Le Premier sexe : Je bande donc je suis – La Scala (Paris)
Tout le monde peut être rassuré, vous n’allez pas voir l’adaptation du pamphlet misogyne d’Eric Zemmour. Le deuxième « Premier sexe » a gommé le premier. Tout commence en 2018 : Mickaël Délis obtient carte blanche au théâtre parisien de La Loge. Issu d’une famille d’artistes, il opère un virage à 180° depuis la recherche et l’enseignement pour rejoindre les siens. Après avoir contribué à de nombreuses pièces et chroniques sur C à vous, il s’empare de la lecture du Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir qui l’avait bouleversée. Pourquoi ne pas questionner cette construction sociale de son propre genre, comme le lui suggère une amie metteuse en scène ?
De sa plume perçante, Délis se pose au centre de l’amphithéâtre taille réduite qu’est la Piccola Scala pour faire sortir son enfant intérieur, raconter la bâtisse d’un garçon en homme, un « vrai ». Il était un petit garçon gros aux traits fins, confondu par la boulangère avec une fille. Il était le frère du beau-gosse car les filles le voyaient comme « un grand frère » qui se déhanche sur du Britney Spears (Britney la seule à le faire sentir aussi libre dans sa chair). Ou il est encore le jeune homme qui désespère de ne pas coucher par crainte d’être gay, une crainte transmise par son entourage. Vient la question récurrente dans le vestiaire des gars : « comment tu te branles ? », encore une autre façon de se rassurer d’être « assez » masculin. Que l’homme qui n’a pas vécu ce concours de comparaison plus jeune me jette la première pierre…
A travers le récit de sa vie, il dissèque la virilité, ou disons plutôt le mythe de la virilité pour reprendre Olivia Gazalé, au travers des personnages de sa vie : une mère qui promeut le lithium pour oublier les hommes, qui élève ses deux fils seule, avec bienveillance, un frère qui correspond à la norme, un ex auquel il a fait vivre un enfer homophobe, son psy influencé par la doctrine freudienne. Dans le travail sur soi, un manque à l’appel : où est le père ? Démissionnaire, parti pendant l’enfance des deux frères, il compte uniquement sur ses conquêtes sexuelles pour se vanter dès qu’il repasse une tête dans la vie de Mickaël. Alors non, il ne faut pas tuer le père ici mais plutôt l’apprivoiser, l’écouter car les injonctions à la masculinité toxique se recoupent.
Dans son essai Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ? (éd. JCLattès), Léane Alestra (créatrice du podcast Mécréantes et journaliste pour le média queer Manifesto XXI) décortique ces règles aliénantes qui permettent d’être validé en tant qu’homme dans le regard des autres hommes et d’accroître leur virilité : « Car c’est, selon elle, dans le regard masculin (et non dans le regard féminin) que se construit l’identité masculine » (p. 148). Être en couple avec une fille/femme devient l’objectif ultime pour rester en haut de la hiérarchie masculine. Tous les autres peuvent être vite exclus des boys club et/ou alors « soupçonnnés » d’homosexualité (un peu d’homophobie et de discrimination dans l’air). Tout ceci participe, selon elle, à l’invention de la culture hétérosexuelle, rappelant que l’hétérosexualité est, elle aussi, « une construction sociale », destinée à perpétuer l’espèce.
Pour retracer la construction de sa masculinité loin de la virilité toxique tout en essayant de traverser le cher (non) monde patriarcal, Mickaël Délis n’a besoin de peu excepté un fin gilet blanc qui devient écharpe ou slip kangourou, une craie, un tabouret et surtout une palette colorée de personnages plus drôles les uns que les autres. Le rythme soutenu fait directement écho aux Garçons et Guillaume à table de Guillaume Gallienne, le tableau en est un approfondissement sur le jeu entre les stéréotypes de genre, l’homophobie intériorisé et l’héritage familial qui se fait décortiquer (exploser plutôt) par la psychanalyse. Le premier sexe est surtout une libération pédagogique et jubilatoire comme nous le transmet si bien son auteur.
Crédits photos : Marie Charbonnier
Le Premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité
Écrite et interprété par Mickaël Delis
Mise en scène par Vladimir Perrin et Mickaël Délis
1h10
Les lundi et mardi ou mardi et mercredi à 19h15 ou 21h15
Jusqu’au 19 mars 2025
La Scala (Paris 10ème)
Jade SAUVANET