Jeudi Polar : Tromperie, Andrea Maria Shenkel et les faits divers marquants de l'Allemagne
"C’est Erwin Weinbeck, le jeune collègue de Huther, qui les avait fait entrer ; de l’avis de ce blanc-bec, ce que ces deux dames venaient signaler semblait indiquer qu’on avait affaire à un crime, ou en tout cas à un incident tout à fait inhabituel qui pouvait relever de leur service. Huther n’appréciait guère le zèle avec lequel Weinbeck lui avait exposé ce soupçon ; il faut dire que même lorsqu’il était dans un bon jour, les pressentiments ou les vagues hypothèses de ses collègues ne l’intéressaient pas le moins du monde."
Dans la foulée d'un autre roman de l’autrice allemande Andréa Maria Schenkel lu juste avant le confinement, à savoir l'excellent Bunker, on s'est jeté sur "Tromperies", son dernier roman traduit en France et sorti chez Actes Sud un peu avant le confinement.
On sait que Andréa Maria Schenkel aime bien reprendre sous l'angle de la fiction des faits divers qui ont fait sensation Outre Rhin, c'était le cas avec la ferme du crime ou la romancière disséquait un massacre familial survenu dans une ferme en Allemagne, au début des années 1950.
L'auteur fait de même avec "Tromperies" en revenant sur un fait divers qui a également hanté l'histoire de son pays. Celui ci a eu lieu originellement dans les années 1920 et a vu une mère et sa fille sont retrouvées sauvagement assassinées.
Très vite, les soupçons vont se porter sur l'amant de cette dernière. Il faut dire que Hubert, qui se rêverait comédien à Munich, a déjà escroqué son père, et sa réputation de coureur de jupons le précède lors de son arrestation a tout pour faire de lui le coupable idéal. Mais malgré son absence évidente de valeur morales, coupable de ce double meurtre crapuleux , l'est-il vraiment ?
Tromperie permet à Andréa Maria Shenkel d'ausculter les affres d'une petite ville du sud-est de la Bavière et le début des années 20, Landshut où les conventions et le déterminisme social semble dicter leurs lois.
Quand je suis partie, il a dit qu'il me tuerait s'il me retrouvvait. Il m'a envoyé deux de ses copains qui m'ont suivie. Luck est capable de tout, et tous ses amis sont de la même trempe. A la fin, j'avais peur d'être seule avec lui, et aujourd'hui encore, j'appréhende de le croiser. C'est un sentiment dont je ne me débarrasserai plus jamais.
Plusieurs voix (police, témoins, journalistes... ) vont ainsi exposer les faits afin que le lecteur puisse reconstituer le puzzle des évenements tragiques.
Andrea Maria Shenkel propose une analyse sociologique et psychologique approfondie de l’époque et ausculte tout cela avec précision et une pointe d'ironie assez jubilatoire, un peu comme le ferait un Simenon ou un Claude Chabrol pour le cinéma.
De cinéma, il en est d'ailleurs question dans Tromperie avec une partie conscrée à un long métrage muet assez marquant à l'époque Le poignard ensanglanté, qui aurait visiblement inspiré le meurtrier.
"Josef Wurzer se tourna vers sa femme et la dévisagea dans la pénombre.
— Alors là, tu exagères, comment veux-tu que le sang goutte si le poignard est par terre ? Ça ne peut goutter que si c'est en hauteur, c'est bien pour ça qu'on dit goutter.
— Je n'exagère pas, Josef. Dans le film, on voyait le sang… peut-être pas goutter, mais couler par terre, quelle différence ? Mais tu sais ce que j'ai trouvé le plus terrible ?
Quand le vent a ouvert la porte de la terrasse, alors que la comtesse était seule. Elle s'est approchée de la porte pour la refermer, et elle s'est retrouvée nez à nez avec le meurtrier. Son regard, le visage en gros plan sur l'écran ! Les yeux écarquillés ! Le sang s'est glacé dans mes veines."
"Tromperie" , une analyse criminelle pyschologique prenante et envoutante qu'on vous conseille sans hésiter!
Tromperie, de Andrea Maria Schenkel. Traduit de l'allemand par Stéphanie Lux (Actes Sud, 224 pages, 21,80 euros).