La désinvolture est une bien belle chose Philippe Jaenada
C'est après la guerre, en 1946, qu'a débuté l'expérimentation d'observation : on allait enfermer les jeunes filles qui ne se conduisait pas convenablement, afin de les étudier pour " comprendre les causes " de leur comportement déviant et pouvoir les redresser. Le centre de Chevilly-Larue regroupe toutes les indociles de la région parisienne. Il est dirigé par Mère Marie du Saint Sauveur Dagnaud, deux cents filles en moyenne s'y trouvent en permanence, pour une dizaine de semaines en général, encadrées par cent vingt religieuses, des éducatrices, des assistances sociales, et un neuropsychiatre, le docteur Paul Le Moal. En fonction du résultat du labo humain, de l'examen minutieux de leurs gestes, de leurs attitudes et de leurs paroles, elles sont ensuite remises à leurs parents si elles s
L'inspecteur, historien et romancier ( profession qu'il a lui même inventé depuis quelques ouvrages ) Philippe Jaenada reprend du service. Il lui a suffit de lire une interview de Patrick Modiano, dans un vieil Inrocks datant de 2007, pour que notre Rouletabille de chez Miallet-Barrault se lance dans une incroyable recherche dans " le café de la jeunesse perdue " de Saint-Germain des prés ( titre d'un fameux livre de Modiano, le susnommé. )
Le 28 novembre 1953 à l'aube, Kaki, une jeune fille de vingt ans, belle, intelligente mais fragile petite reine du Saint-Germain d'après-guerre, qui buvait beaucoup, se droguait pas mal, fréquentait " Chez Moineau " et inspirait Guy Debord, a fait le grand saut d'une fenêtre au troisième étage sur cour de son hôtel.
Chez Moineau, l'île des enfants perdus, un rade minuscule et miteux comme un radeau à la dérive. Kaki, c'est cette jeune femme au centre d'une photo prise dans le bistrot.
Dix ans avant les Yéyés, Ed van Elsken, un photographe hollandais imortalisa les garçons et les filles de la Rive Gauche parisienne dans le livre album " Love on the Left Bank ".
Le suicide d'une jeune femme, une photo de groupe avec Guy Debord sur ses bords, il n'en faut pas plus à notre opiniatre écrivain-chercheur pour se lancer dans la folle aventure à la recherche ( justement ) du temps perdu dans un Saint-Germain-des-Prés souterrain, très loin du Tabou et des Deux Magots et disparu depuis longtemps.
Qu'on se le dise, Philippe Jaenada a l'écriture proustienne, mais ses nombreux admirateurs le savent déjà.
Méticuleusement, précautionneusement le romancier tire le fil d'une histoire qui n'intéresse pas l'Histoire, l'histoire de jeunes filles en fugue, de jeunes gens égarés, des marginaux de l'après-guerre.
Le temps de l'amour, le temps des copains et de l'aventure, et de la mort pour Kaki, la petite-fille au grand cœur.
En près de cinq cents pages ( que vous arrive-t-il, je vous trouve bien bref et fort concis depuis votre précédent ouvrage " Au printemps des monstres " sept cents cinquante pages au compteur ? ) ce cher Philippe nous entraîne dans la vie triste et chaotique des habitués du bistrot " Chez Moineau " 22 rue du Four, inspirateurs du situasionisme chez Debord et de la jeunesse perdue chez Modiano.
Un véritable tour de force historique car, pour chaque personnage, l'écrivain creuse au plus profond des racines. Son livre devient alors, une véritable mine d'informations sur la vie en France, vie politique, sociale et culturelle de ce milieu de vingtième siècle ( et non ce n'était pas mieux avant, mais alors pas du tout ).
Ses admirateurs le savent déjà : lorsqu'on lit Jaenada, on en apprend jusque là !
Philippe, amateur de " Koh-Lanta " ( je compatis et ne juge pas, personne n'est parfait, moi-même je ne rate aucune émission des " Traitres " sur M6, même si je reste persuadé qu'Eric Antoine est vraiment plus rigolo que Denis Brogniard ) Philippe donc, se lance un défi fort aventureux.
Durant la recherche et l'écriture de son livre, il fera le tour de la France ( en voiture, pas à pieds, il ne faut rien exagérer) par les bords ( Guy Debord ? ) et...par les bars, pour être au plus de ses petits Moineau ?
Bray-Dunes, Le Conquet, Handaye, Cerbère, Menton, Wissembourg, Philippe Jaenada, éparpillés aux six coins de l'hexagone, nous raconte avec une désinvolture feinte et crâneuse la France d'hier et la France d'aujourd'hui.
Un très grand livre triste et émouvant, mais aussi joyeux, voir désopilant , dans son tour de France d'un grand enfant.
" ( je le dis dans tous mes livres, où souvent les personnages se bousculent : ne vous embêtez pas à retenir les noms, lisez l'esprit léger, ceux qui comptent seront rappelés ensuite. Je le dis mais ça ne fonctionne pas, j'ai toujours des retours de lecteurs embrouillés ou agacés ( et ma mère continue à noter tous les noms dans un cahier à coté – elle ne m'écoute pas ). Voilà, je ne dois pas être très doué pour la multiplicité, pour les groupes. (J'ai choisi le bon sujet…) Mais donc, bref : ne vous embêtez pas à retenir les noms, disons que je suis un guide de voyage en bus, regardez par les vitres, tranquillement, le paysage, les villes, et quand on entre dans un tunnel, je prends le micro et je raconte une histoire.) "
Philippe Jaenada, La désinvolture est une bien belle chose - Mialet-Barrault Éditeurs
La désinvolture est une bien belle chose Philippe Jaenada En librairie dès le 21 août 2024 Tandis qu'au volant de sa voiture de location, il fait le tour de la France par les bords, Philippe Jae...
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