« Le docteur ferma la porte derrière lui et resta au chevet de la malade. Il lui sembla qu’il devait la protéger, non pas de la maladie, mais de la situation dans laquelle elle s’était mise. Devant cette femme nue et vidée de ses forces, il imagina l’intimité qu’elle partageait avec cet Arabe orageux. Il l’imagina d’autant mieux qu’il avait aperçu dans le couloir le fruit dégoûtant de cette union et il eut un haut-le-cœur, un sursaut de révolte.
Bien sûr, il savait que le monde avait changé, que la guerre avait bouleversé toutes les règles, tous les codes, comme si on avait mis les gens dans un bocal et qu’on l’avait remué, faisant rencontrer des corps dont lui jugeait qu’il était indécent qu’ils se touchent. Cette femme dormait dans les bras de cet Arabe chevelu, de ce rustre qui la possédait, qui lui donnait des ordres. Tout cela n’était pas juste, ce n’était pas l’ordre des choses, ces amours-là créaient le désordre et le malheur. Les sang-mêlé annoncent la fin du monde. »
C’est d’abord une passion amoureuse, Mathilde grande et belle Alsacienne tombe raide dingue d’Amide un beau soldat Marocain. En quittant son Alsace natale pour une ferme en Afrique, Mathilde se rêve Karen Blixen, mais elle va très vite déchanter et apprendre que la vie n’est pas un roman.
En suivant au plus près Mathilde mais aussi Mouilala sa belle-mère, Selma sa jeune belle-sœur et la petite Aïcha c’est plusieurs combats de femmes que nous allons vivre.
Roman humaniste, féministe, politique et ambitieux qui se déploie sur dix années charnières de la géopolitique française et marocaine, « Le pays des autres » nous raconte la guerre et ce sera le grand sujet de cette saga familiale. Guerre coloniale, guerre fratricide et guerre conjugale.
Leila Slimani, écrivaine engagée, change de style. Après deux romans rêches et secs, elle se lance avec bonheur dans le bon gros roman classique.
Le lecteur est séduit dès les premières pages par son écriture fluide, et délicate.
La romancière tire le fil de son récit avec intelligence, il nous est alors impossible d’oublier tous ses personnages qui se cherchent, se trompent, se perdent et se retrouvent. Vivement la suite.
Le pays des autres. Leïla Slimani · Gallimard , 5 mars 2020