Wet Season d'Anthony Chen : Avec le déluge
Après Ilo Ilo, sa très belle caméra d'or, remportée en 2013 à Cannes, le réalisateur singapourien Anthony Chen se rappelle au bon souvenir du public français, avec la sortie de son nouveau film, Wet Season, en salles depuis mercredi.
Dans le sillage de son premier film, Anthony Chen continue d'explorer l'intimité des habitants de Singapour, dans l'ombre du miracle économique qui fait du pays la Suisse asiatique. Pour cela, le cinéaste retrouve deux des acteurs qui avaient tant convaincu dans Ilo Ilo : Yann Yann Yeo incarne Ling Lim, une professeure de chinois qui jongle entre ses cours, un beau-père sénile à charge et son combat médical pour tomber enceinte.
Esseulée, elle se rapproche de l'un de ses élèves, Weilun, interprété par le fantastique Jia Ler Koh, le Jean-Pierre Léaud de Chen, selon les propres mots du cinéaste, que l'on prend plaisir à retrouver comme une vieille connaissance, six ans plus tard.
En plus de ses acteurs, Anthony Chen conserve la même délicatesse dans sa manière d'observer le rapprochement de ces deux solitudes, leur relation évoluant au gré d'infimes détails, pris comme autant de petites transgressions : un fruit partagé ou une tâche d'encre rouge vif qui s'étale sur une copie par exemple. La mise en scène sobre et pudique de Chen, couplée à la finesse de son écriture, fait une nouvelle fois des merveilles, mine de rien.
À la justesse intime de cette rencontre s'ajoute l'acuité sociale et culturelle du portrait que Chen brosse de la vie sur l'île-État. Ling et Weilun se retrouve ainsi unis par la culture chinoise, un héritage menacé par la globalisation. Ling enseigne une langue méprisée par les élèves, leurs parents et même par le reste de l'équipe enseignante, tandis que Weilun pratique avec ferveur des arts martiaux ancestraux.
Contre l'anglais, véritable marqueur social, et les sciences, jugées plus utiles, le professeur et l'élève, rejoints par le beau-père de Ling, symbole d'une culture qui se meurt. mènent une résistance aussi passionnée que fébrile.
Comme dans Ilo Ilo, l'intime et le social vont de pair, les traits caractéristiques des personnages trahissant des questionnements identitaires à l’œuvre dans la société singapourienne. Dans cette optique, Chen n'est pas tendre avec des classes moyennes qui, prenant le train de la mondialisation heureuse, sont peu à peu arrachées à leurs racines culturelles et familiales. Andrew, le mari distant et égoïste de Ling, ramasse tout entier la critique frontale adressée par Chen.
Confirmant les espoirs placés en lui par Agnès Varda et le jury de la Caméra d'or en 2013, Anthony Chen livre un film à la fois doux et féroce.
Son observation minutieuse des changements sociétaux et moraux provoqués par le progrès économique, semblable à celle d'un Jia Zhang-Ke, notamment dans Au-delà des montagnes, est précieuse, parce qu'elle est précise, mais également parce que, loin d'être didactique, elle laisse ruisseler fiction et émotion.
Wet Season d'Anthony Chen, en salles depuis le 19 février 2020, Epicentre Films