Baz'art  : Des films, des livres...
9 août 2024

Rencontre avec Karim Leklou pour le film Le roman de Jim

Acevec ce qui est un des événements cinéma de ce mois d'août, « Le Roman de Jim »,  voir notre chronique ici même,  les frères Larrieu chroniquent sur vingt-cinq ans l’odyssée paternelle d’Aymeric ouvrier en intérim qui élève comme son fils l’enfant d’un autre, avant d’être cruellement écarté. Il fallait toute l’élégance humble d’un acteur comme Karim Leklou pour faire de ce héros un grand personnage de mélo, terrassant d’humanité.

Rencontre avec ce formidable comédien  au cinéma le Comoedia en juin dernier, où l’acteur était venu présenter le film.

Ça fait quoi, de jouer un gentil à l’heure les anti-héros sont très présents ?
Politiquement, c’est un joli geste de faire un film qui met à l’honneur un « gentil garçon ».

Qui dit gentil ne dit pas idiot, ni passif.

La gentillesse d’Aymeric est à comprendre dans un sens piquant, quand on devient gentil par obligation sociale, parce qu’on n’a pas le choix.

L’écriture de ce personnage est d’une beauté, d’une richesse dingue. Son destin me semble plutôt universel.

Aymeric est un personnage qui a une force de résilience.  Il fait avec les événements qui lui tombent dessus, reste digne et continue à mener sa vie. Il encaisse, fait face.

Mais ça, encaisser et faire face aux drames, ce n’est pas être « gentil ». J’étais content d’aller vers un rôle porteur de cette douceur continue, sans faux changements psychologiques, sans noirceur.
Les Larrieu sont des gens très pudiques, mais fantaisistes. Ils aiment parler des gens, un peu comme Ken Loach le fait en Angleterre.

Là, ils le font avec une forme de simplicité désarmante, de maturité qui me perce à jour. Ce ne sont pas que des cinéastes intellos, ou alors ce sont des vrais intellos, sans papier cadeau.

Parce que des fois, on vous dit que des gens sont des intellos, et dès qu’on retire le papier cadeau, mon dieu… Remettez l’emballage !

Parler des gens de peu, c'est un  aspect qui vous a parlé à la lecture du scénario ?

En tout cas, le film raconte le destin de beaucoup, beaucoup de gens. Je ne parlerais même pas de classes populaires, c’est au-delà, ça concerne les classes moyennes, les classes moyennes supérieures. Le film raconte un destin bien français, surtout en ce moment.

On en a beaucoup parlé avec les Larrieu, et on est tombé très vite d’accord pour se dire qu’Aymeric est un personnage de son époque. Il essaye de s’en sortir dans un milieu du travail fluctuant.

Les Larrieu, à travers des séquences de pur cinéma, racontent hyper bien ce marché du travail. Sans aucun discours, sans aucun misérabilisme ou pamphlet intellectuel.

C’est beaucoup plus intéressant de montrer un type qui va, à son âge, d’entreprises en entreprises, qui essaye de s’en sortir.

Par exemple, lorsqu’il a la possibilité d’aller voir Jim  au Canada, sa précarité économique l’empêche de passer le pas. J’aime bien que ce destin empêché, cette tragédie parte de ce détail concret.

Pour moi, le fait qu’il n’ait pas développé ses photos argentiques dans sa jeunesse, c’est aussi parce qu’il n’a pas d’argent.

Le numérique arrive, et tout à coup il peut tout numériser mais il ne classe rien, c’est le bazar… J’aime qu’il garde une passion de jeunesse sans être un grand photographe, sans être un génie.

Tous les personnages du film ont une qualité remarquable : ils se disent la vérité. Mais quand tout le monde se dit la vérité, une réalité inconfortable apparaît : il n’y a pas de bons ni de méchants.

En effet, dans ce film on a pas de manichéisme. Un peu comme dans la vie. Je comprends parfaitement le personnage de Lætitia Dosch

 Elle peut être vue comme dure, mais aussi comme quelqu’un qui a raison de faire ce qu’elle fait pour se sauver. Dans l’écriture des Larrieu, j’aime ces micro-basculements, ces détails qui sont en fait cruciaux.

À un moment, Aymeric est proche de faire quelque chose de très grave – et puis hop, à la dernière minute, il se fait rattraper, rappeler à l’ordre par la vie. Et il ne devient pas cette personne qu’il était à deux doigts de devenir. Il tombe en prison à cause d’une bande de larcins sans intérêt parce qu’il est le benêt de la bande.

Mais ce type bascule aussi parce qu’il a une blessure émotionnelle. Les destins de vie, ça tient à pas grand-chose.

C’est vertigineux, hein ? J’aime que les personnages soient pris dans des spirales de vie et de destin, mais qu’ils ne soient pas plus intelligents que ces vies et ces destins.
Le style des frères Larrieu a un ancrage social, sans pour autant tomber dans le naturalisme. Au contraire, le film est très romanesque, enlevé.
Oui, c’est marrant parce que leur cinéma sonne très réaliste, dans la profondeur psychologique, et en même il ne l’est pas du tout.

Vingt-cinq ans de vie condensée en une heure quarante, ça n’a rien de réaliste.

Je pense à une scène qui porte cette idée : les retrouvailles entre Aymeric et Jim tout en haut de la montagne, qui virent presque à la confrontation. À la fois la scène est très  réaliste  et en même temps, on se croirait dans un thriller.
Complètement, c’est un décor de film de genre, d’action. Mais tout ça, c’est grâce au travail d’adaptation des frères Larrieu. Le roman original de Pierric Bailly est très beau. C’est une écriture qui en dit beaucoup avec peu. Pierric Bailly a travaillé avec les Larrieu sur le tournage, et on sent cette fluidité entre eux. Les Larrieu ont saisi cette écriture simple et puissante, sans esbrouffe. Le scénario est très émouvant parce que tout est entre les lignes.

Tout se joue dans les mots qui ne se disent pas. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas intelligent. Car l’intelligence émotionnelle est partout. Rien n’est caricatural, tous les clichés sur les femmes et hommes du milieu rural tels que le cinéma les représente sont esquivés.

Et c’est écrit par un gars qui vient du Jura, adapté par des gars des Hautes-Pyrénées qui faisaient des films de montagne à leurs débuts… Donc ce n’est pas une vue de l’esprit. Tout ça est cohérent.


Ça fait bizarre, de jouer un personnage sur une longue période, à un âge très jeune que vous n’avez plus, et à un âge que vous n’avez pas encore ?
Oui et non, parce que la grammaire de cinéma des Larrieu apporte une réponse géniale à ça. Le film est beau parce qu’on est dans le souvenir de qui est Aymeric, pas dans la réalité. Le montage d’Annette Dutertre, avec ces ellipses perturbantes, est exceptionnel à ce titre. J’ai dit à l’équipe du film : « Je ne veux pas jouer le côté ‘J’ai 20 ans’ ».

Il fallait trouver quelque chose qui me dédouane de cet âge, pour épouser une convention de cinéma, ne pas être dans un premier degré incohérent du genre : « Je vois un type à l’écran qui a 20 ans mais qui n’en a pas 20 ! ». Parce que pour ne pas minauder un âge, il faut être dans le corps dans lequel on est réellement.

Alors l’équipe a écrit cette phrase géniale, qui en dit long sur leur sensibilité, et qui ouvre le film : « J’avais 20 ans, je ne sais plus trop à quoi je ressemblais, comme un type qui prend des photos de tout le monde sauf de lui ».

Ça raconte tellement de choses sur ce gars qui ne se regarde pas lui, qui regarde les autres. Cette phrase ramène un ton, créé un acte avec le spectateur. Elle dit toute l’originalité, le regard doux et âpre que l’équipe du film porte sur les gens.

Un mot sur les autres comédiens qui jouent avec vous ?
Sur ce film, j’ai eu la chance de n’être qu’avec des comédiens qui avaient à cœur d’apporter leur part de vérité dans leur rôle. Bertrand Belin, qui joue le père biologique, c’est un mec splendide, il a une force et une singularité, il ne cherche jamais à être beau à l’écran, il s’amuse de son image.

Il est savoureux, on prend du plaisir à passer du temps sur un plateau avec lui. Lætitia Dosch, c’était extraordinaire de la voir plonger avec un engagement total, avec conviction dans cette Florence.

Sara Giraudeau  c’est une force solaire, j’ai rarement vu une actrice arriver dans un film avec une telle façon d’irradier intellectuellement, physiquement.

C’est une actrice délicate et pleine de force – et la force solaire, c’est difficile à jouer sans qu’elle soit minaudée.

J’ai profondément aimé cette galerie d’acteurs car ils ont des corps très différents, mais qui se répondent, s’accordent.

Le film raconte la formation éphémère d’un triangle amoureux, libertaire et épanouissant, qui semble nous dire que la famille qu’on se créée compte plus que celle qu’on hérite. Vous en pensez quoi ?
Lorsque le personnage de Lætitia revendique cette relation, face à une amie qui désapprouve, il y a une force de croyance au modèle qu’elle propose. Ça raconte comme le hors norme, à toute époque, peut déranger.

Florence exprime à ce moment-là ses propres frustrations, mais aussi à quel point il y peut y avoir de la souffrance à rentrer dans une norme.

Et puis il y a ce regard sur la paternité, qui est une odyssée. Les beaux-pères, les belles-mères, on les voit très peu au cinéma. Comment fait-on quand on n’a pas de droits sur un enfant, qu’on n’est pas un parent biologique, mais qu’on l’aime ?

C’est un film moderne qui parle de ce qu’il y a au-delà des liens du sang. Ça me touche profondément tout ça.

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Quand les frères Larrieu parlent de leur comédien principal 

Karim Leklou,   est un nouveau nouveau venu dans votre galaxie. Comment est il venu à vous? 

JM Quelques jours avant la fin d’un processus de casting complexe, nous avons pris un café avec Karim Leklou que nous n’avions jamais rencontré. Après trois minutes, on s’est regardés avec Arnaud : c’était lui. A Ça s’est décidé en un clin d’œil !

On n’avait pas encore vu Vincent doit mourir, où le personnage prend des coups, au premier degré. Dans Le Roman de Jim, il prend des coups sentimentaux, avec une capacité incroyable à encaisser. La manière dont Karim nous a parlé du scénario nous a confirmé dans l’évidence. Il n’avait pas envie que le personnage se révolte.

Cela ne lui traversait même pas l’esprit que le père puisse traverser l’Atlantique pour récupérer son fils. On parle de personnage passif, mais Karim dégageait en même temps une puissance. Il n’est pas un type juste gentil et mélancolique. Il ne dit pas oui à tout, il entend, il écoute, réagit à sa manière. Et il grandit… À la fin, Aymeric réussit à retrouver Jim. La chose s’est passée, parce qu’il a su entendre les autres. Et agir au juste moment. A Physiquement, Karim amène un imaginaire expressionniste, proche du cinéma muet. Pour nous, c’est Peter Lorre chez Murnau.

Nous recherchions ce décalage avec le réalisme. Karim est maquillé et éclairé dans ce sens, notamment dans la première partie du film. On a aussi rajouté cette réplique de la voix off pour qu’il se sente bien rapport à son personnage jeune : « J’avais vingt ans, je ne sais plus très bien à quoi je ressemblais. »

Arnaud Larrieu 

Nous avons démarré le tournage par les séquences aux Nuits Sonores, le festival de musique électro à Lyon. Donc, par la fin ! C’était risqué, mais il a assuré.

On suit un peu le rugby, et pour nous Karim a montré tout de suite l’énergie des « premières lignes ». Dès les premières prises, il est allé chercher les mots avec un labeur très émouvant.

C’était vraiment le personnage. Il doit violemment sortir de lui-même pour parler à son fils. Et il dégage pourtant et aussi une grande douceur à ce moment-là. C’est un « pilier » très féminin !

Dans la vie il se définit lui-même comme physiquement maladroit, mais il a une manière époustouflante de se rassembler au moment de la prise. Il plonge dans le plan et il aimante immédiatement le regard

Le Roman de Jim de Jean-Marie Larrieu et Arnaud Larrieu, sortie le 14 août, Pyramide distribution

Merci au cinéma le comoedia et à Pyramide distribution 

 

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