… Surtout qu’on ne peut s’empêcher de faire le lien avec du film de Matteo Garrone, Moi Capitaine (sorti un mois plus tôt) sur le sujet similaire avec un message politique plus clair, par le cadrage de l’histoire et sa volonté de s’arrêter à la frontière italienne là où toute la représentation médiatique tendent à criminaliser les migrants.
Crédits photos : Alejandro Guerrero
Passeport
Écrit et Mis en scène par Alexis Michalik
Avec Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kevin Razy, Fayçal Safi, Manda Touré, Ysmahane Yaqini
Durée : 1h45
Théâtre de la Renaissance (Paris 10e)
du 26 janvier au 30 juin 2024
Paru le 10 janvier 2024 chez Albin Michel
Jade SAUVANET