Baz'art  : Des films, des livres...
24 septembre 2018

Interview de la romancière Wendy Delorme pour son livre " Le corps est une chimère"

 Son ouvrage faisait partie d'un des trois dont on a parlé dans notre revue de romanciers lyonnais- ou vivant à Lyon qu'on a publié vendredi dernier : Wendy Delorme, avec son passionnant roman " le corps est une chimère" , publié au diable Vauvert,  a marqué cette rentrée littéraire et, comme l'auteur est de Lyon, on a pu la rencontrer la semaine passée pour qu'elle nous dise tout ou presque sur son nouveau roman.

INTERVIEW DE WENDY DELORME, pour son roman

" le corps est une chimère" : 

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Baz'art : Votre dernier roman date de 2012 et entre 2012 et "Le corps est une chimère",  vous avez publié des études universitaires. Qu’est-qui a alimenté ce retour à la fiction six ans après : est-ce le besoin de retrouver des personnages et d'oublier un peu la théorie ?

Wendy Delorme: Oui en effet, je n’avais pas écrit de fiction depuis six ans déjà, comme le temps passe (sourires).

J’ai en effet publié des travaux universitaires, comme je suis maitre de conférences en faculté en  sciences de l'information et de la communication, cela s'est fait dans ce cadre, et c'était souvent des ouvrages collectifs.

J'ai notamment publié une étude sur les stéréotypes dans la publicité  et un autre sur la manière dont l’état français s’y prend pour communiquer sur les violences faites aux femmes.

Mais il faut savoir que, depuis toute petite, j’aime écrire  des histoires. J'ai toujours écrit des nouvelles aux membres de ma famille que je tapais à la machine à écrire, donc, vous voyez, ce goût pour la fiction remonte à bien loin (sourires).

Pendant trois ans, je me suis consacré quasiment intégralement aux travaux académiques et là je ressentais vraiment le besoin de revenir à ce type d’écriture qu’est la fiction.

Baz'art  : Et en même temps, j'imagine que ces travaux universitaires vous servent aussi pour écrire vos romans. Vos deux modes d’écriture s’auto- alimentent plus qu’ils ne s’opposent, n'est ce pas ?

Wendy Delorme: Oui, tout à fait  : dans «  le corps est une chimère », il y a des données sur les violences faites aux femmes qui font partie de cette étude dont je vous ai parlé, et  que j’ai utilisé quasiment stricto sensu pour ce roman.

Pour rendre réaliste le personnage de l’agent de police (Jo), je me suis beaucoup servi de ces données statistiques. J’ai notamment fait tout un travail de recherche pour comprendre leurs conditions de travail, j’ai recueilli des témoignages de femmes qui sont venues déposer plainte dans le commissariat.

Même si cela n’apparait pas vraiment dans le roman, cela m’a vraiment aidé à construire ce personnage, j’avais besoin de ces données sociologiques pour rendre crédible mon intrigue et mes situations.

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Baz'art  : Justement, par rapport au personnage de Jo dont vous faites allusion, c’est peut-être celui qui nous parait le plus étonnant du livre. On sait que vous avez toujours défendu les minorités dans vos romans et vos œuvres précédentes, on ne s’imagine pas forcément que vous allez vous mettre dans la peau d’un homme flic, non ?

Wendy Delorme: Alors, permettez-moi de vous contredire mais « homme flic", c’est vous et vous seul qui le dites …

Jamais je n’indique le genre de ce personnage, si vous amusez à relire tous les chapitres où il est présent, vous verrez bien que rien n’est indiqué sur son sexe. Comme c’est quelqu’un qui finit par rendre justice lui-même, je n’ai pas voulu le catégoriser et je n’utilise jamais de pronom.

Et du coup, certains lecteurs pensent que Jo est une femme et d’autres un homme, c’est très variable et pour moi en tant qu’auteur, c’est toujours intéressant ce genre de cheminement et d'interprétation différente d'un lecteur à l'autre.

En tout cas, ce qui m’a intéressé dans ce personnage, au-delà de son genre, c’est bien son côté « ange exterminateur » qui va être amené à rendre la justice à la place des institutions judiciaires et policières…

Baz'art  : C’est quand même étonnant cette question du genre de Jo car, lorsque je relis le résumé de votre roman sur le site de l’éditeur, je vois qu’il y a indiqué 7 personnages dont 5 femmes et 2 hommes, et comme pour les autres, il n’y a pas d’ambiguïté, pour moi Jo était vraiment un mec sans aucun doute!

Wendy Delorme :  (Sourires) en fait,  ce n’est pas moi qui ai fait ce résumé, et en effet ça peut prêter à confusion, mais vraiment dans mon esprit, je veux laisser au lecteur son libre arbitre sur cette question.

Baz art : Et par rapport à la dimension « grand public » que le quatrième de couverture de votre roman met en avant,  est-ce vous qui en êtes à l’initiative ? Est-ce que, par rapport à vos trois précédents romans, vous pensez que celui-ci est plus accessible et surtout n’est pas limité à un lectorat LGBT comme le lecteur lambda pourrait le penser en lisant le résumé de l'intrigue?

Wendy Delorme: Oui , c’était une volonté de ma part de le rendre plus « grand public « que mes précédents livres…

À cet effet, j’ai demandé à mon éditrice (Au diable vauvert) que ce roman soit présenté lors de la rentrée littéraire, et non pas à la mi-mars comme les autres.

Mes livres traitent tous de la minorité de genre et de la condition des femmes, mais pour celui-ci , plus que pour les autres je me  suis rendu compte, au fil de l’écriture, que j’aurais voulu que ce livre soit lu par le plus grand nombre de personnes.

Et dans ces personnes, je pense aussi à ceux ont participé aux Manif pour tous  ( contre le mariage gay) ceux ou tous  ceux qui pourraient avoir des préjugés à l’encontre  de ces minorités de genre.

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  Photographies de Wendy Delorme © Daria Ivanova

Dans ma vie, on rentre dans la vie de ces minorités identitaires et j’espère que mon roman permettra au lecteur de mieux comprendre ces questions sociétales sous le prisme des vécus individuels et montrer comment les politiques publiques françaises ont pu impacter ces vécus individuels.

Mon roman montre notamment comment il est possible de construire une famille homoparentale, et, comment les débats très violents qu’il y a pu avoir lors de la loi aubira autour du mariage pour tous, ne prennent pas en compte ces histoires individuelles là.

Baz'art: Euh, vous pensez vraiment que des gens qui ont manifesté contre la loi Taubira vont lire et apprécier votre roman ? Je ne veux pas casser votre enthousiasme,mais il me semble que cette vision me semble aussi chimérique que le corps dans le titre de votre roman (sourires)!

Wendy Delorme: Disons que j’ai fait le pari  avec ce roman de passer par le vécu et non pas par l’argumentation comme j'ai pu le faire dans mes travaux précédents.

Je suis convaincue que c’est l’ignorance qui était à l’origine de ces représentations et je me suis dit que ce procédé-là me semble plus efficace pour tenter de convaincre toutes les personnes qui peuvent avoir des préjugés.

J’ai pensé à cela lors du débat contre la toi Taubira et je suis arrivé à la réflexion suivante : c’est en ayant accès aux  vécus individuels, et si possible sous le prisme de la fiction, qu’on peut parvenir à combattre  ces préjugés.

C’est peut-être une conception un peu illusoire, comme vous semblez le penser, mais si vous pouvez me laisser à mes illusions, merci d'avance (rires).

Baz'art: Quelle est votre analyse du titre de votre roman ? Vous,  qui avez travaillé énormément sur le rapport au corps, en théorie ou en pratique, qu'est qui vous entraine à en conclure au relativisme de l'enveloppe corporelle? Est-ce que c'est la manière dont les hommes et les femmes font de leur corps qui explique ce besoin de nier leur existence ?

Wendy Delorme:  En fait, le titre est tiré d’une phrase présent dans le roman, dans un chapitre consacré à un enterrement, c’est extrait d’une oraison funèbre.

La fille de la personne décédée déclame : « le corps est une chimère,  le corps peut guérir, mais les blessures de l’âme perdureront toujours ». Elle se pose la question de savoir après la mort ce qui peut subsister de l’autre.

Mon éditrice a suggéré ce titre.  Moi, j’aurais aimé appeler mon livre «  Corps/Chimère », mais mon éditrice a trouvé que ce titre n’était pas très audible et  allait à ma volonté de faire un roman plus accessible comme je vous l’ai dit tout à l’heure.

On a eu une longue discussion sur le titre, il a failli s’appeler de différentes façons, ,mais "le corps est une chimère", franchement cela fait sens. Le corps est une chimère, cela veut dire avant tout  que, sur nos corps, sont affichés un certain nombre de caractérisations sociales.

Le premier contact que l’on a, quand on croise quelqu’un,  c’est la vision du corps de l’autre, et le corps que l’on vit n’est pas celui que les autres voient et c’est de cette différence là que je voulais avant tout dans mon roman.

Il me semble que tout le monde vit cela, on est tous confronté à ce décalage entre ce que l’on ressent de son  propre corps  et de ce que les autres perçoivent de lui, donc j’avais très envie de parler de cela dans mon livre d’autant plus que ce sujet est le point commun entre ces 7 personnages et le fil rouge du roman.

Le roman parle beaucoup de la fragilité de nos corps, de la violence à laquelle on le soumet, volontairement ou par le biais des autres, et le titre résume bien cela, je trouve.

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  Photographies de Wendy Delorme © Daria Ivanova

Baz'art: Concernant justement ce sujet de la violence faite au corps des femmes, on peut dire qu’il colle  parfaitement avec l’époque, alors même que c'est une problématique que vous avez à l’esprit depuis plus longtemps.. Que pensez-vous du fait que votre roman résonne particulièrement bien avec l’actualité du moment ?

Wendy Delorme: En fait, j’ai commencé à écrire mon roman il y a deux ans. Il faut dire qu'en effet, ces thématiques là me préoccupaient depuis longtemps .

Grâce à ce mouvement #metoo, il y a eu une plus grande visibilité du discours des femmes, de ce qu’elles peuvent vivre au quotidien,  et du coup les médias se sont saisis de ces sujets là et forcément cela joue dans l’opinion publique.

Dans cette rentrée littéraire, il y a d'ailleurs beaucoup de romans qui traitent de cette thématique-là, notamment de  vécus de femmes dans d’autres pays que dans les sociétés occidentales, et c’est formidable que ce genre de vécu individuels (j’en reviens toujours à cela)  qu’on n’imagine pas forcément, deviennent accessibles au public par le prisme de la littérature.

Baz'art: Et pourtant cela vous fait de la concurrence, car tout le monde ne pourra lire tous les romans qui traitent de ce sujet dans les 594 romans de la rentrée littéraire, non ? (rires)

Wendy Delorme : Oh là je ne suis pas du tout dans cette optique-là.

Moi, je suis ravie de participer à ma première rentrée littéraire et si d'autres traitent de sujets proches des miens, je me dis que c’est forcément positif, on les aborde tous de façon différente et surtout je me dis que c’est parce que le sujet interpelle et intéresse forcément le lecteur…

Et puis mon livre va au dela de ce simple sujet, il aborde également d’autres sujets sociétaux d'actualité tels que l'homoparentalité, la gestation pour autrui ou l'accueil des personnes migrantes et réfugiés, et j’espère que ces thèmes devraient tout autant résonner dans l’imaginaire et l’intérêt du potentiel lecteur .

Baz'art: Et bien chère Wendy, gageons que le lecteur sera intéressé et par vos sujets et par la façon dont vous les abordez et qu’ils seront nombreux à se saisir de votre passionnant roman. Merci beaucoup pour vos réponses et longue vie à ce « corps est une chimère »!!

 Wendy Delorme : merci à vous pour votre intérêt pour mon roman! 

  Photographies de Wendy Delorme © Daria Ivanova

A noter pour les lyonnais que Wendy Delorme sera à la librairie Terre des livres (86 rue de Marseille Lyon 7e) le 20 octobre à 15h

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