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11 avril 2024

Interview avec la réalisatrice Delphine Girard pour le film "Quitter La Nuit"

Dans “Quitter la Nuit” de Delphine Girard, en salles depuis hier,  (retrouvez notre critique ici même) la tragique contemporanéité du thème de la violence sur le femmes se développe dans un drame net et précis, analysant les liens entre toutes les personnes impliquées dans cet acte de violence, de la  victime au criminel qui viole, à la femme policier qui aide.  La semaine passée sur Lyon on avait rencontré la cinéaste belge lors d'un entretien assez passionnant 

 Rencontre avec DELPHINE GIRARD RÉALISATRICE DE QUITTER LA NUIT

 

Le point de départ de cette histoire

Il provient d'une nouvelle parue dans un journal concernant l'histoire d'une téléphoniste d'un call center d'urgences qui, grâce à sa ténacité et son implication, a sauvé une femme kidnappée et violée. Cela se passait aux États-Unis.
J'ai même eu accès à l’enregistrement de cet appel. Ce dialogue entre ces deux femmes m'avait bouleversé. L'une devant chercher ses mots pour comprendre la réalité du danger et l'autre prétendre que tout allait bien tout en essayant de révéler ce qui lui permettrait que sa vie soit sauvée. Cela m'intéressait de raconter cette histoire qui n'est pas celle d'une agression au couteau, la nuit, par un inconnu.

Absence de preuves formelles

Ce qui est complexe, dans l'histoire que je raconte, c'est qu'il n'y a pas vraiment de preuves. Ce qui ne signifie pas que cela ne s'est pas produit."
Ici, le personnage d'Aly, la victime, est en début de soirée dans une démarche de séduction.

Et qui change d'avis au cours de la soirée face à un homme qu'elle connaît. Pour moi, cela ne lui retire aucune liberté de refuser. Mais cette histoire-là est plus difficile à classer et à traiter pour la justice. Et plus difficile à regarder. On sait que le pourcentage de viols condamnés, en Belgique, est extrêmement bas. Ceux qui sont condamnés, le plus souvent, sont ceux où la victime et le violeur ne se connaissent pas. Et que les traces de violence sont extrêmement tangibles. Aly, qu'interprète Selma Alaoui, est comprise par la police.
On voit que la commissaire la voit et la comprend. Mais elle est à la recherche de preuves, au contraire d'Aly. D'une certaine façon, elle devient une mauvaise victime.

Qu’est-ce qu’on fait d’une justice qui, elle, ne veut que des traces et des preuves ? C’est bizarre de vouloir juger un viol comme un vol de sac à main. Il y a autre chose à mettre en mouvement avec les acteurs et les victimes de ces situations.

Ça, ça m’intéresse. Après, sur l’idée de la zone grise, je trouve qu’il y en a très peu dans le film. Pour certaines personnes, boire un verre avec quelqu’un signe déjà un consentement… Pas pour moi.

Aly, pas la bonne victime?

Je pense qu'une « bonne victime », ça n'existe pas ! Personne n'est l'agresseur qu'on pense et personne n'est la victime qu'on imagine. Je me suis documentée auprès d'avocats, de médecins, de policiers.

J'ai analysé les examens médicaux et les procédures de déposition en me demandant si ça conviendrait à Aly. Et j'y ai surtout vu des facteurs aggravant son traumatisme.

Dans cette fiction, j'ai voulu autoriser Aly à ne pas devoir se justifier, même si on lui demande. Le récit est donc construit de sorte qu'à un moment donné, même si on est traversé par l'envie qu'elle réponde à ce que la justice lui demande, on fasse l'expérience avec elle de son manque de docilité. Et que ça n'en fait pas une moindre victime.

 


D'un court métrage à un long

Ça a mis du temps de passer d'un court métrage à un long… Pour moi, le court était terminé et j'avais bouclé l'aventure.

Mais le film avait été écrit juste avant #MeToo et était sorti pile au début du mouvement, ce qui a généré beaucoup de discussions. J'ai réalisé que le film n'était pas forcément perçu de la même façon par tout le monde. Qu'on n'y voyait pas tous la même chose. Je me suis demandé ce qui arrivait aux trois personnages après cette nuit terrible. La question de la justice s'est posée.

On dit partout qu'il faut porter plainte, mais on voit bien que les chiffres de personnes condamnées sont très bas. On peut aussi se demander si la condamnation fait sens. Il y a quelque chose dans l'efficacité du court-métrage que je ne renie pas du tout, mais qui me laissait une sensation incomplète. Il ne se termine pas exactement sur un happy end, mais il offre un sentiment de résolution quand Aly est sauvée. Moi, dans ma tête, je me disais qu'elle n'était pas sauvée du tout.

 

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À l’écriture, mon postulat était que le court était un thriller de 15 minutes condensées et que j’avais envie d’utiliser cette émotion pour aller ailleurs.

Je suis donc repartie de cela pour réfléchir à la suite. Au départ, on devait tout retourner et puis, pour des questions de budget, les producteurs m’ont demandé si l’on ne pourrait pas reprendre certaines scènes dans la partie filmée dans la voiture, où les personnages sont principalement de dos et de nuit.

Par contre, on a retourné le call-center avec Veerle, ainsi que les flash-backs qu’on voit plus tard dans le film. Au début, on s’est dit que c’était un choix budgétaire, mais finalement, c’était un soulagement de ne pas refaire cette scène en voiture, parce que c’était quand même éprouvant à tourner, pour moi et pour les comédiens.

l’écoute de la parole des victimes par la police 

J’ai rencontré une brigade des mœurs à Bruxellles. On a eu une longue discussion avec la commissaire et d’autres policiers qui s’occupent des interrogatoires. Ils ont d’ailleurs relu le scénario. Pour moi, le personnage de la policière dans le film, c’est juste un rendez-vous manqué. Elle n’est pas maltraitante ; c’est juste qu’elle est préoccupée par d’autres choses

. Et puis, il va falloir faire un dossier de combien de pages pour raconter ce truc-là, alors que ce n’est pas sûr que cela aboutira ? Les gens ne pensent pas à mal faire, ils font au mieux pour eux.

On voit ça tout le temps. Cette policière a besoin de preuves pour que son dossier avance. Mais Aly, elle, a besoin d’autre chose à ce moment-là. Cette commissaire m’a dit : “C’est terrible un interrogatoire, parce que nous, on a un devoir de neutralité ; on ne peut pas croire tout le monde. Mais la personne en face, qui vient d’être traumatisée, a besoin d’être crue. C’est un rendez-vous manqué…”

Quitter la nuit - Film (2024) - SensCritique

La notion de sororité très présente dans le film…

Cette notion , pour moi , était encore plus centrale pour le court Une sœur. Après, c’est une notion extrêmement importante dans ma vie, mais que je vois comme un pansement. J’ai l’impression que c’est une manière pour les femmes de se raconter, de digérer, en attendant que cela change.

Ce n’est pas une solution en soi. Ce sont des discussions qu’on a beaucoup eues ces dernières années avec des amis, filles et garçons, mais sans nos copains.

Je vois une énorme différence aujourd’hui, dans la mesure où ils sont invités dans cette discussion et, pour certains, ils commencent à avoir une voix.

Dary,  victime de la société patriarcale ??

C’est un personnage qui a grandi avec une image de masculinité assez forte et qui veut être performant. Mais, suite à une déception amoureuse, il se sent vraiment abîmé dans son identité, avec une vision un peu amoindrie de lui-même.

Cela crée une frustration et une forme d’autodestruction. Il le dit dans le début du flash-back : “Je voulais me foutre en l’air.” Je le vois comme un personnage qui porte le poids un peu trop lourd de ce qu’il pense devoir être et qui, malheureusement, tombe dans une spirale de victimisation.

Il a l’impression que tout est contre lui et il gère super mal sa frustration. Lors de cette soirée, il se sent mis en adversité par Aly. Pour elle et pour nous, c’est anecdotique, juste deux blagues qui sont mal passées.

Mais, pour lui, cela ajoute à sa peine et, à un moment donné, il veut qu’elle se sente moins bien que lui. J’avais envie de construire, pour ce personnage, pour cette histoire, un mouvement de frustration et non de désir de l’agression. J’ai lu beaucoup de choses là-dessus. Cela a été une des grandes réflexions féministes des 20 dernières années : comment un certain poids sur les hommes peut être reporté sur les femmes. Pour moi, c’est un personnage qui, dans un autre contexte, lors d’une autre soirée, n’aurait pas forcément agi comme cela.

Ça a été complexe de l'écrire ce personnage, Car on parle souvent de l'amnésie traumatique des victimes, mais ça existe aussi pour les agresseurs. Et dans une mesure microscopique, on fait tous ça quand on blesse quelqu'un.

On retient ceci ou cela du contexte pour rendre notre geste acceptable.

J'ai voulu que l'histoire sorte Dary de sa confusion et pas forcément à travers la justice. Parce que je me demande vraiment si la salle où l'on a peur de se voir administrer un emprisonnement est le meilleur endroit pour se remettre en question.

J'ai voulu questionner sa façon de se raconter ce qu'il a fait, étape par étape. Voir si une prise de conscience était possible.

quitter la nuit

Quitter la nuit" : intrigue et passion dans un premier film ambitieux

Interview pour le film "Quitter La Nuit" avec la réalisatrice Delphine Girard réalisée avec le cinéma Lumière Terreaux le 3 avril 2024

photo: Fabrice SCHIFF 

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Festival du Film de Royan

La 4e édition se déroulera du 3 au 8 décembre 2024 aux cinémas Le Lido de Royan et Le Relais de Saint-Georges-de-Didonne. Jimi Andréani et Jean-Paul Enna, les programmateurs du Festival, ont concocté une sélection de films en avant-première de grande qualité sur la thématique sociétale.

Le jeune public aussi, du CP à la terminale, découvrira 11 films, du long métrage au film d'animation… sur la même thématique lors des séances scolaires. Le Festival les invite à partager des émotions en regardant un film sur grand écran et à vivre pleinement cette expérience de manière collective.

Une nouveauté cette année, la création d’une compétition jeunesse avec un choix de films spécifiques adaptés au niveau scolaire des élèves.

.https://festivalfilmroyan.fr/

 

 

Festiv.iel au Théâtre de la Croix Rousse

Le TXR organise la 4e édition de Festiv·iel, son temps fort annuel dédié au féminisme inclusif, aux cultures queer et aux questions de genre et de sexualité.

4 spectacles inédits vont déplacer le regard du public sur le sexisme ordinaire, les violences sexuelles, les communautés racisées queer, en créant de nouveaux imaginaires subversifs, drôles et joyeux.

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À partir du 27 novembre 7 JOURS, 7 FILMS JAPONAIS EN AVANT-PREMIÈRE À travers toute la France

Le Festival du cinéma japonais LES SAISONS HANABI de retour à partir du 27 novembre, à travers toute la France

https://www.hanabi.community/les-saisons-hanabi-2024/

 

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